Blood Brothers
Créé en 1988 au Abery Théâtre à Liverpool, où, selon l’auteur dramatique Willy Russell, le jeu a toujours été associé au chant et à la danse, ce spectacle n’a pas cessé d’attirer des foules depuis sa première apparition sur les scènes du fameux quartier de théâtre londonien, le « West End » à Charring Cross, il y a au moins 20 ans.
Je l’a vu récemment, assise derrière une rangée d’adolescentes qui connaissaient toutes les paroles et les moindres nuances de l’intrigue après avoir visionné le spectacle au moins six fois. Le statut de « spectacle culte » est intéressant surtout puisque la production ressemble plutôt à un film à petit budget, un des drames de l’époque des « jeunes homes en colère » des années 1950 (ce mouvement théâtral étant bel et bien originaire de Liverpool). Les origines sont semblables puisque Blood Brothers repose sur un conflit de classe dans le contexte des déchirements de l’amour maternel et le résultat est si explosif qu’on comprend la réaction de ces jeunes demoiselles!
Mrs Johnson, une maman célibataire d’origine ouvrière qui ressemblait à Marilyn Monroe dans sa jeunesse, selon la chanson, vient de donner naissance à deux jumeaux – Mickey et Eddie. Incapable de garder les deux puisqu’elle a déjà sept enfants, elle est obligée de céder un des petits à Mme Lyon, la dame chez qui elle fait le ménage. Jalousie, superstition, la mauvaise chance et un ensemble de circonstances se conjuguent pour que les deux frères qui s’ignorent, grandissent, se croisent et finissent par s’anéantir dans une rencontre tragique. « Tell me it’s not true- dites-moi ce n’est pas vrai » chante maman qui s’effondre de douleur à la fin alors qu’un parfum de Shakespeare est légèrement persceptible dans les derniers moments.
Une partition fabuleuse, des paroles qui entretiennent la tension dramatique, des performances individuelle excellentes, une chorégraphie qui est à la fois danse et mime et qui vous prend par les tripes produisent un spectacle à la fois larmoyant et très émouvant sans que le côté sentimental dérange. Au contraire. Les expériences fortes comme celles-ci peuvent libérer l’âme. En revanche, ce spectacle est aussi très clairement inspiré de Brecht par sa structure épisodique, par sa préoccupation avec les conflits de classe et les techniques d’aliénation, telle que la présence des musiciens sur scène et des décors stylisés qui évoquent une forme de misère quasi-réaliste sans vraiment l’imiter.
Le récit est raconté par un personnage masculin qui paraît à la fois narrateur et symbole inquiétant d’un destin tragique, dont la voix superbe plane par-dessus l’ensemble et confère à ce spectacle une aire de légende populaire.
En effet ce sont les voix, la chorégraphie et la musique qui m’ont surtout impressionnée parce que j’avais vu une production de Blood Brothers à Ottawa cette année, dans une mise en scène, extrêmement modeste étant donné les moyens techniques limités de la troupe canadienne. J’étais donc très curieuse de voir la version d’origine. Il faut dire que l’expérience m’a coupé le souffle.
La production canadienne était surtout une œuvre théâtrale avec des chansons intercalées. Les cinq musiciens avec leurs instruments acoustiques, se trouvaient sur scène, coté jardin et le décor ressemblait surtout à un échafaudage qui, grâce à l’éclairage et quelques accessoires, se transformaient en un quartier populaire de Liverpool, une salle d’école, un autobus, une maison des riches et j’en passe. Étant donné les moyens, le décor était tout à fait acceptable et surtout, les deux productions ont assuré la rapidité des passages d’une scène à l’autre. Toutefois, certains renvois à la réalité anglaise manquaient au spectacle à Ottawa et les Canadiens ont dû changer le contenu pour s’en accommoder.
À Londres, l’arrière plan était un rideau peint, où nous voyions l’horizon de la ville de Liverpool, une image parfaitement reconnaissable pour un public britannique mais sans la moindre signification pour un public canadien. Donc, le décor canadien avait remplacé cette image par un éclairage plus abstrait. Autre signe de Liverpool, l’accent régional que le acteurs canadiens n’ont pas pu reproduire. Pour remédier à l’absence de ces références géographiques, la production canadienne a dû ajouter des détails concernant le lieu dans le dialogue même.
La plus grande différence cependant était le fait que la production anglaise était surtout un grand spectacle musical, une partition qui comportaient non seulement des chansons, mais des intermèdes et une musique de fond qui créaient des multiples ambiances. Les voix puissantes de ces chanteurs britanniques, accompagnés d’un orchestre équipé des appareils électroniques très sophistiqués, ont assuré la qualité des chansons qui parfois se rapprochaient à de grandes envolées d’opéra. Les Anglais sont devenus (avec les Américains) de grands maîtres de ce genre de théâtre musical qui ne se fait pas en France, surtout si on pense aux créations de Anthony Lloyd Webber tels que le Phantôme de l’Opéra, et Cats. (Les Misérables est sans doute une exception).
Certains des comédiens canadiens, surtout celle qui a joué la mère et celui qui a interprété le jeune Mickey, le fils qu’elle a gardé, étaient excellents mais si on considère la qualité de la mise en scène, la musique, la chorégraphie et le décor, force est de constater la supériorité du spectacle britannique. En effet, nous avons assisté à Londres, à un événement de très grande envergure et la comparaison nous a incité à qualifier la production canadienne, sans doute injustement, d’ « artisanale », voir à la limite du théâtre professionnel.
Alvina Ruprecht
Blood Brothers; texte, paroles, et musique de Willy Russell. Phoenix Théâtre à Charring Cross Road, London.
Le spectacle joue depuis 1988 et sera au Phoenix jusqu’au 29 août. Téléphone : +44 (1)1865 318831