PASSION SELON JEAN
PASSION SELON JEAN de Antonio Tarantino, Mise en scène de Jean-Yves Ruf
Passion selon Jean, sous titré: Mystère pour deux voix. Passion, Mystère, de quoi s’agit-il? Dune version moderne de la Passion du Christ? Pas vraiment. Ils sont deux en effet, deux hommes, qui vont passer la journée à attendre dans un lieu impersonnel, la salle d’attente grise de la Caisse des pensions et retraites, qu’on veuille bien les recevoir. Ils sont deux, un malade schizophrène et son infirmier.
Nous sommes dans les années 70 en Italie, une loi a transformé les asiles de fous en hôpitaux psychiatriques, les fous sont des malades que l’on traite, qui rencontrent des psychiatres, qu’on écoute.
Le malade, Moi-Lui, se prend pour LUI, Jésus, l’infirmier, qui porte le prénom de l’apôtre bien-aimé, Jean, connaît par coeur son numéro, on ne la lui fait pas, mais ça ne le dérange pas non plus.
La journée va se passer entre délires et petits affrontements. Les quelques signaux qu’envoie le monde extérieur n’entament pas les certitudes de Moi-Lui, il est le Christ, il en a les stigmates et peut tout nous dire de son histoire. En face de lui, solide, Jean qui a bientôt fini sa semaine de travail, est là pour veiller à ce que tout se passe bien, pour vérifier que Moi-Lui a bien sur lui son numéro et son livret, puisque maintenant les malades ont des papiers, qu’il prend bien ses médicaments. Entre eux une complicité qui se traduit par un jeu autour des cigarettes interdites.
Nous ne sommes pas dans du théâtre documentaire, et ce n’est pas une pièce sur la schizophrénie. Antonio Tarantino qui écrivit pour le théâtre après avoir été designer et peintre, fut à l’origine d’un courant de théâtre, le teatro-narrazione qui replaçait l’art de l’acteur au coeur du dispositif théâtral, qui donnait la part belle à la parole. C’est un théâtre de paroles, de langues qui s’affrontent. Tarantino a donné à Moi-Lui une langue d’une inventivité folle, faite de ressassements, de mots tronqués, inventés, d’ellipses, de va-et-vient entre la réalité et le délire. Dialogue cocasse entre celui qui s’évade dans un monde à la mesure de son délire et celui qui est rivé au quotidien de sa fonction.
Paul Minthe est Moi-Lui, fragile, nerveux, absolument fabuleux de malice; d’un geste il signifie celui à qui il s’identifie , l’abandonne pour réclamer une Camel ou pour vérifier qu’il est bien sur la bonne liste, puis repart au jardin de Gethsemani. Olivier Cruveiller, massif, bougon, lui oppose la morosité rageuse d’une vie sans fantaisie. Ces comédiens ont fait découvrir le texte à Jean-Yves Ruf en l’invitant à une lecture, et il s’est passionné pour cette partition à deux voix, pour la rencontre de deux logiques, pour ce travail sur la langue de ceux qui transforment la réalité par une construction/déconstruction savante. Le spectacle est magnifique et troublant, il nous renvoie à notre peur de ce qui pour nous est étranger mais que, l’espace d’un instant, nous croyons avoir approché. Une mention spéciale à la traduction virtuose de Jean-Paul Manganaro.
Françoise du Chaxel.
THEATRE 71 de Malakoff, jusqu’au 16 Avril. T: 01 55 48 91 00
Le texte de la pièce est édité aux Solitaires intempestifs.