L’asticot de Shakespeare
L’Asticot de Shakespeare, textes de Baudelaire, Caubère, Caussimon, Giono, Jankélévitch, et surtout Shakespeare. Spectacle de Clémence Massart mise en scène par Philippe Caubère.
Ça fait partie de la mélancolie de Shakespeare : le monde est une scène, où nous jouons plus ou moins bien notre rôle, et au bout du conte (il n’y a rien à compter), bien empiffrés, nous servons à notre tour de festin aux vers. Yorick, le pauvre Yorick qui était si drôle quand il faisait sauter sur ses genoux le petit Hamlet : aux vers ! Juliette, fausse morte puis vraie morte dans le tombeau de ses ancêtres : aux vers ! Mercutio : aux vers ! Tous !
Et de Baudelaire , la belle amante de La Charogne : aux vers ! Quelle triste homonymie entre ces voraces ultimes et les formes de la poésie…
En fait de mélancolie, Clémence Massart a choisi celle du clown. Promenez-vous déguisés en ver blanc (genre abat-jour japonais) et vous verrez : en donnant un peu de la voix, on arrive à une Annie Cordy qui aurait encore moins peur de faire peur.
Avec un faux nez, on peut vous parler droit dans les yeux de la mort. Il faut bien cela pour imposer au public médusé un passage du Grand troupeau, de Giono : l’horreur est là, vigoureuse, objective, précise, lisez donc le livre pour vous en convaincre, et, si vous l’osez, à haute voix. Elle, elle le fait magistralement.
Ça marche moins bien avec le philosophe Jankélévitch : les petits pas de la pensée sont balayés par la silhouette grotesque du bonhomme. Dommage. Baudelaire résiste avec plus de force, et Shakespeare, donc ! L’actrice, qui a trempé le temps de quelques tournées dans le Footsbarn, y est chez elle, au comble de la virtuosité. Apparaissent le fossoyeur, Hamlet, le crâne de Yorick, on y verrait presque les asticots, et sa propre mélancolie. Distance, distance : pour cette fois, après sa Vieille au bois dormant, elle ne revêt que des personnages masculins, une veste, un couvre chef, un coup d’accordéon par ci, un coup de trompette par là, sans éviter, crânement, la sonnerie aux morts. Rire de défense, rire de dérision, qui détruit tout, rire enfantin devant le culot de la performance, rire né de l’exercice du droit de chacun au « mauvais goût », le public est mort de rire : c’est la moindre des choses.
Christine Friedel
Avignon Off – Théâtre des Carmes-André Benedetto, à 20h15 , jusqu’au 31 juillet
P.S. Il y eut, en son théâtre, des hommages à André Benedetto, émouvants, sérieux, drôles, vigoureux. Il manquait quand même quelqu’un: André Benedetto, dont les paroles habitaient le corps vivant. Dites par d’autres, elles s’affaiblissent.