Cahiers Armand Gatti
Cahiers Armand Gatti, revue annuelle N° 1. 2010
C’est un gros volume publié sous la houlette de Jean-Jacques Hocquard qui retrace la vie militant et le parcours d’Armand Gatti, figure légendaire du théâtre contemporain qu’en fait peu de gens, parmi les jeunes générations connaissent vraiment. Revenir à Gatti, comme l’écrit David Lescot, auteur contemporain, « c’est relire les pièces d’avant La Passion du Général Franco, d’avant la rupture avec l’institution théâtrale » (….) Le Gatti qui est le mien celui auquel je ne cesse de me reporter, c’est d’abord celui de la première période, celui de La Vie imaginaire de l’éboueur Auguste G. , de Un Homme seul, de Chant public devant deux chaises électriques, les pièces montées dans les grands théâtre parisiens ou de la décentralisation, ces pièces aussi à qui plus personne aujourd’hui dans le théâtre officiel ne songe à redonner vie ».
La Passion du général Franco vues par les émigrés eux-même, après avoir été interdite par le gouvernement en 68 à Chaillot, avait été montée par Gatti lui-même en 1976! Soit un an après la mort du dictateur. C’était aux entrepôts Calberson, boulevard Ney à Paris,vaste et délicieux endroit tout en béton où faire du théâtre tenait de la gageure; la forme de théâtre politique que Gatti voulait faire passer impliquait des rapports fondamentalement différents entre comédiens et public. Ce théâtre qui se voulait généreux, populaire et pédagogique était issu du théâtre documentaire allemand, via surtout celui de Brecht et de Piscator, où toute émotion, tout pathétique était prohibé.
C’était comme le rappelle Catherine Brun, auteur d’un chapitre : Le chant de la lutte, une sorte de prélude à des discussions politiques, et qui donnait la part belle à la forme, que Gatti voulait innovante. Mais il faut bien reconnaître qu’à part quelques moments où justement où le théâtre échappait à cette radicalisation,il y avait, dans ces spectacles de singuliers tunnels d’ennui, même si perçaient parfois quelques moments de poésie, « le poème étant, pour Gatti, la justification du théâtre ».
Ensuite l’image de l’auteur-metteur en scène est devenue, semble-t-il, plus floue:on l’a vu diriger nombre de stages avec des groupes de jeunes de banlieue, comme Ces Empereurs aux ombrelles trouées, créé au Festival d’Avignon, qu’on était prié de regarder en partie debout dans une chaleur suffocante, et là aussi d’un ennui auquel il était difficile d’échapper. Et où plusieurs jeunes femmes s’évanouirent… » Le spectacle sans spectateurs ( rien que des créateurs) », pour reprendre sa formule ,relevait d’une belle utopie et avait sans doute vécu…
Gatti travaillera ensuite, comme on l’a dit, avec des groupes de jeunes, des détenus, des travailleurs à l’occasion de la célébration de tel ou tel événement. Il fera aussi œuvre de cinéaste engagé avec des films comme Passage de l’Ebre ou Nous étions tous des noms d’arbre. Gatti depuis sa jeunesse dans la Résistance aura été de tous les combats contre l’intolérance, avec pour seule arme le langage auquel il est attaché, comme l’est aujourd’hui Roberto Saviano, l’auteur de Gomorra que l’on pu voir cette semaine au Théâtre de la Ville, et qui fait l’objet d’un contrat de la mafia napolitaine… ( voir Le Théâtre du Blog demain).
Ce livre a le mérite de retracer tout le parcours artistique d’Armand Gatti- poète du théâtre mais aussi envoyé spécial en Amérique centrale, Chine, Corée du Nord, etc…, de parler de son théâtre joué ou lu un peu partout, et de faire découvrir la personnalité de cet infatigable auteur/ metteur en scène.On peut ne pas être vraiment en accord avec son théâtre mais il aura eu au moins le grand mérite de contribuer à mettre en place des dispositifs fictionnels et scénogaphiques qui auront, en quelques trente ans, contribué à bouleverser le paysage théâtral européen.
Il y a de très nombreuses photos de ses spectacles, (dont une à l’envers mais ce n’est pas grave); cela aurait été bien aussi que leur légende mentionne aussi le nom des comédiens des spectacles mais bon…les études universitaires sont solides et, malgré le côté un peu estoufadou de ce livre collectif, elles se lisent facilement.
Philippe du Vignal
Cahiers Armand Gatti, revue annuelle n° 1 2010; prix: 22 euros