Macbeth
Macbeth : une lecture hatïenne d’après François-Victor Hugo.
La metteuse en scène Stacey Christodoulou, directrice artistique et fondatrice de la compagnie montréalaise The Other Theatre (l’Autre théâtre) qui travaille dans les deux langues, a déjà monté Arrabal, Heiner Muller, Peter Handke, R.W. Fassbinder et Sarah Kane. Une de ses créations collectives Human Collision/Atomic Reaction – s’est retrouvée au Festival de théâtre des Amériques en 1999. Sa feuille de route est solide et ses choix révèlent un désir d’explorer des auteurs parmi les plus importants du répertoire contemporain. Le Macbeth, une production du The Other Theatre est en très bonne compagnie et le fait que cette nouvelle version raccourcie, soit présentée en français avec des extraits adaptés en créole par Rodney Saint-Éloi (auteur et directeur de la maison d’édition haitienne Mémoire d’Encrier) nous a agréablement surpris, étant donné la quasi absence sur la scène montréalaise des artistes haïtiens.
Première réaction à chaud! Sous la direction de Mme Christodoulou, le travail de cette équipe de jeunes, issus des écoles de théâtre professionnels à Montréal, nous ont littéralement coupé le souffle.
Conçu comme une longue cérémonie de possession inspirée de l’iconographie vaudou, le jeu passionné de ces figures mythiques passe par un langage scénique chorégraphié d’une manière lente et hiératique. Le tout est d’une beauté indescriptible.
Cette mise en évidence de l’acteur dans un tel contexte, nous fait penser à ce que disait Meyerhold sur le jeu du « nouvel acteur » quand il remettait en question les conventions naturalistes. Le metteur en scène russe évoquait les « orgies » menées par les adeptes de Dionysos quand, enivrés, ils rendaient hommage à leur dieu.
Selon Meyerhold, l’acteur moderne, comme ces danseurs grecs, doit lui aussi, chercher un équilibre entre l’extase provoquée par la fête et les pas de la danse rituelle prédéterminée par la tradition. Ainsi, les émotions brûlantes sont toujours circonscrites par la technique, ce qui permet à l’acteur de donner libre cours à sa créativité personnelle sans glisser dans le chaos. Le jeu d’une précision exceptionnelle, parfaitement accordé entre liberté et contrainte, caractérise le travail de cette équipe.
Quant à la version française-créole raccourcie qui se joue à Montréal avec cinq acteurs (qui incarnent quinze personnages), elle met en relief la dynamique de transformation du roi et ses rapports avec le monde invisible qui s’empare de lui pour mettre fin au chaos. Premier signe inquiétant: les trois sorcières devenues ici prêtresses, déesses, loas, voir trois « diseuses », accroupies dans un coin, qui tissent le destin du roi, en faisant appel, en créole, au monde des esprits pour leur donner du courage.
Troublé par sa mauvaise conscience, terrifié par les signes maléfiques, (dont une figure tonton macoute brandissant une machette qui évoque des crimes cauchemardesques plus actuels), Macbeth finira par prendre goût au meurtre. Cerné par des figures séductrices qui le chevauchent et le mènent jusqu’aux crimes les plus vils, il sombrera dans un délire frénétique qui mettra fin à la cérémonie.
La figure masquée de son ami Banco, froidement assassiné, le poursuit au-delà de la mort alors que les sorcières, tantôt des danseuses séductrices, tantôt des femmes en transe ou des Erzulies folles traçant des vévés dans le sable, et incarnent les délires parfaitement orchestrés de Macbeth. Lady Macbeth, va initier son mari et lui fera accomplir l’indicible. D’un geste sec, elle écrase une orange entre ses mains, faisant gicler le jus comme du sang : signe d’une mise à mort cérémonielle, hiératique dont la cruauté du geste symbolique rend l’acte meurtrier, absent de la scène, encore plus réel. Ou encore, saisis par une expérience quasi psychosomatique, certains finissent presque en transe. C’est alors que le texte devient partition avec différents niveaux de musicalité.
La musique déclamatoire des monologues en français; certaines phrases douces en créole expriment une plus grande intimité entre les puissants alors que les voix surexcitées de la foule créolophone font ressurgir le monde inquiet du peuple. Vanessa Schmit-Craan qui joue Lady Macbeth est en passe de devenir une très grande comédienne, grâce à sa présence éblouissante, à la profonde musicalité de sa voix, et à l’aisance avec laquelle elle interprète son texte et habite son personnage. Quant à Macbeth, au moment où la folie meurtrière s’empare de lui, Philippe Racine, les yeux exorbités, une voix tonitruante qui fait tressaillir la salle, est capté par un grand spot. L’éclairage cerne cette explosion de délire.Le choc est saisissant et l’acteur bouleversant.
Tout – musique, sonorités, jeu frénétique, chorégraphie impeccable, orchestration des voix, conception spatiale, dialogue continu entre le français et le créole, éclairage, costumes – concourt à confirmer que le monde de Shakespeare envahi par le mauvais sort et les revenants, n’est pas si éloigné du monde des esprits afro-caribéens. Une création importante qui devrait tourner au Québec et ailleurs.
Alvina Ruprecht
Présenté au Centre Segal à Montréal
MSN.ca Video.