Tout ce qu’il nous reste de la Révolution, c’est Simon
Tout ce qu’il nous reste de la Révolution, c’est Simon, un spectacle imaginé par le collectif L’Avantage du Doute, conçu par Simon Bakhouche, Mélanie Bestel, Judith Davis, Claire Dumas, Nadir Legrand.
Rien d’autre sur la scène que quelques chaises et un petit canapé rouge foncé un peu affaissé; on entend, avant le début du spectacle, l’enregistrement de témoignages d’hommes et de femmes à propos de mai 68, (et qui a servi à constituer le texte du spectacle) que la majorité du public assez jeune n’a pas évidemment pas connu: amour, sexualité, luttes sociales, vie artistique, engagement et utopie politique, etc.
Les auteurs du spectacle ont recueilli ces témoignages auprès de proches parents et amis, mais aussi de lycéens de 2010: ils ont aussi filmé un adorable petit gamin, assis très à l’aise sur un canapé qui lui donne aussi sa version des faits.
Ce qui nous reste des années de lutte et l’exploration de ce passé proche mais qui ne cesse de s’éloigner, c’est le personnage de Simon, en l’occurrence Simon Bakhouche, comédien- que l’on a pu voir jouer avec notamment Rodolphe Dana, et image du père des jeunes comédiennes qui l’entourent. Avec, au début, histoire de se remettre dans le bain, une chanson de Janis Joplin passe en boucle.
C’est une mise en abyme de mai 68, avec ce que cela suppose de nostalgie, d’humour mais aussi de slogans et de brèves de comptoir. Il y a, entre autres, une démonstration de coup de matraque sur un œuf, un yaourt, un melon et un casque de moto, mais aussi des récits, des engueulades de couples mêlées à des considérations politiques aussi ridicules que comiques…
La question de l’héritage a du bon quand on la pratique de façon aussi iconoclaste, et aussi drôle. Avec un sérieux et une conviction incroyable: il faut dire que c’est mis en scène et joué à la perfection par Simon Bakhouche, Mélanie Bestel, Judith Davis, et Claire Dumas.
Il y a aussi un beau petit film en noir en blanc où l’on retrouve Simon et sa compagne d’alors, comme ils disent, devisant tous les deux sur la liberté de l’amour et la conception du couple, et cerise sur le gâteau l’histoire, qui résonne comme une fable, de Simon très jeune (vraie ou fausse, ou les deux mais qu’importe finalement), partant à la recherche de Federico Fellini et errant dans Cinecitta, puis retrouvant enfin le grand réalisateur chez lui.
Cela vient là comme par erreur, mais aussi comme une merveilleuse ponctuation finale à ce spectacle qui ne se prend pas au sérieux mais qui est remarquablement bien fait, à la fois plein de tendresse pour un monde disparu et d’humour ravageur. Et en une heure quinze, tout est dit et bien dit.
Les soirs se suivent mais ne se ressemblent heureusement pas! Après Héraclès et Gabegie 3, cela fait un bien fou de retrouver un théâtre aussi vivant…
Philippe du Vignal
P.S. : Ce qu’il me reste à moi de mai 68: un grand moment de liberté, avec ses prises de parole et ses slogans sur les murs, où quelque chose d’évident était en train de basculer, du silence impressionnant du boulevard Saint-Germain sans aucune voiture, mais aussi des lacrymogènes qui envahissaient tout le quartier, et des courses avec les C.R.S./qui n’hésitaient pas à taper sec: je n’ai dû mon bonheur qu’à mes jambes musclées de l’époque.
Je me souviens de la rue Saint-Jacques, en partie dépavée et des platanes coupés à la tronçonneuse boulevard Saint-Michel pour faire barrage.
Je me souviens des affiches sérigraphiées aux Beaux-Arts de Paris par Eduardo Arroyo et plusieurs des peintres du groupe des Malassis, et ensuite collées sur les murs.
Je me souviens des grandes assemblées au Théâtre de l’Odéon occupé comme la Sorbonne par de très jeuens manifestants, et de Jean-Louis Barrault le directeur de l’époque, viré sans ménagement par le pouvoir gaulliste pour les y avoir autorisées.
Je me souviens des tout débuts de la pilule anticonceptionnelle comme on disait alors. Je me souviens aussi de Jean-Paul Sartre, embrassant une belle jeune femme- un dimanche dans une porte cochère de la rue du Dragon déserte où j’habitais alors avec ma fiancée.
Je me souviens de Daniel Cohn-Bendit, alors étudiant à Nanterre qui habitait dan un pavillon face à celui de mes parents à Houilles et.. que, bizarrement, je n’ai jamais rencontré, alors que je retrouvais, quelques années plus tard, son ami commun du fameux trio avec Alain Geismar et lui, Jean-Claude Sauvageot, professeur l’école des Beaux-Arts d’Orléans où j’enseignais.
C’était hier, et il y a déjà presque la moitié d’un siècle.
Philippe du Vignal
Théâtre de la Bastille jusqu’au 12 juin à 19 h 30