Les Fausses Confidences de Marivaux mise en scène de Didier Bezace.
Sans aucun doute la mieux construite et la plus réussie de ses comédies. Marivaux l’écrivit à 49 ans en 1737, et où les dialogues sont brillantissimes. C’est l’histoire d’une jeune veuve Araminte qui a engagé comme intendant Dorante recommandé par Monsieur Rémy, procureur et oncle de ce jeune homme. Lequel Dorante est amoureux en secret d’Araminte. Mais elle doit intenter un procès au comte Dorimont à propos de terres, ou bien l’épouser. Et c’est Dubois, ancien valet de Dorante qui va tirer les ficelles de cette histoire d’amour; Marton, la femme de chambre d’Araminte est elle aussi amoureuse de Dorante mais comprendra vite, à ses dépens, qu’elle n’a rien à voir dans le petit complot qui se trame.
Quant à madame Argante, la très autoritaire mère d’Araminte, elle déteste cordialement Dorante mais ne pourra rien faire contre lui … Et le comte Dorimont renoncera généreusement à ses prétentions. Dubois, très habile et fin connaisseur des sentiments humains, manipulera tout autant Araminte que Dorante, en se servant selon le besoins, de Marton comme du balourd d’Arlequin, le valet d’ Araminte… et arrivera à ses fins: la jeune veuve avouera à Dorante son amour.
Dans les comédies françaises, mis à part celles de Molière, Corneille et Beaumarchais, il y en a peu dont la langue soit aussi remarquable » Je connais l’humeur de ma maîtresse, dit Dubois à Dorante, je sais vos mérites, je sais mes talents, et on vous aimera, toute raisonnable qu’on est; on vous épousera toute fière qu’on est, et on vous enrichira, tout ruiné que vous êtes, entendez-vous? Fierté, raison et richesse, il faudra que tout se rende. Quand l’amour parle, il est le maître, et il parlera ». Etonnant de vérité et de virtuosité!
Evidemment, Didier Bezace s’en donne à coeur joie, et même si l’on connaît depuis le lycée et la fac grâce à feu Jacques Scherer, presque toutes les répliques du texte, jamais il n’est apparu aussi clair, jamais l’on n’a vu de mise en scène qui mette aussi bien en valeur la mécanique des sentiments chez Marivaux.
Scénographie de Jean Haas en accord avec la mise en scène avec un décor et des toiles peintes au second degré, rythme de la pièce tenu jusqu’au bout, compréhension des personnages, direction d’acteurs impeccable: tout est dans l’axe. Et, comme Didier Bezace a choisi Pierre Arditi pour jouer Dubois, c’est un vrai régal: l’on sent tout de suite qu’il y prend un immense plaisir, et il sait imposer son personnage dès les premières répliques : l’oeil pétillant, il crée un Dubois intelligent et généreux, rusé et patient qui sait faire mûrir son projet, et qui apprécie de le voir évoluer, presque à la façon d’un entomologiste, mais légèrement cynique. Pierre Arditi sait être très présent mais sans jamais tirer la couverture à lui. Bref, le grand style.
Anouk Grimberg est toute aussi formidable, quand Araminte doit vaincre ses à-priori de classe sociale et se trouver de bonnes / mauvaises raisons pour garder à tout prix cet intendant, dont elle n’avouerait pour rien au monde qu’elle commence à très amoureuse…Et d’un regard, d’une inflexion de voix, sans avoir l’air d’y toucher, elle dit tout des sentiments d’ Araminte. Robert Plagnol est, lui aussi, tout de suite crédible dès qu’il arrive, en pauvre intendant un peu gêné aux entournures, maladroit mais sincère et déterminé à séduire Araminte. Marie Vialle est exceptionnelle dans le personnage de Marion , victime collatérale des machinations de Dubois, que les metteurs en scène en général mettent entre parenthèses. Isabelle Sadoyan est vraiment drôle et tout aussi à l’aise quand elle rabroue sa fille et met plus bas que terre le pauvre Dorante. Jean Yves Chatelais ( Le Comte) , Christian Bouillette (Monsieur Rémi) et Alexandre Aubry ( Arlequin) font aussi un très beau travail. Ce qui fait la qualité de cette mise en scène, c’est aussi l’unité de jeu entre les comédiens.Et il y a un silence et une attention assez rare dans le public qui n’ pas ménagé ses rappels.
Pas de petites réserves? Si peu: Didier Bezace aurait pu nous épargner quelques rappels du monde contemporain comme ce sac militaire que porte Dorante, et, surtout après la très belle image où Marton, absolument seule, regarde les amoureux monter l’escalier, la vision de ce pauvre Arlequin, coiffé d’un casque rouge de moto que l’ on va entendre Ou cette trappe en plein centre du plateau, comme pour nous prouver que l’on est bien au théâtre…
Mais répétons-le encore une fois: c’est une mise en scène exceptionnelle des Fausses Confidences qu’il ne faut pas rater; d’accord, il faut faire un petit effort: c’est à Aubervilliers mais c’est à huit minutes à pied du métro Quatre Chemins, et il y a une navette jusqu’au Châtelet après le spectacle. Donc pas de mauvaises excuses…
Après le désastreux Naufragés du Bel Espoir au Théâtre du Soleil, cela fait du bien de retrouver un texte, un scénario, une mise en scène et un ensemble d’acteurs formidables.
Philippe du Vignal
Théâtre de la Commune, centre dramatique national d’Aubervilliers jusqu’au 2 avril; 01-48-33-16-16. Puis ensuite à Saint-Quentin-en-Yvelineset en tournée.