La Mère

La Mère D’après Florian Zeller

Mise en scène Marcial Di Fonzo Bo

Avec Florian Zeller, il ne fait pas bon d’être mère. Parce que La Mère en question tient autant de Gaia, l’épouse antique folle de rage qui voulait se venger des infidélités de son mari, que de Clytemnestre, qui finit tuée par son propre fils Oreste. Sauf qu’ici, la raison du meurtre, ce n’est pas l’adultère, mais un amour excessif. Un amour fou, hors norme, possessif et dévorateur, dont on ne pourrait se libérer que par la mise à mort.

Florian Zeller a beau être jeune, sa plume a de la maturité, et il l’a certainement plongée dans l’acide en composant cette nouvelle pièce, qui vient après L’Autre, Le Manège ou encore Si tu mourais.

C’est une histoire à la fois banale mais profonde et glaçante. Celle d’une femme qui se sent délaissée par un mari (Jean-Yves Chatelais) accaparé par sa vie professionnelle ou ses adultères (on ne saura jamais), d’une mère qui s’ennuie atrocement depuis que ses enfants sont partis, surtout Nicolas, le préféré, tombé amoureux et qui l’a abandonnée. L’excellente Catherine Hiegel campe avec maestria une femme dans une solitude intégrale, submergée par sa détresse, et qui place haut la rancœur : « Je n’aurais jamais dû faire des enfants avec toi : l’ingratitude, la lâcheté, la laideur se transmettent… Tu es un homme infect », lance-t-elle à son mari. Elle lui fait même du chantage, menaçant de se suicider, pour qu’il renonce à partir en séminaire. C’est que les ardoises sont salées : le mari a été « un père misérable, un contre-exemple absolu ». Sa fille est « antipathique depuis sa naissance ».

Mais le jour où le fils (Clément Sibony) réapparaît, à la suite d’une dispute avec sa petite-amie, c’est le retour de l’Enfant Prodigue de la parabole. Car la mère est amoureuse de son fils, il est « sa respiration, son souffle », et elle ne veut plus le laisser partir.

« Élodie n’a pas appelé ? » demande Nicolas à sa mère, comme auparavant celle-ci avait demandé à son mari : « Nicolas n’a pas appelé ? ». Effet de miroir, oui, mais de l’autre côté du miroir, c’est moins drôle : pour survivre au quotidien, la mère boit et se gave de petites pilules bleues, ce qui la mènera tout droit à l’hôpital.

Marcial Di Fonzo Bo, que l’on apprécie déjà beaucoup pour son jeu d’acteur autant que pour ses mises en scène, nous montre une nouvelle fois l’étendue de son talent. Avec un décor minimal : un fauteuil, une pile de livres, un tourne-disque, un téléphone, il épingle les affres de la vieillesse mais aussi celles de la vie de famille. Car tout le monde souffre sur le plateau : non seulement la mère, mais aussi le mari, le fils, et même la belle-fille.

L’originalité de la représentation réside dans la répétition des mêmes scènes mais dans deux versions différentes, l’une tragique et pessimiste, l’autre sans préjugés. Si bien que l’on ne sait jamais où se situe la réalité, où se situe le fantasme. Comme cette jeune femme (intrigante Olivia Bonamy), qui incarne tour à tour la maîtresse du mari, la petite-amie du fils, la fille Sarah ou l’infirmière, et qui revient volontiers comme le spectre de l’ennemi à abattre.

Un spectacle brillamment interprété et une mise en scène éclatante. Contrairement à la Mère, le spectateur ne s’ennuie pas une minute. À voir absolument.

Barbara Petit

Au Petit théâtre de Paris (15, rue Blanche 75009) du mardi au samedi à 21h00, Samedi à 18h00, Dimanche à 16h00.


Archive pour 26 septembre, 2010

L’inséparable

L’inséparable de Louis Lemire,

L’Inséparable. Un soir en 1759, tout près des Plaines d’Abraham sur la rive sud de la Fleuve Saint Laurent, un jeune général anglais grimpe péniblement jusqu’au sommet de la falaise qui longe la fleuve, et arrive tout essoufflé, près du campement des troupes françaises. Son intention est de rencontrer son adversaire face à face. Nous sommes à la veille de la grande bataille qui va déterminer l’avenir de ce qui va s’appeler le « Canada », en marquant la fin de la présence française dans la région. Le général Wolfe et le Marquis de Montcalm mourront tous les deux mais les deux noms seront gravés dans l’histoire du pays car cette rencontre a marqué le début d’une nation à deux peuples fondateurs : les héritiers de la colonie française et les descendants des premiers pionniers de la Grande Bretagne.


insesparable2259140023std.jpgMais revenons au spectacle. Le jeune général se retrouve, tout d’un coup, nez à nez avec un vieil aristocrat français  un peu arrogant et moqueur. Dans un premier temps, le jeune Wolfe ne reconnaît pas du tout son homologue français et le Marquis de Montcalm se demande qui est ce jeune effronté qui ose le déranger à la veille d’une bataille si importante. Une discussion s’ensuit, chacun découvre l’identité de l’autre et dès cette première révélation, nous nous retrouvons en plein dans un jeu parfois piquant, parfois  au vitriol entre deux figures historiques si différentes : un jeune homme un peu dandy qui se prend trop au sérieux, qui a un sens de sa grande mission au Canada et qui pense mourir comme un héros, au service de sa majesté pour assurer l’intégrité de l’Empire britannique.
A force d’insultes, de jeux de mots, d’échanges verbaux et physique musclés – coups de poing ou d’épée ,  coups de bottes, chaque personnages  se révèle. La joute est essentiellement une comédie croustillante malgré le fond sérieux de l’affaire, une rencontre à la fois brutale et ludique ou chaque personnage symbolise une des cultures fondatrices du pays.
Chacun cherche l’avantage sur l’autre et peu peu nous découvrons la vie personnelle de ces grands messieurs Le Marquis, plus âgé, plus sophistiqué et plus expérimenté fait marcher le jeune Wolfe, comme un chat jouerait avec une souris. En revanche, Wolfe ne se rend pas compte que son adversaire se moque de lui. En fait, le Français déteste ce pays froid et sauvage où les femmes sont laides, les repas indigestes et les uniformes britanniques sans style. Il souffre d’être si éloigné des siens et n’a jamais voulu de cette mission dans le nouveau monde. De son côté,  Wolfe explique que cette mission au Canada est extrêmement importante pour lui alors que le Marquis, lui,  ne rêve que de retrouver sa famille et la Cour de France; mais hélas, trente ans plus tard, la prise de la Bastille sera le signal de la fin cette belle vie pour tout un pan de la société française. .


Louis Lemire a su mettre en valeur la théâtralité d’un dialogue qui aurait pu être d’un ennui mortel. Mais humour pétillant, retours en arrières, présentés comme des sketchs ou les deux acteurs assument plusieurs rôles: toute la pièce révèle la virtuosité du metteur en scène et la finesse d’une  écriture qui a su marier les révélations personnelles et les moments importants de l’histoire canadienne.
Rien de plus drôle mais aussi de plus psychologiquement juste que ce Montcalm travesti en maman britannique dominatrice du général Wolfe, femme ambitieuse qui veut faire avancer la carrière de son fils. Le comédien  qui joue Wolfe a joué avec beaucoup d’élégance et a bien cerné le personnage du héros romantique, affaibli par la tuberculose, qui cherche une mort glorieuse auprès de ses soldats. Wolfe réussit même à convaincre le Marquis, qu’il serait préférable de ne pas s’entretuer pendant cette rencontre nocturne anonyme que personne ne pourrait faire passer à la postérité.

Au lieu de mourir comme un héros sur les plaines d’Abraham, au vue et au su de tous les historiens pour que ce beau moment d’hagiographie théâtrale puisse retrouver son public à l’avenir.
Il y a eu des moments de perte de rythme: la discussion un peu trop lourde  aurait été plus à sa place dans un amphithéâtre : ce qui arrive quand un metteur en scène fait partie de la distribution et perd la « distance » nécessaire pour suivre son spectacle objectivement.

Mais toute la passion revient quand  les comédiens ont entamé leurs grands monologues au moment de mourir. Montcalm annonce même sa disparition glorieuse en langue française pour  donner plus d’émotion à ce moment qui devait entrer dans la postérité: la scène  résonne alors comme le dénouement d’un grand opéra romantique : il ne manquait que la musique de Puccini pour combler le moment tragique de leur mort. .Pas de doute : les Canadiens de toutes les langues, n’exploitent pas assez, les possibilités dramatiques de cette épisode de leur histoire, toujours assez traumatisante pour les uns) mais toujours mal connue par les autres. Un dialogue livré avec beaucoup de panache qui a touché toute la salle où, à l’image d’un Canada , héritier de ces deux cultures, francophones et anglophones se côtoyaient. Alvina Ruprecht  Théâtre de la Cour des Arts  à Ottawa. Photo: Fred Cottroll. L to R: Matthew Romantini, Jerome Bourgaul

 

 Théâtre de la Cour des Arts  à Ottawa.


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