Splendid’s suivi de « Elle »
Jean Genet
Centenaire de Jean Genet oblige (en décembre, le poète aurait eu 100 ans), l’heure est à l’édition d’inédits et à la réédition de textes de l’auteur des Bonnes.Chez Gallimard, dans la collection « folio théâtre », on pourra découvrir Splendid’s suivi de « Elle », deux pièces posthumes pleines de ses obsessions sur l’exclusion et le sacré.
Dans la première, Splendid’s, sept truands (le gang La Rafale) coincés au septième étage d’un palace attendent l’assaut de la police. Ils ont pris en otage la fille d’un milliardaire, une jeune Américaine qu’ils tuent par erreur, et un policier qui retourne sa veste et passe dans leur camp. Deux soubresauts initiaux qui augurent leur déchéance et leur défaite. Mais auparavant, tandis qu’ils hésitent entre se rendre à la police ou mourir les armes à la main, ils règlent leurs comptes avec eux-mêmes.
Genet pose une nouvelle fois la question de l’identité et ses corollaires, l’image et le reflet. Dans une atmosphère pleine de menace et de malaise, les rôles s’explosent et les masquent tombent. On joue « à être les gangsters que nous n’avons jamais été », avoue Scott. Ou encore Bob qui déclare : « Monsieur est seul avec lui-même, Monsieur se mire dans son image (…) c’était difficile et pas drôle d’être obligé de ressemble à son image ».
L’apparence est bien au cœur de la pièce, avec les thèmes chers à l’auteur de l’ambigüité sexuelle (« Cette nuit, les gars, je deviens la fille qui mène le combat », annonce Bravo) et du travestissement (« Je passe du flic au gangster, je me retourne comme un gant, je vous montre l’envers du flic, gangster » dit le policier).
Pour seul contrepoint à leurs discours sur la gloriole (« je suis le caïd, j’ai le droit d’agir » proteste Jean) et la lâcheté (« Nous avons la pétoche (…) je suis lâche et je me vante de l’être », assène Bob), et unique lien avec le monde extérieur, la voix de la radio.
« Les enterrements des gangsters américains, vous en rêviez pour vous d’un pareil », lance Bob. Oui, Genet signe avec Splendids une tragédie, celle d’un monde cruel de petites frappes et de malfrats évoquant les films d’Audiard. Loin, bien loin de l’univers sacerdotal et irrévérencieux de « Elle ».
Cette seconde pièce relate la venue d’un photographe au Vatican pour prendre en photo le Pape, « Sa Sainteté ». Auparavant et après cette rencontre, il croise un huissier et un cardinal avec lesquels il engage la conversation au sujet de « Elle ». La pièce n’est pas dénuée de bouffonnerie : ici, dans les appartements pontificaux, « même les fauteuils sont truqués », le Pape est « le cul à l’air » et monté sur des patins à roulettes, le cardinal est revêtu d’une culotte courte pour aller à la pêche (d’ailleurs, « le Christ aussi était pêcheur », dit l’huissier)… Genet joue de son irrévérence, faisant s’exprimer le pape grossièrement : « Baptiste, apporte mon pot que je chie ». L’ancien enfant de chœur connaît le fétichisme du rituel catholique et manipule en virtuose la panoplie et le cérémonial qui l’accompagnent : le Pape possède un agneau « pour la légende, c’est le détail qui l’humanise et la rend accessible », il sait que ce sont les « hommages qui ont sacralisé sa personne ».
Pourtant, derrière le burlesque réside une interrogation sur l’identité et l’image, l’être et le paraître : le rôle du Pape n’est qu’une forme vide, l’homme qui existe derrière se sent dépersonnalisé. « Toute ma vie, je n’aurais couru qu’après cette image (…) pour enfin m’y glisser, la revêtir, elle et ses accessoires, son escorte de faits et de gestes qui lui sont une traîne admirable. Mais pape ! Me voici Pape ! J’avais atteint l’image définitive ! »
Genet induit également une réflexion sur l’imposture, avec la capacité du corps à figurer une transcendance, un au-delà. Le Pape est-il encore une personne de chair et d’os : « on est de chair, de viande, d’humeurs », ou n’est-il plus que le représentant d’une fonction qui l’absorbe : « je ne suis que pose puisque je suis le Pape » ? D’ailleurs, il avoue lui-même, au sujet des acteurs, « comme moi, c’est à une image définitive qu’ils se réfèrent ».Dans Splendid’s comme dans « Elle », les figures d’exclus aspirent à rejoindre l’humanité.
Les deux textes sont assortis d’une préface de l’éminent Michel Corvin et d’un dossier constituant un appareil critique très utile : outre une chronologie succincte mais efficace, des notices sur la genèse des textes et les manuscrits, les différentes mises en scène (Stanislas Nordey à Nanterre en 1995 pour Splendid’s, Maria Casarès dans « Elle » en 1990 à Gennevilliers…), une bibliographie très fournie et précise, et bien entendu, un ensemble de notes. Bref, un petit ouvrage incontournable pour parfaire sa connaissance de l’œuvre du dramaturge.
Barbara Petit
Splendid’s suivi de « Elle », Jean Genet, Gallimard, « Folio théâtre », 224 pages.