L’Iceberg
L‘Iceberg de Nicolas Darrot, conception et installation de Nicolas Darrot, sculpture de Milan Jancic et Pascal Larus, musique d’Etienne Charry.
Nicolas Darrot est un jeune artiste , passionné par les insectes et les animaux ; le spectacle de petites marionnettes qu’il présente dans le studio de Chaillot a pour origine une gravure médiévale représentant Le Banquet des Justes ou Repas de l’Apocalypse, où les hommes sont affublés de têtes d’animaux. La bouche des Justes assumant, dit-il, « une fonction sociale de formulation du langage et une autre plus bestiale d’ingestion »; la seule différence entre humains et animaux étant évidemment la parole.
Imaginez une salle sans éclairage autre que de petits spots pointés sur une sorte d’iceberg translucide de forme ovoïde de cinq mètres environ où, juchés sur le dessus, un ours polaire d’une trentaine de centimètre discute avec un scientifique; ils attendent en fait du ravitaillement qui leur permettra de survivre. Une petite vieille habillée d’une cape , dont la voix fait davantage penser à un croassement, est venue leur rendre visite.
Et, un peu plus loin, une table où des animaux dinosaures ou pléthiosaures qui jouent de la basse et du synthé, accompagnent un chanteur. Sur les parois de l’iceberg translucide d’où sourd une lumière bleutée, sont aussi projetés des nuages et des des vagues. Les marionnettes des personnages sont animés par un ensemble très sophistiqué de tiges métalliques commandées à distance par un ordinateur pour un cycle de vingt cinq minutes.
On ne comprend pas toujours très bien ce qu’ils disent , ils parlent même trop vite ou bien se mettent à chanter, qu’ils soient humains ou animaux préhistoriques qui ont un peu de mal à jouer de leurs instruments inadaptés à leurs membres mais qui semblent accepter cette inaptitude. Mais très vite, on est pris par ce monde étrangement poétique où les repères normatifs disparaissent.
L’installation de Nicolas Darrot participe d ‘une sorte de réflexion poétique sur l’ homme, l’animal et le cosmos , si on a bien compris les choses; c’est en tout cas une petite merveille d’invention et de sensibilité plastique et dramatique, puisque chaque personnage la voix d’un comédien parfaitement synchrone avec l’articulation de sa bouche; on peut, baigné dans la musique électronique d’Etienne Charry, s’approcher au plus près des marionnettes ou les regarder, assis, d’un peu plus loin. Ni le temps ni l’espace ne sont vraiment situés mais, en tout cas, la vision pendant cette petite demi-heure de ces personnages ne peut laisser indifférent et suscite une réflexion philosophique, et sur la survie de l’humanité, et sur nos lointains antécédents animaux… Bref, même si cette installation théâtrale au sens premier du terme, peut générer une certaine angoisse, elle est aussi fascinante de beauté.
Pour enfants, aussi? Oui, l’association humains / corps d’animaux au théâtre comme dans les fables n’est pas nouvelle, et remonte à l’Antiquité, ( les Egyptiens, les Grecs, les Latins comme les Indiens dont notre bon La Fontaine s’est inspiré, etc…) et elle n’a jamais cessé de nous interroger pour notre plus grand plaisir. L’Iceberg de Nicolas Darrot est une belle réussite qui ne draine cependant pas les foules: raison de plus pour aller voir cette installation… L’entrée est libre et gratuite: vous pouvez arriver quand vous voulez ( mais mieux vaut venir au début du cycle) et vous pouvez aussi ressortir quand vous vous voulez.
Philippe du Vignal
Théâtre National de Chaillot au Studio, jusqu’au 19 juin du mercredi au samedi. Nicolas Darrot est représenté par la galerie Eva Hober.
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L’exposition est prolongée jusqu’au 19 juin.
Nicolas Darrot