L’impardonnable revue pathétique et dégradante de Monsieur Fau
L’impardonnable revue pathétique et dégradante de Monsieur Fau, mise en scène d’Emmanuel Daumas, avec Michel Fau.
Le sacre de Michel Fau, Roi de Cœur !
C’est une Revue revue ! Le Rond-Point produit et accueille la nouvelle revue française, mille fois bravo ! Le genre de la revue est à revisiter, comme l’ont été le cirque ou la danse, et ce coup d’essai est un coup de maître. Michel Fau a choisi comme thème la grandiose impudeur des sentiments : le cœur s’y révèle à nu, tout palpitant, assez féroce, terriblement avide et insatiable. Le cœur grimpe aux rideaux, fait des bêtises, hurle, gémit, se roule par terre : « Je suis moche ! Je veux qu’on m’aime ! Regarde-moi ! Prends-moi ! Viens ! Ne reviens pas ! »
Michel Fau est le Roi de cœur. On le voit se consumer lui-même dans le feu de l’enfer passionnel – et professionnel ! – en grand comédien qui sait aller loin. Faire rire puis retourner le public d’un seul coup. Et la salle explose de rire, et l’instant suivant reste impressionnée et silencieuse. On rit beaucoup certes, mais avec l’élégance du désespoir. Le rire vient des décrochages, des accidents imprévus, des petites tricheries de l’amour-propre. C’est d’abord un spectacle poignant sur l’être humain, homme ou femme, éperdu d’amour.
Michel Fau a joué Shakespeare et Claudel avec talent. On l’a vu et admiré dans de nombreux spectacles d’Olivier Py. Il a aussi mis en scène des pièces – Maison de poupée- et des opéras – on avait vu à Dijon sa magnifique mise en scène de Madame Butterfly de Puccini -. Tout cela a nourri son art.
Il brille ici en majesté. Il est femme, il est homme, il chante, joue, bouge avec un extraordinaire sens du rythme, du plateau, du public. Il a l’engagement total et la rigueur d’un grand acteur de kabuki, d’une diva d’opéra, d’un meneur de revue. Il est une sorte d’incroyable Joconde qui tient fermement le public sous son regard.
Le théâtre s’incarne à travers chaque histoire, avec une entrée qui démarre au quart de tour, un développement et une chute, tout cela en quelques minutes. C’est le principe de la Revue, chantée et jouée, toute auréolée de plumes, parures, soyeuses couleurs (robes très réussies de David Belugou), petites lumières et grand escalier, avec changement total à chaque épisode.
Cela va vite, cela accroche mais suppose une technique impeccable. Les variations s’enchaînent à vive allure sur un même thème. C’est une forme qui n’a rien de naturel. Mais à travers un maquillage qui fait penser à ceux du théâtre japonais qui en devient presque un masque, à travers des déplacements et des gestuelles archi codées, la liberté de l’acteur est pourtant très grande. Elle se voit mieux puisqu’elle part d’une connivence avec le public qui attend avec jubilation les variations inspirées à l’acteur sur un modèle connu de tous.
Quant à la vérité des sentiments, elle est poignante. Complètement transposée. On pense au cinéma muet, à l’opéra, à la commedia dell’arte, à la noblesse de ces grandes formes de l’art scénique populaire dans lesquelles la revue a sa place. C’est « criant de vérité », comme on dit, parce que ce n’est pas vrai du tout. Le choix des chansons et des textes poétiques, cocasses et savoureux, est très bien fait, et on aimerait pouvoir en citer les auteurs qui ne sont pas indiqués dans le programme. Michel Fau n’est pas seul. Deux excellents danseurs de revue, Delphine Beaulieu et Joël Lancelot, qui l’accompagnent avec grâce, donnent le contrepoint de vrais numéros de revue, rappellent les pôles féminin et masculin et permettent des changements rapides de costumes sans interruption de jeu.. La mise en scène, les costumes et la scénographie sont à l’unisson : beaucoup d’art et d’artifice pour aller vers la vérité, loin dans la vérité. Un spectacle à ne pas rater.
Evelyne Loew
Théâtre du Rond-Point, jusqu’au 27 juin.