Le vent dans les peupliers (Heroes)
Le vent dans les peupliers (Heroes) de Gérald Sibleyras,
Connu en français sous le titre Le Vent dans les peupliers, la pièce de Gérald Sibleyras devient Les Héros (Heroes) dans la traduction anglaise de Tom Stoppard. Curieux choix puisque ce nouveau titre indique un changement radical quant à la signification de l’œuvre. Le vent dans les peupliers, évoque les traces de mémoire alimentées par la vue de ces arbres élégants balayés par le vent à l’autre bout du champ derrière la maison où habitent trois camarades de la Grande Guerre : Gustave, Henri et Philippe. L’image du peuplier interpelle nos trois « héros » par cette allusion à la liberté qui évoque les souvenirs de leur passé militaire auxquels ils se cramponnent pour ne pas s’étouffer d’exaspération dans cette maison gérée par des bonnes sœurs.
Le titre en anglais, évoque lui une œuvre ironique qui annonce plutôt la confrontation entre les trois camarades fatigués de leur vie et à la recherche d’une aventure à la hauteur de leurs possibilités. Il enlève donc toute la portée symbolique de l’œuvre, et justifie un jeu quasi réaliste, en mettant en évidence le côté comique du récit.
Le résultat est malgré tout amusant, et touchant, avec des moments de tristesse. Et le trio d’excellents acteurs nous emporte pour toute la durée du spectacle. Trois vieux camarades , se retrouvent donc sur la terrasse d’une maison destinée aux retraités de la Première guerre mondiale. C’est ici qu’ils doivent terminer leur jours dans une inactivité et un ennui insupportables. La grogne de Gustave s’oppose au sens de l’humour enragé de Henri, alors que Philippe, vieux .gentleman optimiste et conciliateur mais touché par la mort des autres pensionnaires, n’arrive pas à contrôler sa jalousie , quand il apprend que Gustave a le droit de lire la correspondance familiale de Henri. Les trois sont néanmoins de très bons camarades qui, malgré leurs différences, se défendent mutuellement et ce lien profond est le point de départ d’une aventure émouvante pour eux. lIs ont en effet pris possession de cette terrasse, et en interdisent l’accès à tous les autres pensionnaires de la maison, sous « peine de mort ». En effet, c’est ici qu’ils peuvent se raconter leur secrets et s’exprimer librement au sujet de tout ce qu’ils détestent de cette maison, surtout l’attitude autoritaire de la sœur Madeleine qui leur interdit tout plaisir dans cette « prison ».
Un gros chien en pierre leur tient compagnie. Il empêche les autres d’y entrer (Henri est convaincu que le chien bouge) et surtout il ne fait pas de bruit, ce que le trio apprécie par dessus-tout. Un jour, ils décident de partir vers la liberté, là où se trouvent les peupliers de l’autre coté du cimetière, en effet, au-delà de la mort. Ils préparent leur stratégie de départ comme de vrais militaires et, dès lors, leurs rapports avec la vie semblent se transformer. L’espoir de sortir de cette « prison » les incite à manifester leur indépendance, même s’ils ne peuvent se mettre d’accord sur la manière de la réaliser. ..
Très vite, Gustave, pris de panique, se rend compte qu’il ne peut supporter la vie à l’extérieur de la maison. Puisqu’il boîte, Philippe craint de ne pas tenir le coup, et Henri, trop souvent victime d’évanouissements dus à une blessure de guerre, a peur de s’engager. Leur entreprise semble donc condamnée d’avance.
Reste, cependant la signification symbolique de leur escapade , ce que la scénographie ne rend pas du tout . Puisque les peupliers dont ils ne cessent de parler deviennent le signe d’une libération désirée, quelque chose à quoi ils aspirent, mais qu’ils ne peuvent atteindre, nous ne devrions pas les voir! La réalité matérielle tue la magie du symbole, comme disait Maeterlinck, et ici, cela n’a jamais été si vrai… Le scénographe a en effet peint de gros arbres laids sur la toile de fond, directement derrière le mur en pierre placé derrière leur petite terrasse, comme pour insister sur le cloisonnement de leur monde. Cette représentation concrète d’une prison n’était pas nécessaire, puisque tout passe dans l’ imagination des trois pensionnaires et leurs échanges pétillants de vie.. Mais le texte est bien écrit, (et bien traduit) et le trio de comédiens est superbe: ils sont tellement à l’écoute de leurs discours mutuels que leur travail dépasse cette défaillance et nous fait envoler avec eux vers le monde des plaisirs interdits.
Un merveilleux moment de théâtre qui pourra toucher tous les âges.
Heroes de Gérald Sibleyras, traduite par Tom Stoppard, Irving Greenberg Theatre Centre à Ottawa dans une production du Great Canadian Theatre Company, jusqu’au 27 juin.