Madeleine Marion

Adieu Madeleine,
52860.jpgMadeleine Marion est morte avant-hier à 80 ans; nous la connaissions depuis bien longtemps:  elle avait joué autrefois pour  Sacha Pitoëff dans Les trois soeurs, pour Jean Négroni,( Le prince de Hombourg) dont il y a quelques jours, curieusement, une photo du spectacle, signe du destin?  glissa d’un dossier; puis, avec  Antoine Vitez pour qui elle joua  Bérénice et le  célèbre Soulier de satin.  Elle avait joué aussi au cinéma mais très connue dans le milieu professionnel, elle l’était peu de ce  que l’on appelle le grand public.
Elle avait enseigné au Conservatoire national de 88 à 95 puis nous lui avions demandé ensuite  de venir à l’ Ecole  du Théâtre national de Chaillot où elle fut aussi, pendant cinq ans, une remarquable pédagogue, attentive,  très exigeante mais aussi très aimée de tous.
Nous lui avions demandé entre autres de faire travailler les élèves sur L’Echange de Claudel,  et cet atelier- un des plus remarquables que nous ayons connus – fut sans doute l’un de ceux où elle avait su mettre le mieux en valeur les qualités de chaque élève. Puis,  trop prise, après son engagement à la Comédie-Française, elle avait dû nous quitter. Mais elle avait toujours gardé une affection  pour ses anciens élèves et un attachement à l’Ecole dont nous ne pouvons que lui être reconnaissants.
Elle avait monté au Studio de la Comédie-Française une brillante Cantate à trois voix de Claudel. Nous garderons d’elle l’image d’une femme droite,  dont la vie, qui ne lui épargna pas les très mauvais coups,  ne fut pas toujours un long fleuve tranquille, mais elle avait une capacité de résistance, une énergie  et une volonté de se battre qui forçaient le respect.
Adieu, et merci encore, chère Madeleine.

Philippe du Vignal


Archive pour mars, 2010

Ode maritime

Ode maritime de Fernando Pessoa, texte français de Dominique Touati, revu pour le spectacle par Parcidio Gonçalves et Claude Régy, mise en scène de Claude Régy.

  odysse.jpg  On connaît le fabuleux texte de Pessoa (1888-1935) qui écrivit sous plusieurs hétéronymes dont celui d’Alvaro de Campos, et qui gagna sa vie  en travaillant dans des maisons de commerce de Lisbonne, ville qu’il ne quitta jamais. Il publia ses textes dans des revues mais demeura inconnu du grand public, et l’on retrouva la plus grande partie de  de son oeuvre après sa mort. Cette Ode maritime est sans conteste une de ses oeuvres  les plus implacables comme s’il avait voulu aller au bout de lui-même et faire passer à la postérité ce que Régy appelle très justement chez Pessoa l’espace de l’océan nocturne, qui est aussi une célébration de l’inconscient noir ». Cette Ode maritime est un formidable tohu-bohu poétique qui devait un jour ou l’autre séduire l’explorateur de textes que continue à être Claude Régy.
   Appel au voyage, mythe du navire comme une porte ouverte sur un ailleurs personnel, voire très intime, surtout à une époque où on ne prenait pas encore l’avion jusqu’au bout du monde, mythe aussi des machines comme traduction de la modernité mais aussi critique de la fougue colonisatrice de son pays avec ses exactions et ses massacres de populations. sont les thèmes abordés dans cette Ode maritime. Dont l’ expression poétique passe aussi bien par le cri que l’on ne peut plus réprimer que par la confidence lyrique…
  Claude Régy s’est donc emparé de ce texte magnifique en le portant à la scène par deux fois: à Monfavet pour le  dernier festival d’Avignon, puis au Théâtre Vidy-Lausanne, en le confiant à un seul comédien: Jean-Quentin Châtelain. Sur le grand plateau nu du Théâtre de la Ville, une passerelle qui s’avance face à la salle réduite à une jauge de six cent places, où le comédien va se tenir debout, solidement campé sur des deux jambes, sans bouger pendant une heure cinquante dans une pénombre permanente,  un univers sonore de Philippe Cachia et des lumières de Rémy Godefroy, Salladhyn Khatir et Régy lui-même, tout à fait remarquables de beauté.
La performance du comédien est exceptionnelle, et, au début du moins ,on éprouve un grand plaisir à retrouver sa voix chaude au ton un peu traînant et à l’accent si particulier, inimitable, quand il articule certains mots plus que d’autres. Et,  aucun doute possible, Jean-Quentin Châtelain exalté par cet espèce de tremplin pour le texte de Pessoa que constitue  la belle scénographie de Salladhyn Khatyr, est paradoxalement assez proche du public, malgré les dimensions de la salle.

  Mais le parti-pris de Claude Régy est du genre radical: pureté du texte, immobilité de l’acteur, lumière sépulcrale, et , ce qui à la création dans une petite salle à Vidy-Lausanne, voire à Monfavet pour deux cent personnes, devait avoir un véritable sens,  est ici beaucoup moins convaincant.
Sans doute parce que le phrasé de Jean-Quentin Châtelain est parfois proche de la caricature et que Claude Régy aurait dû donner un peu plus d’air à cette diction qui étouffe un peu le texte de Pessoa, et surtout ouvrir quelques fenêtres lumineuses. En effet,  ce systématisme de la pénombre a quelque chose de réducteur, si bien qu’à force de voir à peine le beau visage de Jean-Quentin Châtelain, l’on finit par décrocher, alors même que c’est un très beau travail de comédien, et que la mise en scène est d’une honnêteté des plus rigoureuses.
Mais on a  la conviction ,à la sortie du spectacle, que cette mise  en  théâtre du poème de Pessoa aurait beaucoup gagné,  si l’on avait adopté un éclairage un peu moins discret et une longueur, elle, un peu plus discrète.. Mais c’est le choix de Claude Régy : on ne peut faire autrement que de  le respecter. Et l’on aurait pu craindre une plus forte hémorragie de spectateurs…

  Alors,  y aller ou non? A vous de choisir,  en connaissance de cause: un texte à la lecture, admirable et somptueux d’intelligence et de poésie mais une rigueur et une intransigeance sur les choix de mise en forme théâtrale assez dissuasifs. Et le public? Le soir de la première à Paris, il semblait partagé: d’un côté, les fans de Régy, toujours ravis de le retrouver; de l’autre, les nombreux professionnels, respectueux du travail théâtral,  mais qui ne voulaient pas trop avouer,  comme le reste du public, que le spectacle distillait, quand même, après la première demi-heure,  un ennui profond.

Philippe du Vignal

 Théâtre de la Ville, jusqu’au 20 mars.  

CRIME ET CHÂTIMENT

 

CRIME ET CHÂTIMENT, mise en scène Nikson Pitaqaj.

 

La compagnie Libre d’esprit qui travaille depuis plusieurs années au Centre culturel Jean Vilar de l’Ile Saint Denis, a monté une dizaine de spectacles. dont Avec ou sans couleurs , un texte de ce metteur en scène kosovar, vu au Théâtre de l’Alambic en 2002. La compagnie a travaillé de longs mois sur Crime et châtiment, dont nous avions pu voir une répétition publique prometteuse.
Nikson Pitaqaj y voit la dégradation d’une société par l’alcoolisme, la prostitution, les injustices sociales, le pouvoir de l’argent. Il a retrouvé dans cette œuvre la brutalité, la misère, le caractère impitoyable d’une dégradation dans son pays d’origine qui commence à être visible en France.
Ils sont 14 comédiens à se jeter dans l’arène avec vigueur, sur ce vaste plateau de cette belle salle de pierre , et  ils portent bien le désespoir sans issue d’une famille confrontée à la folie par une pauvreté extrême.
Le meurtre de la vieille usurière par Raskolnikov, la générosité du sacrifice de sa sœur qui veut sauver sa famille par un mariage avec un homme riche, l’aveuglement de leur mère prête à tout pardonner, à tout accepter pour son fils chéri, tout cela est joué avec une belle énergie, (un peu surjoué pour le rôle principal). Mais à la fin des deux heures  de la première partie, nous n’avons pas eu le courage d’affronter la deuxième partie d’une durée équivalente. Trop lourd à porter ce soir-là.

Edith Rappoport

 

Théâtre de l’Epée de Bois, Cartoucherie de Vincennes.

Comment toucher ? (anatomies 2010)

Comment toucher ?(anatomies 2010)
Texte et mise en scène Roland Fichet

 capturedcran20100310114124.jpgComment toucher ? Vaste question … Qui trop embrasse mal étreint.
En effet, j’ai eu bien du mal à suivre la multitude de pistes entrelacées par Roland Fichet. Est-ce à cause de l’écriture qui cumule force thèmes – les luttes révolutionnaires de rebelles en Afrique, une commune libre, les corps amoureux, les rapports aux ancêtres, les blancs et les noirs, les prédicateurs, … ? Est-ce la mise en scène avec ses changements multiples de lieux et de styles ? Difficile à dire. Ce qui a du mal à prendre, c’est l’ensemble. On suit des personnages par moments, par « éclats » : des récits, quelques scènes. Les acteurs s’investissent beaucoup, ils ont de la présence, mais le parcours des personnages, au final, reste confus. Ils parlent, on les écoute, mais le changement profond de leur être,  qui est censé s’opérer durant ce long parcours à travers plusieurs pays d’Afrique,  n’est pas probant. De plus le dédoublement des personnages avec leur ange gardien n’aide pas à la compréhension. Roland Fichet a-t-il brouillé les pistes volontairement ? Ou bien la clarté dans la mise en scène lui a-t-elle échappé, plongé qu’il était dans son travail d’écriture ?
Roland Fichet est un excellent auteur. Qui plus est, un auteur d’une grande générosité. Il a initié de grands projets fédératifs d’écriture avec son Théâtre de la Folle Pensée à Saint Brieuc. Depuis 2001, il mène un travail  passionnant et rigoureux d’écriture et de mise en scène entre l’Afrique (Congo, Nigeria, en l’occurrence) et la France. Sa quête est pertinente, authentique. Anatomie 2009, le précédent spectacle (celui-ci est le troisième du triptyque Anatomies) a été joué dans dix pays d’Afrique. « Deux continents comme deux tours de Babel. Europe, Afrique ; Afrique, Europe. Et un fil tendu entre les deux ». On a envie d’adhérer totalement à cette démarche, sans réserve.
J’ai acheté le texte de la pièce en sortant de la représentation, je l’ai lu dans la foulée. A la lecture, c’était plus clair. Deux femmes amoureuses d’un homme noir, révolutionnaire mythique, absent, l’histoire d’Esther l’africaine et du « congolais breton », les « mystères » de l’incarnation, abîme aussi bien pour le révolutionnaire que pour le prédicateur, Dino, le rebelle explosif à fleur de peau. L’alternance de métaphysique, scènes réalistes, récits de vie, voyages, incantations, poésie, coulait naturellement en lecture. J’ai découvert également, avec plaisir, un humour léger, subtil, moqueur, qui, hélas, n’était pas perceptible sur le plateau, sauf dans quelques scènes où les passagers blancs et noirs d’un vol intérieur africain, coincés à touche-touche dans leurs sièges, échangeaient des propos libres, drôles et impudiques.
Evelyne Loew

Le texte est publié par les Editions Théâtrales

Théâtre de l’Est Parisien
Du 5 au 20 mars

Woyzeck

Woyzeck d’après Woyzcek de Georg Büchner, un spectacle de Gwenaël Morin.

visuelwoyzeck2.jpg Faut-il renouveler Büchner? Woyzcek est-il dépassé? C’est peut-être la question qui taraudait la compagnie Gwenaël Morin. Car, pour ce spectacle créé dans le cadre du Théâtre Permanent, elle s’est appuyée sur les quatre manuscrits de Büchner. D’où un texte qui n’est pas celui que nous connaissons si bien. D’où une mise en scène bien particulière. D’emblée, la logique est celle de l’imprégnation de la pauvreté de Woyzcek.
La misère gangrène les costumes des comédiens, qui portent des vêtements quotidiens, et surtout le décor: des clous au mur font office de porte-manteaux, les chaises en plastique ressemblent à celles que l’on trouve dans les salles des fêtes municipales, la table est une planche en bois sur tréteau. L’ambiance dépouillée est plantée.

Les comédiens seront présents sur scène tout au long du spectacle, et feront la musique. D’où des violons, une tymbale et  une caisse claire.
L’intrigue de cette reprise est connue: le soldat Woyzcek mène une vie misérable, obligé de vendre son corps à la science ou de raser son capitaine pour gagner quelques sous. Cet argent, c’est pour Marie, sa compagne, qui a un bébé de lui. Or Marie se laisse séduire par le tambour major. Dévoré par la jalousie, Woyzcek achète un couteau et l’assassine.
Certaines scènes sont particulièrement réussies : la fête à l’auberge avec ses jeux et ses chants, la visite de Woyzcek chez un médecin glacial. Le tambour major est muet, et lorsqu’il mime ses propos, tandis qu’un comédien traduit pour les personnages et les spectateurs, c’est l’occasion de nombreux fous-rires.
Cela étant, le spectacle n’est pas exempt de quelques longueurs qui pourraient être évitées. Et, si l’on peut saluer des tentatives louables pour « régénérer » la pièce, et qui ne fonctionnent pas trop mal, comme représenter le bébé par sa photo, se servir d’un écran pour situer la scène : rase campagne, chez Marie, à l’auberge, chez le médecin, dans la rue… certains partis-pris restent incompréhensibles. Ainsi, lorsque tous les personnages à l’auberge urinent ensemble, les femmes de la même manière que les hommes. Par ailleurs, certains déplacements des comédiens sur le plateau ne s’expliquent pas et semblent constituer une mise en scène du jeu lui-même. Ce surplus de réflexivité et de distanciation nuit à l’émotion. D’autant que le texte est par moments un peu obscur lui aussi. Enfin, moins de cris ne nuirait pas à l’ensemble.
Néanmoins, force est de reconnaître que tous les comédiens dégagent une tension palpable. Une mention particulière pour Grégoire Monsaingeon (un Woyzeck bien dérangé) et surtout Virginie Colemyn, aussi convaincante en docteur qu’en Kathe. Cette pièce ravira donc les amateurs d’un théâtre iconoclaste. Les puristes de Büchner, eux, devront s’abstenir.

Barbara Petit

Jusqu’ au 2 avril à 21 heures, dimanche à 17 heures, au Théâtre de la Bastille.

Les Fausses Confidences

 Les Fausses Confidences de Marivaux  mise en scène de Didier Bezace.

fc.jpgSans aucun doute la mieux construite et la plus réussie de ses comédies. Marivaux l’écrivit à 49  ans en 1737, et  où les dialogues sont brillantissimes. C’est l’histoire d’une jeune veuve Araminte qui a engagé comme intendant  Dorante recommandé  par Monsieur Rémy, procureur et oncle de ce jeune homme. Lequel Dorante est amoureux en secret d’Araminte. Mais elle doit intenter un procès au comte Dorimont  à propos de terres, ou bien l’épouser. Et c’est Dubois, ancien valet de Dorante qui va tirer les ficelles de cette histoire d’amour; Marton, la femme de chambre d’Araminte est elle aussi amoureuse de Dorante mais comprendra vite, à ses dépens, qu’elle n’a rien à voir dans le petit complot qui se trame.
   Quant à madame Argante, la très autoritaire mère d’Araminte, elle déteste cordialement Dorante mais ne pourra rien faire contre lui … Et le comte Dorimont renoncera généreusement à ses prétentions. Dubois, très habile et fin connaisseur des sentiments humains, manipulera tout autant Araminte que Dorante, en se servant selon le besoins, de Marton comme du balourd d’Arlequin, le valet d’ Araminte… et arrivera à ses fins: la jeune veuve avouera à Dorante son amour.
  Dans les comédies françaises, mis à part celles de Molière, Corneille et Beaumarchais, il y en a peu dont la langue soit aussi  remarquable  » Je connais l’humeur de ma maîtresse, dit Dubois à Dorante,  je sais vos mérites, je sais mes talents, et on vous aimera, toute raisonnable qu’on est; on vous épousera toute fière qu’on est, et on vous enrichira, tout ruiné que vous êtes, entendez-vous? Fierté, raison et richesse, il faudra que tout se rende. Quand l’amour parle, il est le maître, et il parlera ». Etonnant de vérité et de virtuosité!

 Evidemment,  Didier Bezace s’en donne à coeur joie, et même si l’on connaît depuis le lycée et la fac grâce à  feu Jacques Scherer, presque toutes les répliques du texte, jamais il n’est apparu aussi clair, jamais  l’on n’a vu de mise en scène  qui mette  aussi bien en valeur la mécanique des sentiments chez Marivaux.
   Scénographie de Jean Haas en accord avec la mise en scène avec un décor et des toiles peintes au second degré, rythme de la pièce tenu jusqu’au bout, compréhension des personnages, direction d’acteurs impeccable: tout est dans l’axe. Et,  comme Didier Bezace a choisi Pierre Arditi pour jouer Dubois, c’est un vrai régal:  l’on sent tout de suite qu’il y prend un immense plaisir, et il sait imposer son personnage dès les premières répliques : l’oeil pétillant, il crée un Dubois intelligent et généreux, rusé et patient qui sait faire mûrir son projet, et qui apprécie de le voir évoluer, presque à la façon d’un entomologiste, mais légèrement cynique. Pierre Arditi sait être très présent mais sans jamais tirer la couverture à lui. Bref, le grand style.
   Anouk Grimberg est toute aussi formidable,  quand Araminte doit  vaincre ses à-priori de classe sociale et se trouver de bonnes / mauvaises  raisons pour garder à tout prix cet intendant, dont elle n’avouerait pour rien au monde qu’elle commence à très amoureuse…Et d’un regard, d’une inflexion de voix,  sans avoir l’air d’y toucher, elle dit tout des sentiments d’ Araminte. Robert Plagnol est, lui aussi, tout de suite crédible dès qu’il arrive, en pauvre intendant un peu gêné aux entournures, maladroit mais sincère et  déterminé à séduire Araminte. Marie Vialle est exceptionnelle dans le personnage de Marion , victime collatérale des machinations de Dubois, que les metteurs en scène en général mettent  entre parenthèses. Isabelle Sadoyan est vraiment drôle et tout aussi à l’aise quand elle rabroue sa fille et met plus bas que terre le pauvre Dorante. Jean Yves Chatelais ( Le Comte) , Christian Bouillette  (Monsieur Rémi) et Alexandre Aubry ( Arlequin) font aussi un très beau travail. Ce qui fait la qualité de cette mise en scène, c’est aussi  l’unité de jeu entre les comédiens.Et il y a un silence et une attention assez rare dans le public qui n’ pas ménagé ses rappels.
  Pas de petites réserves? Si peu: Didier Bezace aurait pu nous épargner quelques rappels du monde contemporain comme ce sac militaire que porte Dorante, et,  surtout après la très belle image où Marton, absolument seule, regarde les amoureux monter l’escalier, la vision de ce pauvre Arlequin, coiffé d’un casque rouge de moto que l’ on va entendre Ou cette trappe en plein centre du plateau,  comme pour nous prouver que l’on est bien au théâtre…
  Mais répétons-le encore une fois: c’est une mise en scène exceptionnelle des Fausses Confidences qu’il ne faut pas rater; d’accord, il faut faire un petit effort: c’est à Aubervilliers mais c’est à huit minutes à pied du métro Quatre Chemins, et il y a une navette jusqu’au Châtelet après le spectacle. Donc pas de mauvaises excuses…
   Après le désastreux Naufragés du Bel Espoir au Théâtre du Soleil, cela fait du bien de retrouver un texte, un scénario, une mise en scène et un ensemble d’acteurs formidables.

Philippe du Vignal

Théâtre de la Commune, centre dramatique national d’Aubervilliers jusqu’au 2 avril; 01-48-33-16-16. Puis ensuite à Saint-Quentin-en-Yvelineset en tournée.

 

Hetty

Hetty, d’après les écrits d’Etty Hillesum, création théâtrale et mise en scène d’Antoine de Staël.

 

  Antoine de Staël qui avait monté Les Justes d’Albert Camus l’an passé avec un certain succès ( voir le Théâtre du Blog) a choisi cette fois de prendre comme base d’un spectacle les Ecrits ( Journal et Lettres) d’Etty Hillesum, jeune hollandaise juive qui disparut à 27 ans, victime de la barbarie nazie.Et son épais Journal auquel elle se confie, sans savoir encore le sort qui va être le sien et celui de la plus grande partie de sa famille, frappe par son intelligence, sa générosité  et sa volonté, malgré tout, de ne pas désespérer de l’être humain, tout en restant lucide.  » La saloperie des autres est aussi en nous. Et je ne vois pas d’autre solution que de rentrer en soi-même et et d’extirper de son âme toute cette pourriture. je ne crois pas que nous puissions corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur que nous n’ayons d’abord corrigé en nous. L’unique leçon de cette guerre est de nous avoir appris à chercher en nous-même et pas ailleurs ».
  Cette écriture et cette rigueur sont étonnantes : Etty Hillesum qui a dû écrire ces lignes quand elle avait quelque vingt cinq ans, allait orienter sa vie vers toujours plus de spiritualité, alors qu’elle voyait chaque jour le malheur et le désespoir autour d’elle.
  Antoine de Staël a choisi de faire entendre cette voix unique par quatre jeunes comédiennes qui le disent et l’interprètent oralement et gestuellement soit seules soit en choeur sur une scène nue, avec juste quatre châssis noirs d’un côté et peints de couleurs primaires de l’autre côté. ( Pas exemplaires les chassis, mais bon…)
Dans une sorte de dénuement presque total, où les quatre actrices sont en stricte robe noire ou parfois nues, ce  qui n’est pas sans rappeler certains spectacles du regretté Grotowski comme Akropolis qui auraient  été revisités par Pina Bausch. Audrey Boulanger, Anne Jeanvoine, Valérie Maryane et Alexandra Sollogug forment un quatuor qui fonctionne bien , avec beaucoup d’unité même si, au début, le spectacle a un peu de mal à décoller.

  La mise en scène d’Antoine de Staël est précise, et il sait de toute évidence diriger ses actrices qui ont chacune une belle personnalité; reste à peaufiner ce spectacle encore un peu brut de décoffrage, mais où il y a de très fortes images qui traduisent bien le déchirement et en même temps la foi qu’Etty Hillesum avait dans un avenir de l’humanité qu’elle ne verrait pourtant jamais…

Philippe du Vignal

Le spectacle a été présenté pour trois avant-premières à la Maison de la Culture de Créteil.

 

TEMPETE SOUS UN CRANE

TEMPETE SOUS UN CRANE  d’après  Les Misérables de Victor Hugo, mise en scène de  Jean Bellorini.

  tempetesousuncrane.jpgLa tempête est celle qui se lève dans le  cœur plus que dans la tête de Jean Valjean: Champmathieu que l’on prend pour lui, risque d’être condamné à sa place. Et Jean Valjean,  devenu Monsieur Madeleine, le maire respecté de Montreuil-sur-mer, va, en se dénonçant, être à nouveau un réprouvé .
Le procès de Champfleury est un des morceaux de bravoure du spectacle.
Pas d’adaptation réductrice mais une  théâtralisation du roman qui suit  » la veine noire de la destinée ». L’histoire progresse par récits qui s’entrecroisent, laissant entendre la force de la langue, accompagnée par des musiciens qui la soutiennent, la rythment, l’adoucissent ou l’assombrissent, en  ponctuant le récit de poèmes d’Hugo mis en musique.
Un spectacle en deux parties: la première qui va du retour de Jean Valjean après 19 ans de bagne, sa première rencontre avec la bonté, celle de l’évêque qui passera un pacte avec lui, jusqu’à son arrivée à Paris avec Cosette, en passant par l’histoire lamentable de Fantine qui confie sa fille aux Thénardier, l’affaire Champmathieu, l’acharnement de Javert, la mort de Fantine et sa promesse tenue de reprendre Cosette aux Thénardier- la deuxième à Paris où il est devenu le bon monsieur Leblanc, l’amour de Marius pour Cosette, la vie tragique d’Eponine, les amis de l’ABC, les émeutes de 1832, le courage de Gavroche, la vengeance puis le pardon. Deux comédiens pour la première partie, cinq pour la deuxième font vivre cette fresque monumentale. « La frontière entre la narration et l’incarnation sera invisible » dit Jean Bellorini.
Nous sommes en effet dans un récit qui laisse se dessiner des silhouettes, celles de tous ces humbles qui vont être mêlés à l’Histoire, récit dominé par la figure de Jean Valjean qui a fait le choix de la bonté dans un monde où « les misérables » ne la rencontrent guère. La magie naît de la façon dont les comédiens nous font surgir des personnages et nous font parvenir le grand chant hugolien,  en se le partageant parfois, et en  le rythmant ensemble à d’autres moments.
Un plateau nu ou presque pour la première partie;  et pour la deuxième, un arbre, une charrette, et un grand panneau qui surplombe la ville où se jouent les drames intimes des hommes et des femmes,  et les audaces des émeutiers. Les dernières scènes sont portées par la musique de l’ accordéon dont joue chaque comédien, comme pour donner à ces déshérités toute leur dignité.
Un très beau spectacle qui nous fait bien entendre la colère de Victor Hugo contre le mépris des puissants.

Françoise du Chaxel


Théâtre du Soleil , Cartoucherie de Vincennes
Intégrales , 6, 7, 13, 14 mars, 01 43 43 25 58

Hélas, petite épopée apocalyptique

Hélas, petite épopée apocalyptique, écrit et interprété par Stéphanie Tesson, mise en scène d’Anne Bourgeois.

  petite.jpgCette petite épopée apocalyptique était née, nous dit Stéphanie Tesson d’un laboratoire entre auteurs et marionnettistes, il y a douze ans  à la Chartreuse de Villeneuve-les-Avignon, et des strates multiples d’écriture ont abouti à un pièce pour vingt trois acteurs, puis,  devant la difficulté du projet, Anne Bourgeois lui suggéra  de transformer la pièce en récit.
Avec une narratrice- Stéphanie Tesson- assise à une table et quelques marionnettes qu’elle manipulerait elle-même…

  L’histoire est celle du jeune Hélas qui grandit à Croitou, comme une sorte de Candide, ignorant tout du monde; un jour, il va partir et tombe sur Not to be qui se présente comme la Mort , qui s’attache à lui, au point d’oublier ses fonctions initiales: faire mourir. En même temps, si l’on a bien compris, Hélas veut retrouver le domaine de l’enfance et de l’insouciance perdues, son jardin de Croitou. Mais, comme la Mort ne peut plus exercer ses fonctions, il y a danger de surpopulation; il y a aussi un autre personnage, celui de Zizi d’époque  qui entraîne le pauvre Hélas sur les  chemins du désir sexuel. Il y a également Monsieur Touchela qui persuade Hélas de réaliser des profits commerciaux. Alors la Mort va comprendre qu’ il n’est plus désormais l’être pur d’autrefois,  et elle va se laisser mourir de désespoir.
  Cela, c’est Stépahanie Tesson, auteur qui le dit. Mais ce que nous pouvons voir sur scène n’est pas aussi évident. Pour deux raisons: d’abord, le scénario, sans doute beaucoup remanié pour que l’on arrive à cette réduction pour une seule comédienne aurait mérité d’être mieux écrit, et surtout plus clair et plus efficace sur le plan théâtral. Et le résultat ne se fait pas attendre: la comédienne qui possède à la fois beaucoup de précision orale et gestuelle, trop présente,surjoue souvent et a bien du mal à gérer cette partition écartelée entre son propre jeu et celui des marionnettes qu’elle anime.
   petitepopeapocalyptique244x300.jpgLa mise en scène d’Anne Bourgeois est précise et sûre, il y a de belles lumières signées François Cabanat, les marionnettes, surtout celle de la tête de mort et du petit squelette d’enfant à la fin, créées par Marguerite Danguy des Déserts, sont de bonne facture… Mais l’ensemble se refuse à fonctionner vraiment! Et ce mélange des genres enlève beaucoup de force à un texte écrit en octosyllabes, ce qui lui confère pourtant  une poésie et un rythme inhabituels en 2010.
  Il aurait sans doute fallu que Stéphanie Tesson  choisisse:  être une comédienne/ conteuse, ou bien une manipulatrice de marionnettes avec seulement une ou plusieurs  voix par derrière. Mais, à vouloir les deux , la comédienne ne maîtrise que son jeu à elle: le spectacle devient confus et l’on décroche vite. Comme hier, on ne comptait que quinze spectateurs ,cela ne facilitait pas non plus  les choses…
  Mais il est difficile de croire que « la simplicité de la prise de parole contraste avec la diversité des incarnations rencontrées auxquelles il se prête et qui explorent autant de genres qu’il existe de personnages rencontrés- tragédie, poésie, farce, drame, dialogue dramatique ». Au secours, tous aux abris! Il y a bien  à la fin, où la comédienne s’efface enfin, une très  belle image  en ombres portées où la Mort rencontre le petit squelette d’un enfant. Mais c’est trop tard… Et l’on peut rêver de cette légende  interprétée par des artistes du bunraku. Oui, mais seulement voilà, eux, tous en noir, sont d’une discrétion absolue et s’effacent devant leurs  poupées articulées plus vraies que nature.
   C’est d’autant plus dommage que Stéphanie Tesson a montré par le passé  bien des preuves de son savoir-faire. Mais il ne s’agit pas d’un travail en cours, et il n’y a donc pas de plan B…

Philippe du Vignal

Théâtre Artistic Athévains jusqu’au 21 mars.

Invitation Groupe des 20

Le Groupe des 20 théâtres en Ile-de-France a choisi de questionner la place du fait divers dans le paysage théâtral actuel avec

à  16h : une rencontre/ 
discussion entre observateurs–commentateurs, acteurs du réel et acteurs de plateau. Quelles paroles le théâtre redonne-t-il un espace ? Quelles parts d’ombre met-il en lumière? Avec, comme invités : Michèle Bernard-Requin , conseillère à la Cour d’appel de Paris,  Joëlle Bordet ,psycho-sociologue qui  travaille sur  la délinquance et  la lutte contre la violence, Zabou Breitman qui a créé Des gens, inspiré de Faits divers de Raymond Depardon,  Pauline Bureau qui a mis en scène les lettres de B. M. Koltès autour de Roberto Zucco,  Jacques Dor, auteur d’ Acide est le cœur des Hommes,  Arlette Farge, historienne, spécialisée dans l’étude du XVIIIe siècle et des « sans-voix » Lara Persain , actrice du collectif XK Theater Group qui développe une recherche artistique tournée vers les thématiques sociales, Pascale Robert-Diard  chroniqueuse judiciaire au Monde, Gérard Noiriel, historien et  spécialiste de l’immigration ,  Michel Vinaver, auteur qui a questionné dans son œuvre la place du fait divers, et  Daniel Zagury, psychiatre des hôpitaux.

A 20h30, aura lieu une représentation d‘Acide est le cœur des hommes
 de Jacques Dor, écrit à la suite d’une commande du Groupe des 20. Le texte est tiré d’une histoire vraie dont on parle encore aujourd’hui, 30 ans après.  Récit d’un crime et  parole d’une mère en quête d’un impossible deuil. Une vision poétique et lumineuse d’un fait divers pourtant macabre.

lundi 15 mars 2010 /Entrée libre
Maison des métallos . 94 rue J.P.  Timbaud. 75011 Paris Métro Couronnes, bus 96 Reservation@maisondesmetallos.org  t:  01 47 00 25 20

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