La Mère

La Mère D’après Florian Zeller

Mise en scène Marcial Di Fonzo Bo

Avec Florian Zeller, il ne fait pas bon d’être mère. Parce que La Mère en question tient autant de Gaia, l’épouse antique folle de rage qui voulait se venger des infidélités de son mari, que de Clytemnestre, qui finit tuée par son propre fils Oreste. Sauf qu’ici, la raison du meurtre, ce n’est pas l’adultère, mais un amour excessif. Un amour fou, hors norme, possessif et dévorateur, dont on ne pourrait se libérer que par la mise à mort.

Florian Zeller a beau être jeune, sa plume a de la maturité, et il l’a certainement plongée dans l’acide en composant cette nouvelle pièce, qui vient après L’Autre, Le Manège ou encore Si tu mourais.

C’est une histoire à la fois banale mais profonde et glaçante. Celle d’une femme qui se sent délaissée par un mari (Jean-Yves Chatelais) accaparé par sa vie professionnelle ou ses adultères (on ne saura jamais), d’une mère qui s’ennuie atrocement depuis que ses enfants sont partis, surtout Nicolas, le préféré, tombé amoureux et qui l’a abandonnée. L’excellente Catherine Hiegel campe avec maestria une femme dans une solitude intégrale, submergée par sa détresse, et qui place haut la rancœur : « Je n’aurais jamais dû faire des enfants avec toi : l’ingratitude, la lâcheté, la laideur se transmettent… Tu es un homme infect », lance-t-elle à son mari. Elle lui fait même du chantage, menaçant de se suicider, pour qu’il renonce à partir en séminaire. C’est que les ardoises sont salées : le mari a été « un père misérable, un contre-exemple absolu ». Sa fille est « antipathique depuis sa naissance ».

Mais le jour où le fils (Clément Sibony) réapparaît, à la suite d’une dispute avec sa petite-amie, c’est le retour de l’Enfant Prodigue de la parabole. Car la mère est amoureuse de son fils, il est « sa respiration, son souffle », et elle ne veut plus le laisser partir.

« Élodie n’a pas appelé ? » demande Nicolas à sa mère, comme auparavant celle-ci avait demandé à son mari : « Nicolas n’a pas appelé ? ». Effet de miroir, oui, mais de l’autre côté du miroir, c’est moins drôle : pour survivre au quotidien, la mère boit et se gave de petites pilules bleues, ce qui la mènera tout droit à l’hôpital.

Marcial Di Fonzo Bo, que l’on apprécie déjà beaucoup pour son jeu d’acteur autant que pour ses mises en scène, nous montre une nouvelle fois l’étendue de son talent. Avec un décor minimal : un fauteuil, une pile de livres, un tourne-disque, un téléphone, il épingle les affres de la vieillesse mais aussi celles de la vie de famille. Car tout le monde souffre sur le plateau : non seulement la mère, mais aussi le mari, le fils, et même la belle-fille.

L’originalité de la représentation réside dans la répétition des mêmes scènes mais dans deux versions différentes, l’une tragique et pessimiste, l’autre sans préjugés. Si bien que l’on ne sait jamais où se situe la réalité, où se situe le fantasme. Comme cette jeune femme (intrigante Olivia Bonamy), qui incarne tour à tour la maîtresse du mari, la petite-amie du fils, la fille Sarah ou l’infirmière, et qui revient volontiers comme le spectre de l’ennemi à abattre.

Un spectacle brillamment interprété et une mise en scène éclatante. Contrairement à la Mère, le spectateur ne s’ennuie pas une minute. À voir absolument.

Barbara Petit

Au Petit théâtre de Paris (15, rue Blanche 75009) du mardi au samedi à 21h00, Samedi à 18h00, Dimanche à 16h00.


Archive pour septembre, 2010

L’inséparable

L’inséparable de Louis Lemire,

L’Inséparable. Un soir en 1759, tout près des Plaines d’Abraham sur la rive sud de la Fleuve Saint Laurent, un jeune général anglais grimpe péniblement jusqu’au sommet de la falaise qui longe la fleuve, et arrive tout essoufflé, près du campement des troupes françaises. Son intention est de rencontrer son adversaire face à face. Nous sommes à la veille de la grande bataille qui va déterminer l’avenir de ce qui va s’appeler le « Canada », en marquant la fin de la présence française dans la région. Le général Wolfe et le Marquis de Montcalm mourront tous les deux mais les deux noms seront gravés dans l’histoire du pays car cette rencontre a marqué le début d’une nation à deux peuples fondateurs : les héritiers de la colonie française et les descendants des premiers pionniers de la Grande Bretagne.


insesparable2259140023std.jpgMais revenons au spectacle. Le jeune général se retrouve, tout d’un coup, nez à nez avec un vieil aristocrat français  un peu arrogant et moqueur. Dans un premier temps, le jeune Wolfe ne reconnaît pas du tout son homologue français et le Marquis de Montcalm se demande qui est ce jeune effronté qui ose le déranger à la veille d’une bataille si importante. Une discussion s’ensuit, chacun découvre l’identité de l’autre et dès cette première révélation, nous nous retrouvons en plein dans un jeu parfois piquant, parfois  au vitriol entre deux figures historiques si différentes : un jeune homme un peu dandy qui se prend trop au sérieux, qui a un sens de sa grande mission au Canada et qui pense mourir comme un héros, au service de sa majesté pour assurer l’intégrité de l’Empire britannique.
A force d’insultes, de jeux de mots, d’échanges verbaux et physique musclés – coups de poing ou d’épée ,  coups de bottes, chaque personnages  se révèle. La joute est essentiellement une comédie croustillante malgré le fond sérieux de l’affaire, une rencontre à la fois brutale et ludique ou chaque personnage symbolise une des cultures fondatrices du pays.
Chacun cherche l’avantage sur l’autre et peu peu nous découvrons la vie personnelle de ces grands messieurs Le Marquis, plus âgé, plus sophistiqué et plus expérimenté fait marcher le jeune Wolfe, comme un chat jouerait avec une souris. En revanche, Wolfe ne se rend pas compte que son adversaire se moque de lui. En fait, le Français déteste ce pays froid et sauvage où les femmes sont laides, les repas indigestes et les uniformes britanniques sans style. Il souffre d’être si éloigné des siens et n’a jamais voulu de cette mission dans le nouveau monde. De son côté,  Wolfe explique que cette mission au Canada est extrêmement importante pour lui alors que le Marquis, lui,  ne rêve que de retrouver sa famille et la Cour de France; mais hélas, trente ans plus tard, la prise de la Bastille sera le signal de la fin cette belle vie pour tout un pan de la société française. .


Louis Lemire a su mettre en valeur la théâtralité d’un dialogue qui aurait pu être d’un ennui mortel. Mais humour pétillant, retours en arrières, présentés comme des sketchs ou les deux acteurs assument plusieurs rôles: toute la pièce révèle la virtuosité du metteur en scène et la finesse d’une  écriture qui a su marier les révélations personnelles et les moments importants de l’histoire canadienne.
Rien de plus drôle mais aussi de plus psychologiquement juste que ce Montcalm travesti en maman britannique dominatrice du général Wolfe, femme ambitieuse qui veut faire avancer la carrière de son fils. Le comédien  qui joue Wolfe a joué avec beaucoup d’élégance et a bien cerné le personnage du héros romantique, affaibli par la tuberculose, qui cherche une mort glorieuse auprès de ses soldats. Wolfe réussit même à convaincre le Marquis, qu’il serait préférable de ne pas s’entretuer pendant cette rencontre nocturne anonyme que personne ne pourrait faire passer à la postérité.

Au lieu de mourir comme un héros sur les plaines d’Abraham, au vue et au su de tous les historiens pour que ce beau moment d’hagiographie théâtrale puisse retrouver son public à l’avenir.
Il y a eu des moments de perte de rythme: la discussion un peu trop lourde  aurait été plus à sa place dans un amphithéâtre : ce qui arrive quand un metteur en scène fait partie de la distribution et perd la « distance » nécessaire pour suivre son spectacle objectivement.

Mais toute la passion revient quand  les comédiens ont entamé leurs grands monologues au moment de mourir. Montcalm annonce même sa disparition glorieuse en langue française pour  donner plus d’émotion à ce moment qui devait entrer dans la postérité: la scène  résonne alors comme le dénouement d’un grand opéra romantique : il ne manquait que la musique de Puccini pour combler le moment tragique de leur mort. .Pas de doute : les Canadiens de toutes les langues, n’exploitent pas assez, les possibilités dramatiques de cette épisode de leur histoire, toujours assez traumatisante pour les uns) mais toujours mal connue par les autres. Un dialogue livré avec beaucoup de panache qui a touché toute la salle où, à l’image d’un Canada , héritier de ces deux cultures, francophones et anglophones se côtoyaient. Alvina Ruprecht  Théâtre de la Cour des Arts  à Ottawa. Photo: Fred Cottroll. L to R: Matthew Romantini, Jerome Bourgaul

 

 Théâtre de la Cour des Arts  à Ottawa.


La Puce à l’oreille

La Puce à l’oreille.de Georges Feydeau mise en scène de John P. Kelly, traduction de  David Whitely

afleainherear.jpgCette nouvelle traduction en anglais canadien  de l’œuvre de Feydeau capte parfaitement  l’esprit à la fois  chaotique et ordonné, et débridé de la farce française. L’Hôtel du Minet Galant devient Le Château des Chasseurs de phoques aux sonorités étranges, et le beau Monsieur Rugby, le Britannique  tombeur de dames, devient le bucheron québécois mal léché « Ti-Coq » qui se promène en hurlant « Tabernac! »  et que personne ne comprend à cause de son accent québécois.

  Le nombre d’accents différents, dont certains étaient vraiment difficiles à situer., prête parfois à confusion. Mais les comédiens s’efforcent de parler avec leur propre version de l’accent  « britannique »  puisque, pour les Anglophones, si on voulait  retrouver l’ambiance de Feydeau, il fallait s’imaginer dans une farce britannique, genre Alan Ayckbourn… un auteur  qui s’est beaucoup inspiré de  Feydeau. Une véritable gymnastique mentale et physique. Quelques  comédiens étaient  peu habitués à ce genre de course effrénée pendant trois heures, (le théâtre anglophone ici ne se joue pas du tout dans ce style) mais le metteur en scène a su prendre en main son équipe et  transformer  ces quatorze comédiens en une seule machine bien huilée qui a soutenu le rythme jusqu’au bout. Travail presque miraculeux, vu la difficulté de l’entreprise.   

flea226384621std.jpgA l’acte II, on atteint le  paroxysme de la folie. Tout se passe à  cet hôtel des rendez-vous galants dit « des  chasseurs de phoques » où les clients claquent les portent, filent dans les couloirs, montent les escaliers, surveillent leurs femmes et évitent les maris jaloux. C’est la valse des cocottes avec des messieurs  à leurs trousses et le vieil ivrogne Baptistin qui fait l’amour… avec sa bouteille d’absinthe dans un lit tournant, ce qui permet aux amants de changer de décor en trois secondes. Un dispositif impeccable  pour éviter le  flagrant délit (en français dans le texte ). Un  merveilleux moment de folie et de bonheur. Les trois heures passent trop rapidement. M. Kelly sait nous fait rire et c’est trop rare de nos jours….

Alvina Ruprecht

Théâtre Gladstone, Ottawa,  jusqu’ au 30 septembre.

 

 

À la recherche des canards perdus

 À la recherche des canards perdus  (Petite conférence sur une expérience scientifique pour mesurer la vitesse du réchauffement climatique dans l’Arctique)

 Sans détour, droit dans ses bottes et droit devant lui, Frédéric Ferrer et sa compagnie « Vertical Détour » tentent systématiquement la mise en théâtre de la question du climat. Après Kyoto forever, ou le grand spectacle délirant (et à peu près authentique) de la diplomatie climatique mondiale, il revient à la conférence à l’état pur, débarrassée des ornements fantaisistes de Mauvais temps. Avec le plus grand sérieux documentaire, l’imparable humour propre à la recherche scientifique et l’inévitable ironie qui accompagne la lecture de ce que les médias font des résultats.
C’est obscur ? L’expérience de À la recherche des canards perdus, elle, est très claire. En gros : pour mesurer la vitesse de la fonte des glaces au pôle nord, la NASA a commencé par parachuter de précieuses sondes : perdues. L’idée est venue d’un lâcher de canards de bain en plastique jaune, dont on pourrait suivre la trajectoire dans et sur la calotte glaciaire. Avantages : c’est bon marché, contrairement aux précieuses sondes bourrées d’électronique, c’est quasi indestructible, ça se voit sur la neige. Perdus aussi. Alors ?
Alors, Frédéric Ferrer nous entraîne dans la dramaturgie de la conférence : discours semi-improvisé, illustrations filmées et dessins. Il nous fait renouer avec un (grand) plaisir oublié : celui du discours, de la rhétorique, de la démonstration virtuose et rigoureuse, du « savant fou » et du gai savoir. Le sel de l’affaire? C’est une histoire vraie, et qu’un jour ou l’autre, on ne sait quand (ce qui n’arrange pas la science, qui aime bien les mesures précises), à la fonte des glaciers, vous avez une chance de trouver sur la plage, dans les « laisses de mer », un canard en plastique portant un numéro qu’il faudra joindre pour donner un minimum de réalité concrète à l’expérience. Qui est un échec total. Sauf sur le spectateur.
Effets de la conférence : retour jubilatoire à l’enfance de l’art, au palais de la découverte, bonheur de se sentir si intelligent, et pour rien, encore – leçon d’humilité – . Ça se jouait à Confluences, un lieu plus que fréquentable : ateliers, expositions, débats, théâtre, à la recherche du moteur humaniste parfois perdu.
À suivre. Et à guetter, en complément de programme : Les vikings et les satellites (Petite conférence sur l’importance de la glace dans la compréhension du monde).

Christine Friedel

 Confluences, lieu alternatif, 190 bd de Charonne 01 40 24 16 30

Compagnie Vertical Détour – http://www.verticaldetour.org

Le LaM

barbusmllerlam.jpgLe LaM s’ouvre : réouverture du musée d’art moderne de Lille

 Après quatre ans de fermeture pour travaux de rénovation et d’agrandissement, le musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut de Lille Métropole rouvre sous le nouveau nom de LaM (pour Lille art muséum).
Tour d’horizon et immersion dans la plus importante collection d’art brut de France. « L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art », déclarait l’artiste Robert Filliou. Une volonté d’abolir les frontières entre l’art et la vie, et permettre l’exploration de nouveaux univers. Un souhait que l’on retrouve non seulement au cœur du projet du LaM à travers ses activités (outre ses expositions, des ateliers, des débats, des conférences) mais encore dans l’exposition temporaire inaugurale « Habiter poétiquement le monde », qui montre les espaces imaginaires artistiques ouverts sur l’extérieur. Comme ces photos de rue la new-yorkaise  d’Helen Levitt qui côtoient des dessins et des tapuscrits de Jack Kerouac, tandis qu’une monumentale installation de Thomas Hirschorn rend hommage à Robert Walser…

 01gautrandlam.jpgExposition inaugurale en effet : pour mémoire, en 1983, ce musée ouvrait pour accueillir la donation d’art moderne des collectionneurs privés Geneviève et Jean Masurel. L’acquisition d’art contemporain se fit progressivement. En 2010, il rouvre après plus de quatre ans de travaux. Le temps qu’il aura fallu pour restructurer et étendre les locaux – l’architecture de Manuelle Gautrand vient harmonieusement se greffer auprès de celle conçue par Jean Simounet – afin d’abriter le don des 5000 œuvres de l’association l’Aracine. Et c’est surtout pour cette plus grande collection française d’art brut que le musée vaut le détour. Certes, on ne perdra pas son temps, loin de là, dans les salles d’art moderne, comportant des chefs-d’œuvre cubistes : Bernard Buffet, Picasso, Fernand Léger, George Braque, Amedeo Modigliani… Quant aux salles d’art contemporain, elles ne sont guère en reste, permettant de savourer des œuvres de la scène artistique internationale comme La Biennale de Venise 1938-1993 de Christian Boltanski, des photos de John Baldessari, des affiches découpées et marouflées de Jacques Villéglé, François Dufrêne et Mimmo Rotella. Mais pénétrer dans la nouvelle enceinte des moucharabiehs (ces alvéoles creusées dans le béton) provoque une véritable claque. La spécificité des œuvres d’art brut, pour la plupart fragiles, imposait en effet une luminosité restreinte.

corbazlam.jpg C’est l’espace le plus touchant et le plus bouleversant du musée. On y trouve les plus grands noms de l’art brut en France : Fleury Joseph Crépin, Aloïse Corbaz, les Barbus Müller – ces sculptures anonymes et extraordinaires en pierre volcanique, Joseph Vignes, le tonnelier accordéoniste de bals public, Henri Darger, l’employé de nettoyage de Chicago qui passa sa vie à dessiner des enfants esclaves d’adultes cruels…
Mais encore les peintures monumentales et ésotériques du mineur de fond Augustin Lesage, et les machines déconstruites et poétisées d’A.C. M. On découvre Jules Leclercq, interné à Armentières en 1940 qui, affecté au tri du linge, récupère étoffes et tricots pour créer de somptueuses broderies. Georgine Hu, internée, qui dessinait des billets de banques sur du papier hygiénique. Chaque billet était tourné plusieurs fois sur la table pour devenir de « vrais sous »…

01vueduparclam.jpg Le LaM est le fruit de l’alliance de bonnes volontés, l’une, politique et publique, d’acquisition par la métropole lilloise, l’État et la région ; l’autre, privée et humaniste (don d’amateurs d’art et d’association). Rappelons que le LaM est le seul musée d’Europe à présenter simultanément les principales composantes de l’art des XXe et XXIe siècles, à travers ses trois collections et son parc de sculptures (Calder, Pablo Picasso, Eugène Dodeigne…). Rendez-vous au week-end inaugural proposé au public les 25 et 26 septembre prochains. Entrée, festivités et animations gratuites !
Si Lille était capitale culturelle européenne en 2004, le Nord s’inscrit résolument aujourd’hui comme une métropole conviviale et créative. À côté des grandes institutions muséales locales : musée Matisse au Cateau-Cambrésis, La Piscine à Roubaix, Palais des Beaux-Arts de Lille, de nouveaux lieux émergent, invitant à la découverte d’un art plus contemporain. Dans le rayonnement de la scène culturelle de l’Europe du Nord, le LaM s’inscrit comme un pilier incontournable aux côtés du Fresnoy, du Muba (Eugène Leroy) à Tourcoing, du Tri postal et de la gare Saint-Sauveur.

 Barbara Petit

Habiter poétiquement le monde  . Du 25 septembre 2010 au 30 janvier 2011 au LaM.
crédit photo : Christian Mayaud

Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut
1 allée du Musée
59650 Villeneuve d’Ascq

 Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h.Renseignements : www.musee-lam.fr

 

 

Les acteurs de bonne foi

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Pourquoi la comédie ? Pourquoi pas une comédie ? Madame Hamelin, riche parisienne vient marier son neveu avec une gentille bourgeoise de campagne. En attendant le notaire, il faut bien s’amuser : dix pistoles à l’habile Merlin et au petit peuple de la propriété s’ils arrivent à mettre sur pied un petit enchantement rustique. Madame Argante, la partie adverse, pousse des hauts cris – pas de théâtre chez moi !-, une jolie veuve voisine vient troubler les engagements pris, ça tourne à un cruel « jeu de la vérité » entre les domestiques, et les jeunes premiers s’en sortent de justesse, tout déboussolés.
A cette courte pièce, la dernière publiée par Marivaux, peut-être pour les « théâtres de société » des châteaux et demeures, souvent jouée par les troupes d’amateurs (ce qui creuse un peu plus l’abîme du « théâtre dans le théâtre »), Jean-Pierre Vincent lui donne le lustre des grandes pièces sur l’illusion comique. La scène est dominée par l’image d’une main créatrice, chapelle Sixtine habillée en Fragonnard, Merlin pose en Gilles de Watteau, les jeunes gens se bousculent dans la paille façon Boucher, Rousseau et la Lettre à d’Alembert sur les spectacles étoffe le discours de la prude Madame Argante. Jean-Pierre Vincent et son équipe ont voulu, avec ces Acteurs de bonne foi, nous présenter tout vivant un dix-huitième siècle intelligent, désabusé et sensible.
Au bout du compte, la querelle du théâtre n’est pas vidée, ni la lutte des classes évacuée : la Parisienne se sera « payé la tête » de la sérieuse provinciale et des « comédiens sans le savoir » mis en scène dans sa basse-cour. La lucidité cruelle de Marivaux est bien là, dans son obstination à ne jamais oublier le premier moteur de nos actes – l’argent et l’intérêt, le second étant le cœur -, ni les dégâts que les mots peuvent faire dans les âmes. Et il a la malice de nous placer, nous spectateurs, du côté de la Parisienne et de son rire supérieur et indulgent.
Dirons-nous que la représentation manque de légèreté, quand Jean-Pierre Vincent a tout fait pour que le public reconnaisse à la pièce son poids théorique et humain ? La pièce est lestée d’une scène de l’Épreuve, sans compter Rousseau venu renforcer l’argumentation de Madame Argante avec la Lettre à D’Alembert sur le spectacles : rien à redire à ces ajouts.
Mais à force de déplier la pièce (« expliquer »), elle s’étire comme le jeune premier durant un long prologue matinal… Les hésitations des personnages ralentissent le tempo jusqu’à la réalité de temps morts. On se doute que ce rythme est voulu, encore nous laisse-t-il rêver à ce qui aurait pu les faire vivre. Pour le moment il nous manque que ces silences, hésitations, bouderies, rêveries… soit habités.
Trop de nonchalance, ou trop de tension entre des sentiments contradictoires (en effet inscrits dans la pièce) à faire passer. Les jeunes acteurs sont charmants, avec de très jolis éclats, mais… Alors on attend, et on a raison : les deux mères, Annie Mercier de Laurence Roy sont, elles, exemplaires.

Christine Friedel

Théâtre Nanterre-Amandiers, jusqu’au 23 octobre

I Demoni (suite)

 I Demoni de Fedor Dostoïevski,(seconde partie)  adaptation et mise en scène de Peter Stein.

 La journée s’est à peine écoulée que la représentation du spectacle a repris hier à 18 heures. Peter Stein refait sa  petite présentation en conseillant d’être vraiment à l’heure après chaque pause de façon à ce que l’on ne dépasse pas minuit… Il y a eu une certaine évaporation de spectateurs  mais ceux qui sont revenus sont toujours aussi attentifs.
Von Lembke, le nouveau gouverneur et son épouse s’adresse à la population dans un jardin public , puis il reçoit Piotr Stépanovitch qui accuse Chatov de fomenter un complot, et il persuadera ses camarades que Chatov  est en fait un espion. Mais Stavroguine  et Piotr vont se bagarrer, parce que Stavroguine ne veut pas être impliqué dans les intrigues de son camarade. Autre action en parallèle: Vavrara ne veut plus loger Stépane et luin propose de l’argent pour qu’il aille ailleurs mais il refuse. Liza aura une crise nerveuse quand elle apprend qu’il déclare avoir épousé  maria la Boiteuse il y a cinq ans. Situation sociale difficile et Voin Lembke effectue une répression sur les ouvriers. Quant à Stavroguine, très psychiquement  perturbé , il va  se confesser au Père Tikhone d’un crime odieux: le viol d’une enfant de onze ans qui se pendra ensuite;il  lui déclare qu’il veut faire imprimer cette histoire. C’est une belle scène très sobre, traitée par Stein avec  beaucoup de vérité et de sensibilité.
Réception chez von Lembke qui, la vodka aidant, tourne au désastre à cause d’une provocation politique de quelques membres du Cercle, alors qu’on apprend que des incendies ont éclaté dans la ville, ce qui fait fuir tout le monde. Liza , dans le fond, se rhabille: on voit qu’elle vient de faire l’amour avec Stravoguine auquel Piotr, le fils de Stepane  apprend que que Fedka a tué Lebidakine et Maria la boîteuse.
Liza qui a compris la situation s’enfuit pour aller voir les cadavres mais accusée par la foule, elle est tuée. Les membres du Cercle révolutionnaire discutent du sort de Chatov et Pïotr décide de l’exécuter; quant à Maria l’ex amante de Stavroguine, elle revient chez son époux Chatov… pour accoucher. Piotr lui arrive chez Kirilov pour lui faire endosser la responsabilité du meurtre politique en lui réclamant la lettre promise; ce qu’il refuse mais Kirilov finalement se suicide.
1337972252.jpgPar ailleurs Stravroguine, ravagé, revoit Dacha mais décide de la quitter  et se suicidera peu après d’un coup de revolver. Quant au pauvre Stépane, on le retrouve agonisant ou presque dans les ruines; Varvara le fait allonger; il s’avouent leur amour  mais Stépane meeur aussitôt Stépane meurt aussitôt.
II y a une grande  différence de qualité avec  la première partie, comme si Peter Stein avait mieux situé les enjeux. Et, à part le début , pendant la réunion dans le jardin public qui traîne, le reste des scènes est beaucoup plus fluide, et dramatiquement beaucoup plus intéressant. Les scènes d’amour en particulier sont très  bien traitées et il y a comme un crescendo :  liaison entre Liza et Stravoguine, accouchement brutal de Maria, assassinats politiques, mort de Stépane et enfin suicide de Stravoguine.
Certes, bien des scènes auraient mérité un élagage. Mais Peter Stein semble beaucoup plus à l’aise,  et en particulier les éclairages  sont beaucoup plus fins. Cela dit, il aurait pu nous dispenser des mètres cubes  de fumigènes éclairés de rouge sang pour figurer l’incendie, ce qui fait vraiment vieux théâtre. Mais la dernière heure quarante est vraiment de tout premier ordre. Il y a enfin! un véritable rythme dramatique qui se met en place. Et les comédiens  comme chauffés sont encore plus fabuleux , avec un côté jeu de cinéma tout à fait séduisant et singulièrement efficace. Là , on retrouve le grand Peter Stein.

Alors que faire? To go or not to go? Si vous êtes un fana inconditionnel  de Dostoïevski, pourquoi pas… Avec  de très grandes réserves sur la première partie qui ne méritent pas vraiment le déplacement. (On vous aura prévenu).
Pour la seconde, pourquoi pas, en sachant que cela dure plus de six heures: alors, mieux vaut avoir raiment envie d’y aller et ne pas être fatigué si l’on veut suivre le scénario quand même compliqué.
Ou encore, si vous n’êtes pas certain de tenir le coup, arrivez à 21 h 45 après la pause, pour la dernière partie et demandez gentiment (ou ne demandez rien) s’il ne reste pas une petite place. Vraiment les dernières scènes sont très belles… Mais on les aura  bien méritées!

Philippe du Vignal.


Odéon-Ateliers Berthier ; encore deux intégrales samedi 25 et dimanche 26 de 11 heures à 23 h 30 environ. Puis, un peu partout en octobre, dans plusieurs villes italiennes:Prato, Reggio d’Emilie, Pordenone et Turin Voir le site: www.idemoni.org

I Demoni

 

 

I Demoni de Fedor Dostoïevski, (première partie), adaptation et mise en scène de Peter Stein. ( En italien surtitré)

 

lesdemonstheatredostoievski.jpgLe grand Peter Stein, après avoir dirigé la Schaübuhne pendant quelque dix sept ans, s’est installé près de Rome et il revient  dans la grande salle des Ateliers Berthier qui lui convient parfaitement, lui qui a fait autrefois des études d’histoire de l’art et qui aime tant imaginer des situations dans un grand espace donné. Comme, entre autres, dans cette magistrale version de l’Orestie d’Eschyle que nous avions vu et à Bobigny, puis à Maubeuge en russe, ou dans La Cerisaie.
Peter Stein, tout de noir vêtu, vient, avant le spectacle, calme et déterminé dire quelques mots au public pour lui dire qu’il tient absolument à nous faire partager sur une scène l’amour qu’il a pour le célèbre roman de Dostoïevski (qui a toujours attiré les metteurs en scène). Peter Stein qui aime bien les spectacles longs, annonce tout de suite la couleur: six heures de spectacles avec deux petites pauses et 45 minutes d’entracte!
Ce qu’il ne dit pas, c’est la méfiance qu’ont eu les directeurs de théâtres italiens pour ce genre de performance, et on peut les comprendre. Il n’y a pas vraiment de décor. Mais c’est très bien. Un grand canapé revêtu de tissu ocre, deux tables  et quelques banquettes et chaises rustiques en bois , et un piano droit noir. Et quelques murs sur roulettes avec des accessoires.
De chaque côté de la scène , deux grands châssis blancs avec deux entrées sans porte.Au fond un rideau noir, et des projecteurs et rampes lumineuses apparents. Sur le devant de la scène un petit praticable. Rigueur géométrique, intelligence de l’espace, et volonté évidente de s’en tenir au seul texte et à son interprétation. Pour les lumières: tubes fluo de couleur et projecteurs halogènes blancs: autant dire tout de suite que  ni Peter Stein ni  Joachim Barth, le créateur lumière ne font dans l’effet: c’est un parti-pris mais les personnages se détachent bien, trop peut-être… un peu perdus sur cette grande scène bétonnée. Nous vous épargnerons la totalité du scénario du célèbre roman, trop long et surtout trop compliqué à résumer;  sachez simplement que cela se passe dans une petite ville de la province  vers 1870, au moment où le servage est en train d’être aboli; on attend l’arrivée d’un nouveau gouverneur, et celle de Nikolaï Stravoguine, jeune homme assez imprévisible  qui doit chez sa mère Varvara Pétrovna, veuve d’un riche propriétaire foncier qui vit avec Stépane Trofimovitch Verkhovenski, ancien précepteur de Nikolaï. Le jeune homme appartient à un cercle d’idées progressistes où il va se bagarrer avec Gagarov. Et sa mère décide alors de lui faire épouser  Liza, la fille de Prasconia, l’une de ses amies.
Prasconia lui raconte qu’au cours d’un voyage en Suisse, Nicolaï et Liza n’ont cessé de se disputer, et que Nikolaï  montre beaucoup de sympathie pour Daria, une jeune femme proche de Varvara qui veut alors marier la jeune Daria à Stépane qui pourrait,  ou presque, être son père. Stépane, angoissé, se confier à son ami Lipoutine, ingénieur qui est un nihiliste convaincu et adepte du suicide. Il y a aussi Grigoreïev qui croise Kirilov et lui confie ses idées sur le suicide, avant de se rendre chez Chatov et qui déclare sa haine profonde pour Stravoguine, lequel aurait eu une liaison avec la femme de Chatov. Liza arrive, avec sous le bras un dossier de projet d’édition qu’elle présente à Chatov; Varvara encontre une jeune femme boîteuse qui se révèle être la sœur de Lébiadkine…Prasconia surgira en accusant Varvara de compromettre sa fille Liza dans un scandale: Stravoguine aurait épousé la boîteuse…
Voilà: vous avez une idée si vous avez un peu oublié le roman, de la complexité du scénario où nombre d’actions secondaires qui s’encastrent les uns dans les autres. Bien entendu, il y a quelque personnages centraux comme Nicolaï Stravoguine, Varvara ,Stépane, et dans une moindre mesure, le Gouverneur et sa femme. Reste à savoir comment Peter Stein est arrivé à maîtriser ce fleuve  de situations et à faire d’ une suite de chapitres et surtout de dialogues romanesques où il faut se plonger, comme le font les lecteurs fanatiques de Dostoïevski. C’est comme toujours chez le metteur en scène allemand, d’une rigueur absolue sur le plateau et il possède une remarquable direction d’acteurs. Il y a 26 comédiens! Qui, certes, ne sont pas tous aussi exemplaires mais l’ensemble de la distribution est très crédible et il faut citer particulièrement les remarquables Ivan Alovisio ( Nikolaï), Maddalena Crippa (Varvara) , Elia Schilton ( Stépane) et Pia Lanciotti ( Maria ).
Bon cela dit,  il y a trop de différences profondes entre un dialogue inclus dans un univers romanesque et celui qui peut exister sur un plateau de théâtre. C’est une question d’espace, de temps mais aussi d’énonciation. Peter Stein , quand il présente le spectacle au public ne craint pas les syllogismes:  » Si l’on veut reraconter le roman, alors c’est clair, on a besoin de temps ». Sans doute,  mais faudrait-il encore s’entendre sur ce fameux  » temps  » qui ne peut être en rien celui de la vie quotidienne, et ce qu’avait bien compris encore le tout jeune Bob Wilson quand il avait monté Le regard du Sourd en neuf heures Isoler les dialogues d’un roman comme ceux des Possédés pour arriver à en faire sinon une pièce du moins un objet théâtral, c’est comme le disait Vitez,  un peu naïf. Il y faut beaucoup plus, quitte à commettre des infidélités…Et, mises bout à bout  ces dialogues à deux voire à trois personnages ne sont pas désagréables à regarder, on ne s’ennuie pas vraiment mais c’est quand même très long et très bavard !

  Même si les acteurs, répétons-le sont excellents, et ont de beaux costumes… Les scènes les plus réussies- mais rares- sont celles de groupe, où il a une véritable harmonie et là on retrouve le grand Peter Stein. Mais pour le reste, cela ne fonctionne pas vraiment! En fait, ce qu’il a raté, c’est la mise en place d’un fil rouge et d’une durée théâtrale, bref pour faire court, d’une  dramaturgie. Et comme les panneaux du surtitrage- très bien fait- sont beaucoup trop petits, le public en haut des gradins, avait quelque mal à le lire, et  donc à se retrouver dans cette intrigue complexe. Ce qui n’arrangeait  pas les choses…. Du coup, l’ensemble de cette mise en scène a quelque chose  d’assez statique, d’aseptisé, de trop propre sur elle, et l’on ne voit pas bien-et même pas du tout- c’est la folie de ces personnages qui envahit le roman, cette folie qui agite aussi bien Stravoguine surtout mais aussi Kirilov, Chatov comme Maria la boîteuse. Certes , l’on parle de suicide, de monde sans Dieu, de nihilisme, d’extrémisme révolutionnaire: autant de leit-motivs du roman que l’on ne retrouve guère dramatiquement gérés dans cette mise en scène.
A part quelques rares moments, comme cette scène de duel à la fin de cette première partie où ,enfin, vie et mort semblent alors posséder une vraie signification. Mais où sont passés ces Démons ou ces Possédés comme l’annonce le titre? Cette première partie est donc assez  décevante. Le public-pas jeune, jeune- a applaudi poliment mais sans grande chaleur… Il faut être un grand homme pour savoir résister au bon sens, écrivait Dostoïevski. Nous ne sommes pas un grand homme mais nous résisterons au bon sens qui consisterait à en rester là , et nous vous rendrons compte de la seconde partie qui a lieu demain mercredi.

 

Philippe du Vignal

 

Odéon-Théâtre de l’Europe/ Ateliers Berthier. Jusqu’au 26 septembre de 18 heures à 23 h 30. Pas de représentation aujourd’hui en raison de la grève. Relâche vendredi. Intégrales samedi 25 et dimanche 26.
Note à benêts: dans ce cas, l’intégrale dure quand même douze heures entracte compris.

 

Profils atypiques

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Profils atypiques

Textes de Nadèle Prugnard, Koffi Kwahulé, Louis-Dominique Lavigne, mise en scène Khalid Tamer et et Julien Favartdsc3221pt.jpg

Chacun de nous a pu en faire l’expérience un jour ou l’autre : face à un guichet, dans l’attente d’une indemnisation/d’un remboursement/de la signature d’un document administratif/autre compléter…(cochez la case), on nous rétorque que c’est impossible, que nous n’y avons pas droit parce qu’on « ne rentre pas dans les cases ». Nous sommes un « profil atypique ».
Et Shakespeare avait beau déclarer dans Jules César : « tout esclave a en main le pouvoir de briser sa servitude », dans la réalité, ça ne semble pas toujours si facile. Le metteur en scène Khalid Tamer a demandé à trois dramaturges contemporains, et pas des moindres, d’écrire un texte sur le travail, ou plutôt sur comment (sur)vivre le chômage.
Nadèle Prugnard, Koffi Kwahulé ( Ivoirien) et Louis-Dominique Lavigne (Québecois) ont répondu présents. Si leur langue comme leurs points de vue singuliers relatent des expériences françaises, québécoises et africaines, leur résonance est universelle. D’ailleurs, la troupe elle-même est cosmopolite, puisque les comédiens viennent de la compagnie Graines de soleil (France), de la coopérative Les Vivaces (Québec) et du collectif Éclats de Lune (Maroc).
Cette pièce brosse le tableau de différentes situations quotidiennes, tragiques mais malheureusement banales, ainsi que le portrait de personnages en recherche d’emploi.L’ironie alterne avec la légèreté pour dénoncer le système pervers qu’est devenu le marché de l’emploi : le déséquilibre entre l’offre et la demande (en tout cas pour une bonne partie des secteurs) provoque d’un côté des abus de position dominante de la part des recruteurs, qui se donnent sans scrupule le droit à toutes les humiliations possibles du candidat (une jeune femme raconte qu’elle a fini en prison parce qu’elle s’est défendue contre un patron qui voulait la violer), de l’autre maladresse et excès de soumission de la part du candidat, lequel n’a pas le choix et doit renoncer à sa dignité : une femme est prête à vendre ses yeux, sa bouche, ses seins, son sexe.
Autre exemple : pour se faire employer comme chauffeur de fourgon blindé, une candidate n’hésite pas à dire ce que l’on attend d’elle, soit qu’elle envisage le travail comme une « vocation », une « abnégation », l’argent étant « le sang du monde ». Pour convaincre, elle en vient même à proférer des paroles complètement absurdes du type : « le fourgon c’est la vie », et promettre le sacrifice, la loyauté, un total dévouement. D’ailleurs, elle est tout à fait d’accord pour se déshabiller durant l’entretien, puisque le recruteur l’exige et qu’elle a « besoin » de ce travail. Et tandis qu’elle s’exécute, le recruteur travaille son swing en se demandant si Henryk Górecki est la musique adéquate, avant de lui répondre : « Rhabillez-vous, on vous écrira ! »
Cette pièce dénonce également le nouveau dispositif censé porter assistance à ces demandeurs d’emploi en détresse : le pôle emploi. Fous rires grinçants assurés lorsque les comédiens simulent la journée-type de l’agence, dont la seule efficacité est mesurée par l’évolution des statistiques. Une scène drôle mais atrocement p
athétique. Dans la queue, on entend : « est-ce qu’on est dans un abattoir ? », tandis qu’un autre déclame : « je veux être un profiler ! » Ce qui reste des discours, c’est bien la perte profonde de l’estime de soi, le désarroi psychologique.
Un personnage confesse : « la douleur s’appelle chien, j’ai pris le visage du chien. Ce n’est pas moi qui me tue, c’est la société qui me suicide. Je suis un chien, je slame dans le ravin, je n’ai pas de destin. » Les problèmes d’ordre matériel ne sont même pas évoqués, finalement ce n’est peut-être pas là ce qui compte le plus.
Au final, ce spectacle résolument politique appuie là où ça fait mal : il dénonce (ou rappelle) la misère morale dans laquelle sont plongées les victimes du chômage de masse, la perversité du marché du travail, la contre-efficacité des dispositifs de soutien mis en place par l’État et l’aggravation de tous ces problèmes ces dernières années. « Je ne fais pas la toilette de mes pensées sales », dit l’un. « Arrête de t’excuser parce que t’es pas français, je suis venu pour travailler, je te parle du jour où je suis mort », dit l’autre.
Et, plus que tout, elle cible à travers le prisme du chômage la déshumanisation de la société tout entière. À l’heure où la stigmatisation des Roms en France devient plus que préoccupante, il faut absolument soutenir ce genre de spectacle, rare, à la parole engagée. Nous sommes tous des profils atypiques.

Barbara Petit

Au Lavoir Moderne Parisien (35 rue Léon 75018) du 18 août au 11 septembre.

Prochaines représentations : Au théâtre Prospero, 1371, rue Ontario Est, à Montréal, du 19 au 30 octobre 2010 (mardi-jeudi-vendredi à 20 h – Mercredi à 19h – Samedi à 16h et à 20 H – Relâches Dimanche et Lundi) .
Dans le cadre du FITA (Festival international de Théâtre Action) en Région Rhône-Alpes, Le 16 novembre 2010 – Espace Aragon à Villard-Bonnot, Le 17 novembre 2010 – l’Odyssée à Eybens, Le 19 novembre 2010 – Saint-Etienne de Crossey ; en juillet 2011 : à la Chapelle du Verge Incarné à Avignon

crédit photo : Christian Mayaud

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Le ravissement d’Adèle

Le ravissement d’Adèle de Rémi De Vos

  5306120659.jpgContrairement à ce que le titre pourrait suggérer, Le ravissement d’Adèle ne retrace pas l’histoire d’un ensorcèlement, mais celle, bien moins romantique, d’un rapt. Moins sulfureuse, certes, mais autrement plus savoureuse et truculente. Avec ce nouvel opus, le Flamand  Rémi De Vos signe  une comédie sociale tendre et satirique, dans la veine du Britannique Lee Hall.
La disparition d’une adolescente, Adèle, dont jusqu’au dénouement on ne saura s’il s’agissait d’une fugue ou d’un enlèvement, est le prétexte à l’immersion au cœur d’un  village de la France profonde. Et surtout, l’occasion de portraiturer d’une plume cinglante notre petite humanité et ses travers. Car le drame initial a évidemment des répercussions chez tous les habitants du village, du fonctionnaire de mairie au pilier de comptoir, du boucher au jardinier municipal….
Et chacun d’émettre  sa petite hypothèse, jusqu’à risquer même un lynchage collectif. C’est bien le langage et l’aura de ses possibilités qui est au centre du dispositif dramaturgique de Rémi De Vos. Comme dans cette question de la grand-mère qui choisit de mener une enquête parallèle : « Avez-vous remarqué quelque chose d’étrange chez quelqu’un que vous connaissez ou pas ? Que cette personne vous connaisse ou non n’a aucune importance ! »
Le ravissement d’Adèle
est un véritable texte de théâtre et Rémi De Vos manie en virtuose l’art de la réplique comme celui du rebondissement. Les situations les plus improbables s’enchaînent pour notre plus grand plaisir (voire l’altercation plus qu’épineuse entre une belle-mère et sa bru, ou le coup de foudre inopiné de l’inspecteur de police pour l’institutrice). La psychologie de chaque personnage est bien cernée mais jamais caricaturale, car si Rémi de Vos est volontiers satiriste, il n’est pas cynique. Ce qui l’intéresse, c’est l’humour et la jubilation dans les petites scènes qu’il sait si bien créer. Et petit à petit, les masques tombent…
Cette comédie villageoise piquante et aigre-douce ne devrait pas tarder à avoir autant de succès que les précédentes pièces de l’auteur, comme Sextett, Occident ou Alpenstock.
Signalons que Le ravissement d’Adèle a été créée durant en  2008 par  Pierre Guillois dans l’admirable théâtre du Peuple de Bussang. C’est sans doute la raison pour laquelle, en filigrane, on peut lire un certain discours social: « C’est pas la viande qui est trop chère,
dit le boucher, c’est les retraites qui sont pas assez élevées ».

 Barbara Petit

Actes Sud Papiers, 152 pages, 16 euros.

 

 

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