LE GROS, LA VACHE ET LE MAINATE
Le gros, la vache et le mainate, opérette barge, de Pierre Guillois, mise en scène Bernard Menez.
Mais n’te promène donc pas tout nu !
L’opérette barge de Pierre Guillois a bien la cocasserie et la verve de la célèbre pièce de Feydeau, ainsi que le côté provocateur, imprévu, hors de toute convenance, qu’a le plus souvent le sexe. Mais, dans cette version résolument contemporaine, le « toute nue » s’est transformé en « tout nu ». Le désir s’affiche au masculin. Il surgit à chaque coup de sonnette avec toute la grâce ingénue nécessaire – celle de Luca Oldani -, et ce sera Monsieur – excellent Olivier Martin-Salvan, comédien et chanteur – qui attendra un heureux événement …
Pierre Vial et Jean-Paul Muel, deux grands maîtres du théâtre, incarnent d’inénarrables fées, tombées du ciel, ou de l’enfer, au choix. Deux bêtes de scène réunies à l’impromptu pour l’arrivée de bébé. Un duo extrêmement drôle, d’une grande virtuosité, alias tante Chose et tante Schmurtz, dans leur ébouriffante panoplie de vêtements.
Autre ressort de cette opérette barge : les rebondissements de théâtre dans le théâtre menés avec un sens du rythme exact, et dont je ne veux rien révéler car ce serait dommage de les désamorcer en livrant leur secret. En tout cas le « timing » est formidable, le meneur-présentateur, Bernard Menez, est plus vrai que nature, aucune situation ne s’installe, jamais on ne languit.
Sans dévoiler l’intrigue, je peux juste dire qu’au bout d’un moment c’est l’auteur lui-même, dans le personnage d’une voisine, qui intervient sur le plateau pour tenter de remettre de l’ordre dans le chaos des situations qu’il a lui-même entrelacées avec adresse.
C’est foutraque, loufoque, joyeux, c’est libre surtout !
Ca chante aussi, comme il se doit dans une opérette. Une pianiste sur le plateau, des chansons bien enlevées, surtout bien intégrées dans le jeu. Du beau travail.
Voilà pour les « bêtes de scène », elles tiennent leurs promesses et au-delà. Quant aux animaux, oui, le mainate réalise une belle prouesse. Et la vache ? Où est-elle donc passée ? Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas elle qui apparaît sur le fond vert acide de l’herbe et des frondaisons lorsque se produit l’ouverture traditionnelle du fond du théâtre sur la pente de la montagne. Ce moment est toujours absolument magique – il faut avoir vu cela au moins une fois dans une vie de spectateur ! – c’est un choc, de jour comme de nuit, que cette soudaine irruption de la nature et de ses lumières dans une salle de théâtre.
Le public du Théâtre du Peuple, très nombreux, rit beaucoup, en dépit du caractère provocateur des situations. Oui, n’en déplaise à ses contempteurs, le Peuple existe toujours, il est chaque été sur les bancs de Bussang et il est ravi d’accompagner l’opérette la plus barge et la plus contemporaine qui soit ! Il l’a prouvé par des applaudissements nourris. Cela fait bien plaisir.
Les comédies d’aujourd’hui sont relativement rares, en dehors des solos du café-théâtre. Ainsi ces créations d’auteurs commandées par le théâtre de Bussang, pour un grand plateau et un grand public populaire, comme cela avait été le cas, par exemple, avec les très réussis Ravissement d’Adèle de Rémi De Vos ou Les Affreuses de Pierre Guillois, et comme ce sera le cas la saison prochaine avec Marion Aubert, sont vraiment bienvenues dans le paysage théâtral.
Evelyne Loew
A Bussang (Vosges), Théâtre du Peuple, jusqu’au 28 août.
Puis en tournée : Mulhouse, Alès, Liège …
LE GROS, LA VACHE ET LE MAINATE de Pierre Guillois Bussang
Opérette barge de Pierre Guillois, mise en scène Bernard Menez, composition musicale de François Fouqué, avec Laurian Daire, Pierre Guillois, Olivier Martin Salva, Jean-Paul Muel, Luca Oldani, Pierre Vial
Pour du barge, c’est du vrai barge : un couple d’homosexuels, Xavier le gros est enceint, il accouche d’un bébé monstrueux sur lequel ses deux horribles tantes, Tante Schmurz et Tante Chose (éblouissants Jean-Paul Muel et Pierre Vial) vont cracher et uriner ! Une horrible sonnerie ne cesse de retentir, c’est le plombier qui vient réparer des fuites, c’est l’ambulancier qui arrive trop tard pour sauver l’accouché qui succombe, c’est l’auteur en jupette sexy qui vient provoquer le metteur en scène qui tente de rassembler les morceaux. On est écroulés de rire devant ces travestis étonnants, pas une seule femme sur le plateau, même la pianiste qui s’appelle Laurian est un homme ! Et quand Jean-Paul Muel et Pierre Vial enlèvent leurs perruques pour décliner leur éblouissant et respectable parcours professionnel, le public est sidéré ! On peut seulement être gêné par l’irruption d’un personnage qui ne fait pas partie de la pièce que Bernard Menez le metteur en scène en robe de chambre, tente de juguler, mais on ne boude pas son plaisir devant cette généreuse audace théâtrale aux antipodes de ce qu’on peut attendre de Bussang.
Pierre Guillois y avait laissé quelques plumes d’auteur pour se deuxième saison avec Les affreuses qui n’avaient pas été comprises. Cette fois la salle est presque pleine d’un public emballé par une authentique théâtralité. Pierre Guillois a toutes les audaces théâtrales aux antipodes d’une quelconque vulgarité.
Edith Rappoport
Théâtre du peuple de Bussang 14, 18, 19 20, 21, 25, 26, 27 28 août, 03 29 61 50 48