Tartuffe
Tartuffe d’après Tartuffe de Molière,adaptation et mise en scène de Gwenaël Morin
En cette rentrée théâtrale, Molière est à l’honneur au théâtre de la Bastille qui ouvre sa saison avec Dom Juan (mise en scène par Marc Sussi), et Tartuffe d’après Tartuffe (mise en scène par Gwenaël Morin).
Le violon d’Ingres de la compagnie Gwenaël Morin, c’est revisiter les classiques : on avait pu voir en mars dernier dans ce même théâtre Woyzeck d’après Woyzeck de Büchner, et l’on pourra également assister en novembre à Bérénice d’après Bérénice de Racine. Ces adaptations, issues du travail effectué par la troupe dans le cadre du théâtre permanent aux Laboratoires d’Aubervilliers, ont pour objectif d’innerver un nouveau fluide dans les veines des maîtres du répertoire. Et c’est peu dire qu’avec Tartuffe d’après Tartuffe, il ont gagné la partie.
Certes, ce texte de Molière est déjà en lui-même délectable. Mais s’attaquer à un monument aussi sublime relevait de la gageure. Pourtant, la troupe s’est montrée très inspirée et audacieuse. La lecture qu’il nous est donnée à voir est inscrite à la peinture blanche sur un grand panneau noir : « Tartuffe d’après Tartuffe de Molière/ou voir tout sans rien croire/ou l’histoire d’un homme traître à lui-même ». Nous sommes prévenus : nous voici à nouveau plongés dans les méandres du charlatanisme et de l’imposture.
Le décor est, comme souvent avec la troupe, réduit au minimal : au sol, une bâche vert fluo sur laquelle sont posées une table et une chaise. Sur le mur du fond, une photocopie agrandie du Radeau de la Méduse de Géricault (augure du naufrage ?), côté cour, un dessin de Jean-Jacques Lequeu représentant une femme nue dans un lit cassé, et côté jardin, le texte de la pièce sur un panneau, le tout scotché de ce même vert fluo. Quant aux costumes des comédiens, ils ressemblent à des habits de tous les jours : jeans, baskets. Une économie de moyens qui ne nuit pas à l’essentiel. Car tout y est : Molière n’aurait pas renié cette adaptation jubilatoire et ravissante de sa comédie. C’est drôle et on ne s’en lasse pas.
L’originalité, c’est le maître mot de cette mise en scène. Certains personnages féminins sont incarnés par des hommes, les scènes de séduction virent au burlesque, comme lorsque Tartuffe dit à Dorine, la servante (remarquable Renaud Béchet), en T-shirt et blouson de cuir : « cachez ce sein que je ne saurais voir » ; ou lorsque Marianne, la fille d’Orgon (Julian Eggerickx, efféminé, la mèche sur les yeux), se dispute avec son père, la violence prend une autre tournure, plus physique. L’excellent Ulysse Pujo dans le rôle de Damis campe un adolescent à lunettes impétueux qui tient un peu du cheval mal débourré, mais savoureux à souhait. On sent que les acteurs, tous très convaincants dans leur personnage, se portent les uns les autres, qu’ils jouent tous ensemble, en véritable groupe. Une troupe énergique, pleine de fougue et d’allant.
Ainsi, la simulation du repentir par Tartuffe (Julian Eggerickx) prenant la posture du martyre christique, ou la scène de séduction qu’Elmire (Barbara Jung) fait à Tartuffe, délicieuses, valent leur pesant d’or. Autre clin d’œil : le conflit entre Orgon et son beau-frère se matérialise par un conflit noir/lumière. Et chaque fois que la bougie s’éteint, un acteur réclame : « Feu », tandis que les autres enchaînent : « Tartuffe », « Molière », « Le théâtre », « Lumière ». Un leitmotiv badin qui est là pour nous rappeler que, comme Orgon, nous consentons volontairement à croire que ce que l’on nous montre est vrai. Car c’est aussi cela le théâtre, ce mélange de poudre aux yeux et de duplicité.
En attendant Bérénice d’après Bérénice (la troupe a placé haut la barre !), Tartuffe d’après Tartuffe est un pur moment de plaisir, une authentique réjouissance à consommer sans modération.
Barbara Petit
Au théâtre de la Bastille du 27 septembre au 31 octobre à 19h30, dimanche à 15h30, relâche le lundi.