Richard II
Richard II de Shakespeare, traduction de Thomas Brasch, mise en scène de Claus Peymann
Après l‘Opéra de Quat’Sous monté par Bob Wilson pour quelques représentations, c’est une autre réalisation du très fameux Berliner Ensemble qui est jouée pour la première fois à Paris: Claus Peymann, moins connu en France qu’en Allemagne, a pourtant beaucoup fait pour le théâtre contemporain (à vingt-neuf ans, il monta Outrage au public de Peter Handke… Et il aida au maximum Thomas Bernhard à se faire connaître. Maintenant à la tête du célèbre Berliner fondé par Brecht en 1954, il fait aussi la part belle aux auteurs classiques: Lessing, Goldoni ou Shakespeare qui est régulièrement monté. Et ce Richard II, assez peu joué en France, est d’une qualité exceptionnelle. Cette pièce que l’on avait un peu oubliée dont on retrouve la langue d’une crudité qui fait mouche, a aussi des nuances poétiques d’une merveilleuse intensité. Grâce à Thomas Brasch, on redécouvre un texte qui apparait comme neuf et d’une grande violence.
Et puis il y a la mise en scène de Claus Peymann et la scénographie très expressionniste d’Achim Freyer, toute en noir et blanc, comme les costumes de Maria-Elena Amos qui lui donnent rigueur et force. Claus Peymann a bien mis en valeur le caractère sacré de la monarchie et la double personnalité du Roi. « Deux âmes habitent la poitrine de Richard, dit-il, son propre moi et le corps du roi d’Angleterre créé par Dieu. Ici l’individu-là l’homme politique. C’est bien un phénomène très contemporain. le politicien d’aujourd’hui fait lui aussi, la différence entre la personne et la vocation. C’est de cette schizophrénie, que souffre sa crédibilité ». Me conduire en roi avant que j’ai oublié d’être roi, dit Richard que l’on sent complètement perdu, après avoir manqué à ses devoirs et qui abdique plutôt qu’il n’est dépossédé de sa couronne par Bolingbroke. Mais qui retourne d’une certaine façon, la situation à son profit en se montrant comme une victime.
Roi peu efficace, maladroit dans sa fonction et peu scrupuleux quand il s’agit de trouver l’argent nécessaire à ses guerres et lui-même meurtrier de son oncle, il retrouvera cependant une certaine dignité, que n’a pas vraiment Bolingbroke, en se dépouillant lui-même de ses attributs royaux, avant d’être assassiné. Et c’est donc une toute autre image de Richard II, habituellement présenté comme une sorte d’esthète homosexuel , que nous offre Claus Peymann et le moment où il demande à sa femme de le quitter pour gagner la France, est à la fois simple et émouvant.
Il y a aussi cette scène formidable où Richard II essaye de s’abriter des mottes de terre et des canettes vides qui pleuvent sur lui et celle où Bolingbroke devant le corps ensanglanté de Richard enveloppé dans une bâche plastique, reconnaît que le meurtre était nécessaire mais renie l’acte du meurtrier qui pensait l’avoir délivré de sa » peur vivante »… Tout cela joué simplement sans effet inutile et à un rythme exemplaire Mais il faudrait tout citer de ce spectacle.
Et le metteur en scène sait diriger ses comédiens qui sont de grande qualité, en particulier et d’abord Michael Maertens (Richard II), mais aussi Dorothee Hartinge (la reine Isabelle), Manfred Karge (le duc d’York, Martin Siefert (Jean de Gand) et Veit Schuber (Bolingbroke). Cette galerie de personnages souvent inhumains et monstrueux s’anime devant nous et très crédibles, ils ne cessent de nous fasciner. L’ensemble de la distribution possède une maîtrise de l’espace et une unité de jeu comme on en voit peu; le public, y compris Lionel Jospin, ne s’y est pas trompé et était enthousiaste… Merci à Emmanuel Demarcy-Motta d’avoir invité le Berliner Ensemble.
Philippe du Vignal
Le spectacle s’est joué seulement quatre fois au Théâtre de la Ville à Paris mais poursuit sa carrière au Burgtheater de Vienne. Si vous passez par là, n’hésitez pas…