Memorandum pour Anna Politkovskaïa (une femme non rééducable)
Memorandum pour Anna Politkovskaïa (une femme non rééducable), de Stefano Massini, mise en scène d’Anton Kouznetsov.
C’est une belle idée de François Rancillac, fédératrice et généreuse, qui a conduit les théâtres de la Cartoucherie à s’associer pour accueillir les travaux de fin d’année de plusieurs écoles supérieures de théâtre : Bordeaux, Cannes, Paris, Lausanne. Une opportunité pour le public de la région parisienne. Cela aura été également l’occasion pour les comédiens de se rencontrer et d’aller se découvrir d’un plateau à l’autre.
C’est le premier Festival des écoles du Théâtre public à la Cartoucherie, et nous avons pu voir à l’Aquarium, le travail des élèves de la séquence 6 de l’Académie, Ecole Supérieure Professionnelle de Théâtre du Limousin dirigé par Pierre Pradinas, et dont le responsable pédagogique est Anton Kouznetsov). Spectacle impeccable, véritablement professionnel, que les jeunes comédiens ont créé et porté avec une ferveur qu’Anton Kouznetsov a su la transmettre aux acteurs, qui , eux-mêmes, la transmettent au public. Des spectateurs demandaient comme une évidence, où le spectacle allait se reprendre à la rentrée, afin de pouvoir envoyer des amis. Souhaitons donc un bel avenir à cette excellente équipe …
Anna Politkovskaïa, le visage même du courage: un courage simple qui consiste à faire son métier consciencieusement, là où on le doit, sans concession, sans arrangements de confort personnel, en toute intégrité et vérité, au début du XXIème siècle. Une femme russe parmi les nombreux journalistes, grands reporters, écrivains, qui risquent leur vie pour témoigner. Un journaliste italien , Roberto Saviano, en parlait aussi récemment au Théâtre de la Ville, (voir Le Théâtre du Blog)…
Le texte est juste et clair, et permet le jeu, alternant les moments intimes et les moments publics, les articles, les interviews, les notes personnelles. Grozny dévastée. Vienne, dans une chambre d’hôtel : le bonheur insensé d’avoir de l’eau courante au robinet. Le réveil dans un hôpital après une tentative d’empoisonnement. Les négociations avec les terroristes. Les menaces, encore les menaces, les menaces contre la famille, les enfants. Rentrer en Russie ou pas ? La responsabilité d’écrire, toujours …
Enthousiasmant, ce collectif de jeunes comédiens, tous excellents, qui défendent la partition chorale, alternant récit direct, scènes et chants. Captivants et beaux : on les voit et on les admire tous, parce qu’ils sont ensemble, même dans les solos. Ils ont appris à dépasser leur narcissisme et à se mettre au service de la scène, du texte et du public. Un esprit de groupe digne du théâtre public le plus noble. Bravo. Incroyable aussi cette force de la parole et de l’écrit. A travers la vie d’Anna Politkovskaïa, triomphante malgré tout par-delà sa mort, et grâce à cette forme théâtrale simple et directe, on a la preuve que la parole de témoignage, de protestation, n’est pas un « vain mot » ; juste et responsable, elle compte et , dans une belle mise en scène, elle passe la rampe en beauté. Rappelons qu’en Russie, depuis mars 2000, 22 journalistes ont été tués en raison de leur activité professionnelle.
Aujourd’hui, les meurtriers d’Anna Politkovskaïa n’ont toujours pas été arrêtés : l’enquête stagne, mais le témoignage de cette journaliste est diffusée dans le monde entier et ce spectacle est à la hauteur pour y contribuer.
Evelyne Loew
Memorandum, au Centre Culturel de Thorigny-sur-Marne du 9 au 16 juillet, puis, en région Limousin à l’automne : voir site du Théâtre du Limousin.
Le texte est édité par L’Arche, traduction Pietro Pizzuti.
Suite du festival des écoles à la Cartoucherie de Vincennes : Théâtre de l’Aquarium, Théâtre de la Tempête, Théâtre de l’Epée de bois, Théâtre du Chaudron, avec l’aide du Théâtre du Soleil, de l’ARTA, et de l’Atelier de Paris, jusqu’au 4 juillet.