Solness le constructeur
Solness le constructeur d’ Henrik Ibsen, mise en scène d’ Hans Peter Cloos
La postérité a essentiellement retenu d’Henrik Ibsen ses pièces les plus sombres et les plus désespérées dans la lignée de Strindberg ou de Bergman, comme Maison de Poupée, Les Revenants ou Hedda Gabler. Ce serait faire tort au poète norvégien que d’oublier qu’il a expérimenté diverses voies dramaturgiques (voir la fantaisie de Peer Gynt) et qu’il est l’auteur de nombreuses autres pièces parmi lesquelles Solness le constructeur avec dans le rôle de Solness, le cinquantenaire séducteur et fatigué, Jacques Weber ; dans celui de l’épouse aimante et inquiète, Edith Scob ; et dans celui de l’agent provocateur, cette jeune femme trop jeune et trop jolie, Mélanie Doutey.
Ici, pas d’intrigue au sens propre. Nous avons plutôt affaire à une tranche de vie jusqu’au jour où un élément vient perturber un engrenage en apparence bien huilé. Solness est un homme ambitieux parvenu au faîte d’une gloire sociale puisqu’il est aujourd’hui un architecte reconnu. Mais c’est aussi un homme frustre et malhonnête, qui enfile les maîtresses (qui sont parfois ses employées) comme d’autres les perles. La générosité et l’humanité ne semble pas le submerger, lui qui refuse d’accorder à son vieil employé mourant ses dernières faveurs. Aurait-il besoin d’un nouveau départ, puisqu’il se fait construire une nouvelle maison pour sa femme et lui ?
Arrive Hilde, vingt ans, belle à croquer (et court vêtue) qu’il a connu dix ans auparavant, et à laquelle il avait promis de bâtir un royaume. Or, ce qui n’était pour lui qu’un baratin et l’occasion d’un baiser est devenu l’idée fixe de la petite fille , qui en grandissant ne songe qu’à être cette princesse rêvée. Sans valise, sans argent, Hilde demande à être hébergée chez son prince charmant, lui, le « constructeur ». La femme de Solness, Edith, vit dans l’ère du soupçon, mais sa bonne éducation lui fait avant tout se préoccuper d’accueillir chez elle cette belle plante.
Hilde joue le rôle du révélateur, ce personnage qui invite les autres à libérer la parole. Et les choses se révèlent finalement plus complexes qu’elles n’apparaissaient.
Solness et sa femme partagent un passé lourd (ils ont perdu leurs jumeaux en bas âge dans un incendie) et ils portent le poids d’une culpabilité aussi immense que vertigineuse (d’ailleurs, l’architecte a le vertige, un handicap qui lui sera funeste). Notre Casanova est écartelé entre son désir pour Hilde qui l’attire comme un aimant et sa peur de la jeunesse, cette peur qui lui fait voler aux autres leur joie de vivre.
Aline, la femme, oscille entre le remords et l’angoisse qu’elle projette sur mon mari (il est « malade »). Quant à Hilde, qu’est-elle réellement, une ingénue ou une charmeuse perverse ? Cette valse-hésitation est à l’image du spectacle dans son entier, dont on ne sait jamais vraiment si c’est une tragédie ou une comédie. On se demande parfois ce que sont venus chercher les personnages, ce qu’ils veulent vraiment. Si le dramaturge souhaitait sonder, pour mieux les exhiber, les troubles de l’âme, il faut bien avouer que sur scène, cela rend la représentation par moments ennuyeuse.
Rendons toutefois à César ce qui lui appartient. La pièce a pour mérite de poser certaines questions existentielles : l’éternel dilemme entre le devoir et le désir, et la place qu’il reste pour le bonheur et la liberté personnels ; l’héritage d’un passé dont on ne parvient pas à s’échapper , et la culpabilité qui ronge la conscience.
La scénographie est plutôt astucieuse avec le cabinet de l’architecte, avec des trompe-l’œil, et des lego géants. Les costumes de Marie Pawlotsky aux couleurs chatoyantes et chamarrées sont remarquables. Et les comédiens s’en donnent à cœur joie.:Hans Peter Cloos sait faire résonner la petite musique d’un mélodrame universel.
Barbara Petit
C’est proprement fait mais sans beaucoup d’âme; Hans Peter Cloos a laissé la bride sur le coup à Jacques Weber qui s’installe, et comme il est pratiquement tout le temps en scène, il a une tendance à cabotiner et à s’écouter jouer. Et c’est vite insupportable, Jcaus Weber fait du Webr mais on a bien du mal à croire en son personnage.Et Mélanie Doutey, prise dans le tourbillon, en rajoute, elle aussi, une bonne louche; seule , Edith Scob est beaucoup plus discrète mais du coup est un peu en décalage, comme Thibault Lacroix, en jeune architecte juste et sobre, tout à fait remarquable. mais, bref, il y a un sacré mou dans la direction d’acteurs. on n’a pas bien non plus compris le décor encombré de Jean Haas où les acteurs se déplacent comme ils peuvent , c’est à dire de façon artificielle. A voir? A la rigueur mais il ne faut quand même pas être trop exigeant.On a vu des Solness mieux inspirés, et Ibsen mérite mieux que ce faux modernisme; à 45 euros la place au parterre, on est en droit demander plus! Ce qui explique sans doute que la salle soit loin d’être pleine après un mois d’exploitation…
Philippe du Vignal
Au Théâtre Hébertot 78 bis boulevard des Batignolles 75017 à 21h00 du mardi au samedi, matinées le samedi à 17h30 et le dimanche à 16h00.