Giusto la fine del mondo
Giusto la fine del mondo/ Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Luca Ronconi.
Comme on le sait, nous avons deux auteurs contemporains joués sans cesse un peu partout : Bernard-Marie Koltès et Jean-Luc Lagarce ( 1957-1995 dont les pièces furent peu connues de son vivant, et dont la plupart ont pour thème les conflits familiaux: entre autres). Derniers remords avant l’oubli, J’attends que la nuit vienne et Juste la fin du monde écrite cinq ans avant sa mort. Juste la fin du monde a été souvent montée en France, notamment par Michel Raskine dans une très belle mise en scène à la Comédie-Française, mais aussi par Bernard Lévy et François Berreur…
C’est, non pas une véritable histoire, mais un moment de la vie de Louis, un jeune homme de 34 ans , malade, qui se sait condamné et qui revient dans sa famille qu’il n’a pas vue depuis quelque dix ans. Il vient annoncer à sa mère, à sa jeune sœur Suzanne, à son frère Antoine et sa femme Catherine , qu’il est très atteint et qu’il va bientôt mourir. Mais , vite passés les premiers instants de retrouvailles, le dialogue espéré tourne au monologue, chacun proférant ses accusations et ce qui aurait pu être un moment de bonheur tourne au cauchemar: sur fond permanent de vieilles querelles familiales, les malentendus que l’on croyait enterrés depuis longtemps resurgissent aussi bien que les règlements de compte sournois qui font mal.
La mère de Louis lui reproche son silence et son absence alors qu’ elle aurait eu tant besoin de lui, Antoine qui ne s’est en fait jamais bien entendu avec Louis, on ne sait pas trop pourquoi, devient même violent: « Si tu me touche , je te tue ». La pièce est écrite dans une langue acérée, où les mots prolifèrent, se répètent, où les courtes phrases sont souvent négatives: » mais si ce n’est pas vrai », » Nous ne savons pas où tu es » » Tu n’es pas encore parti »… Pour dire l’angoisse , le malheur et la solitude de Louis qui comprend sans doute que les choses ne sont peut-être pas si graves que cela mais que le temps a passé inexorablement: il n’y a plus grand chose de commun désormais entre ceux avec qui il a vécu autrefois, des êtres qui constituaient pourtant toute sa famille. Et de sa maladie et de mort prochaine, il ne parlera finalement pas, le silence étant, semble-t-il, la seule protection dont il puisse s’envelopper.
Luca Ronconi a choisi pour sa mise en scène un espace très limité: une scène étroite et toute en longueur aux couleurs brunes et grises avec quelques chaises noires, deux gros fauteuils et un pouf recouverts de tissu imprimé gris, avec un éclairage des plus parcimonieux. Au-dessus de la scène un écran affiche le numéro des scènes – sans doute une très fausse bonne idée. Et il y a en bas de la petite scène installée sur la grande , un petit écran où défile le texte français.Les cinq acteurs du Piccolo Teatro: Riccardo Bini, Francesca Ciochetti, Pierluigi Coralio, Melanie Giglio et Bruno Rossi sont sobres et précis, et la direction d’acteurs est d’une rigueur exemplaire comme toujours chez Ronconi.
Mais pourtant cela ne fonctionne pas bien du tout. Sans doute pour plusieurs raisons: d’abord la scène comme la salle du Théâtre de la Ville ne sont pas adaptées à cette pièce intimiste: tout se perd donc un peu, la traduction simultanée de ce texte truffé de longs monologues n’est pas bien visible et dans cette semi-obscurité presque permanente, l’on décroche assez vite quand on ne comprend pas l’Italien, d’où cette hémorragie permanente de spectateurs, ce qui n’arrange pas les choses… Question de langue, peut-être mais la mise en scène de Luca Ronconi est le plus souvent statique: cela peut être un parti pris mais comme le spectacle dure quand même deux heures et quart, et il y a comme un solide ennui qui s’installe, surtout au début. Il aurait sans doute fallu que Ronconi fasse quelques coupes et choisisse un meilleur éclairage pour le Théâtre de la Ville. Dommage…
Alors à voir? Peut-être si vous connaissez déjà le texte mais, même avec de grandes qualités, le spectacle représente quand même une épreuve. A vous de choisir.
Philippe du Vignal
Le spectacle s’est joué les 23 et 24 juin.