L’Éveil du printemps
L’Éveil du printemps d’après Frank Wedekind, mise en scène de Guillaume Vincent.
Est-il pire d’être parent d’un adolescent ou être soi-même adolescent ? Si vous ne pouvez répondre à la question parce que vous avez oublié cet âge ingrat, alors courez voir L’Éveil du printemps.
Pendant deux heures et trente minutes, de jeunes comédiens remontent le temps pour incarner des enfants de 14 ans, et nous propulser avec eux dans ce monde bien étrange. Ce temps des fêtes déguisées, où l’alcool coule à flots, la musique bat son plein, et où l’on danse, crie, court, saute, bouge en tous sens dans le pré, la forêt ou le garage des parents. Êtiez-vous plutôt comme Moritz, à rentrer tôt pour faire vos devoirs ? Ou plutôt comme Ilse, très éveillée sexuellement, à multiplier les partenaires ? À moins que vous ne fussiez comme Hans et que vous rêviez d’être pasteur à la campagne…
Si la scène d’ouverture a l’allure d’un thriller, celle qui suit tient de la comédie, et c’est le spectacle dans son entier, très cinématographique, qui oscille sans cesse du pathétique à la farce, du tragique au burlesque. Le tragique, c’est Martha, battue comme plâtre par ses parents tous les soirs, ou Wendla qui meurt d’un avortement mal fait, ou Moritz qui se suicide, âme fragile incapable d’ encaisser un redoublement scolaire dont il lit l’échec dans les yeux de ses parents, ou les jeux à se faire mal ou peur qui dégénèrent en viol, celui de Wendla par Melchior…
Le comique, c’est la scène où les élèves chantent « A, B, C » et « Do, ré, mi », alors que leur esprit émoustillé est ailleurs, c’est la scène du jugement de Melchior par des pantins masqués en robe rose, c’est Moritz nous racontant sa découverte dans les livres de « la chose » (remarquable interprétation de Nicolas Maury)… Vous l’aurez compris, L’Éveil du printemps est une tranche de jeunesse, avec l’éveil à la sexualité, avec toutes ses interrogations et ses déviances. Si, en son temps, la pièce a été jugée scandaleuse, aujourd’hui …elle ne résonne plus du tout comme telle.
Mais il faut souligner l’excellent travail scénographique et dramaturgique: le décor, inspiré de l’univers pictural d’Henry Darger, laisse planer le malaise , avec ces lampes qui ne diffusent presque pas de lumière, ou ces massacres accrochés au mur comme annonciateurs d’autres à venir, ou ces cadres kitchissimes avec des paysages de nature où l’on se perd ou se noie, ou encore ce papier-peint de mauvais goût qui donne l’envie de fuir loin de cet univers bourgeois étouffant…
Une bouteille de gaz traîne dans le salon, au moment même où quelqu’un rapporte un suicide par pendaison… Et faire les fous, ce n’est pas seulement s’adonner aux grimaces ou se bagarrer, c’est aussi jouer à s’asphyxier dans un sac plastique. Mais revenons-en au décor : une Austin mini est là, sous le plateau, pour permettre des rencontres intimes, ou des moments plus rythmés qu’a chorégraphié David Wampach. La bande-son et les costumes, font également l’objet d’une certaine virtuosité, multipliant les faux-semblants à l’image de cette vitre qui est aussi un miroir ou une vitrine. Si vous vous intéressez aux problèmes de l’adolescence, allez de toute urgence voir cette pièce, tout en sachant qu’elle n’apporte aucune réponse. La vie garde ses mystères, et le théâtre ne fait que les exhiber dans des tableaux.
Barbara Petit
Théâtre national de la Colline jusqu’au 16 avril et à Reims du 21 au 24 avril , et à Alès les 27 et 28 avril.