La Bellezza e l’Inferno
La Bellezza e l’Inferno de et par Roberto Saviano, en italien, traduction simultanée par Patrick Bebi, mise en en scène de Serena Sinigalia.
Roberto Saviano , à 31 ans, est maintenant célèbre pour son fameux roman Gomorra,traduit en 42 pays et tiré à quatre millions d’exemplaires et dont un film a été tiré et primé à Cannes en 2008.
La Beauté et l’enfer, est un recueil d’articles parus, avant et après Gomorra, où il n’a cessé de dénoncer les crimes en tout genre de la Camorra napolitaine; ce qui lui vaut de n’avoir plus de domicile fixe et d’être protégé jour et nuit par la police. La marionnette Berlusconi qui n’en est pas à une injure ni à une bêtise près, l’accuse de promouvoir la maffia et de ne pas donner une très belle image de son pays!
Pourtant, ce qu’il dévoile dans ce monologue porté à la scène avec l’aide de Mario Gelardi, a de quoi donner froid dans le dos, puisque les mafieux napolitains et les autres ont même réussi à investir de l’argent sale aussi en France,(hôtels, boutiques de luxe et tourisme…) Roberto Saviano dénonce haut et fort leurs énormes bénéfices financiers, en particulier dans un soi-disant traitement des déchets dans le Sud de l’Italie, sans que ni les politiques ni les intellectuels ne disent rien. Ce long monologue de près de deux heures commence très fort, avec une immense ovation debout et il reste, malgré la barrière de la langue traduite et retransmise par écouteurs, d’un bout à l’autre tout à fait passionnant, même si les vingt dernières minutes s’essoufflent un peu.
Saviano commence par remercier ses collaborateurs et la forme même du Théâtre qui lui permet de récupérer un espace de liberté. » Seul le théâtre, dit-il, me le donne:dédié au mensonge, il dit la vérité « .
Et il rend hommage aux deux et belles jeunes femmes iraniennes Neda et Tarane tuées par la police lors de manifestations et dont la photo s’affiche sur grand écran. Puis le jeune écrivain avoue humblement n’être pas un acteur; encore trouve-t-on peu d’acteurs aussi capables d’avoir une telle présence scénique! Il s’en prend ensuite à Nobel, horrifié par sa découverte de la nitroglycérine, et à la Kalachnikov et à son inventeur le vieux maréchal du même nom, création industrielle qui a fait tuer des millions de gens de par le monde, et se moque de Starck le designer qui en a fait une lampe! Il fait ensuite passer ce lourd fusil parmi le public…Effet pédagogique garanti!
Saviano raconte ensuite l’horrible massacre par les mafieux napolitains de six émigrés africains criblés de balles près de Naples dans une cité abandonnée Castel Volturno, et leur redit son admiration pour s’être levés en masse contre cette barbarie: « ceux qui sont venus faire les travaux que les Italiens ne veulent plus faire, qui ont défendu nos droits les plus élémentaires ». Et ses paroles sont illustrées, à chaque fois par des extraits de film tout à fait convaincants! Il parle aussi de Francesco Cavone, l’un des chefs de la Camorra , emprisonné depuis dix ans comme son fils, et de la lettre qu’il lui a envoyé pour l’adjurer de se repentir et de collaborer avec la police, de façon à donner enfin un sens à sa vie…
Et Saviano s’en prend aussi aux hommes politiques comme Nicola Cosati , ministre de la famille qu’il accuse, sans détour d’avoir des liens avec la maffia. Les mots sont nets et précis: » Vous êtes devenus des marionnettes, alors que vous croyez être des marionnettistes ». Et il dénonce sans hésitation la machine économique ultra puissante que la maffia a réussi à mettre en place et qui a gangrené jusqu’au plus haut sommet de l’Etat italien, et a même étendu son pouvoir jusqu’en Espagne ou en Allemagne, au Maroc… et en France! Mais Saviano évoque aussi des personnalités qui n’ont jamais cédé, jamais accepté de renoncer à leurs idées comme les écrivains Primo Levi, Varlam Chalamov ou Vassili Grossmann à Treblinka, ou encore le célèbre écrivain nigérien Ken Sao-Wiwa, (condamné et pendu par le dictateur Abada, parce qu’il avait osé dénoncer la pollution en mer des industries pétrolières dans le delta ). La Shell avait été obligé de verser une énorme compensation financière au peuple Ogi qui subissait cette pollution pour éviter un procès. Ou des hommes qui se sont battus contre une maladie qui les pénalisait gravement comme le footballeur Lionel Messi ou le pianiste Michel Petrucciani sur l’art duquel il finit cet exorcisme du mal et du malheur qui s’abat sur les hommes.
Ne renoncez jamais à vous battre contre le crime organisé comme celui qui sévit actuellement sur l’Italie, même si votre vie est mise en danger, nous dit, avec un courage formidable, ce jeune écrivain qui se sait menacé de mort en permanence, et dont la seule force-mais quelle force!- reste celle de la parole. Et le public l’a de nouveau applaudi très longuement et très chaleureusement. On lui souhaite que sa lutte soit enfin le point de départ d’une véritable reprise en main de l’Etat sur le pays tout entier qui, pour le moment, n’a de démocratie que le nom.
Merci à Emmanuel Demarcy-Motta qui a bien fait de l’inviter au Théâtre de la Ville, même s’il n’y a pu y avoir qu’une seule représentation.
Philippe du Vignal
Théâtre de la Ville lundi 21 juin