Cherry-Brandy

Cherry-Brandy, chorégraphie de Josef Nadj.

nadj1.jpgIl faut avoir un solide moral et une volonté de vivre une expérience esthétique à part,  pour découvrir la dernière œuvre de Josef Nadj. Le chorégraphe et ses douze comédiens, nous invite à ce Cherry-Brandy, création produite dans le cadre de l’année France-Russie 2010, par le festival Tchekhov à Moscou, le CCN d’Orléans, et le Théâtre de la Ville; Josef Nadj  nous plonge dans une réflexion sur la position de l’artiste face à son enfermement dans les goulags en s’appuyant sur trois auteurs et leurs écrits. Tchekhov qui a fait l’expérience volontaire d’un séjour dans le bagne de Sakhaline en 1890. Ossip Mandelstam,  qui , suite à ses  prises de position contre Staline en 1934  fut  condamné aux travaux forcés. Et surtout Variam Chalamov qui admirait Mandelstam et qui lui consacra un récit « Cherry-Brandy », alors que lui-même était déporté en Sibérie. « Sur scène ou au goulag, dernier recours contre la mort : la poésie. Et le sourire.
Remèdes connus des Russes depuis toujours », dit  Josef Nadj. Mais le sourire laisse place à l’anxiété. Ce théâtre d’ombres et de fantômes du bannissement, donne sur un plateau nu, des images très fortes, comme cette chorégraphie solo, presque pré mortem, d’une danseuse au masque de vieillard ou comme ce personnage en bois qui va être découpé en deux par une scie oscillante verticale dans un bruit assourdissant. La musique en direct souligne, elle aussi cette impression d’austérité et de dureté.
Josef Nadj et ses danseurs ont une précision du geste extrême, réalisant une calligraphie noire et blanche dans l’espace. L’ensemble laisse une impression globale d’étouffement: le goulag et l’impossibilité de fuite dominent. Mais le  spectateur, qui a envie de « respirations » au milieu de ces images parfois cruelles, ne peut s’en échapper.

Jean Couturier

 

Théâtre de la Ville

 


Archive pour octobre, 2010

Didon et Énée

Didon et Énée, de Henry Purcell, livret de Nahum Tate, conception et mise en espace Olivier Dejours et Sylvie Pascal.

  À représentation exclusive, séance sans pareil. Ce mardi 26 octobre , le Nouveau Théâtre de Montreuil proposait en effet un spectacle joué une seule soirée : Didon et Énée, l’unique opéra réalisé par le grand compositeur baroque Henry Purcell. En trois actes et quatre tableaux, le poème relate les amours contrariées et tragiques de Didon (qui a promis de rester fidèle à son défunt mari) et Énée (dont le destin est de créer Rome), à Carthage. Et le chœur de chanter au public les triomphes de la passion jusqu’à ce que les sorcières la ruinent par la mort.
Chanté en anglais, cet opéra était toutefois heureusement raconté en français.  Olivier Dejours et Sylvie Pascal ont proposé là un superbe moment pour se ressourcer. L’ambiance feutrée d’un éclairage à la bougie dessinait de somptueux clairs-obscurs et conférait une atmosphère intime et propice au recueillement.
Le jeu des musiciens (violoncelle, violon, clavecin, orgue, flûte à bac…) délicieux, procurait bien du plaisir. Quant aux chanteurs, plein de justesse et de sensibilité, armés de fougue et de conviction, ils entonnaient avec cœur. Résultat : le public (les adultes comme les enfants) était véritablement transporté.
Un divertissement charmant et délectable d’où se dégageaient sérénité et solennité. Une heure de récréation exceptionnelle et mémorable. Une expérience à renouveler, bien sûr !

Barbara Petit

Spectacle vu au nouveau théâtre de Montreuil.

ÉCUME

Théâtre franco-ontarien à Ottawa.

Écume, texte et mise en scène d’Anne–Marie White

67396452003842172338530371725167258633564n.jpgLes cultures des peuples qui vivent près de la mer recèlent des figures  mythiques  issues des grands récits marins. Et dire qu’Homère, Antonine Maillet (La Sagouine) et Anne-Marie White se côtoient,  n’est pas tout à fait farfelu.
L’auteure de ce texte qu’elle a aussi mis en scène, est  originaire d’Acadie, une région  où les chanteurs de la mer transforment  les récits folkloriques en poésie visuelle et orale.  Écume  se situe à la confluence de plusieurs instabilités : celle du monde liquide qui noie ses secrets, celle des identités  changeantes qui occultent des vérités indicibles.
L’œuvre devient une sorte de quête locale se transformant en interrogation poétique de toutes nos certitudes, quant à la nature du corps et aux  rapports humains, minés sans arrêt par l’inattendu, l’incertain ou l’inconnu. 

 
Au départ, Écume  est  une histoire d’amour entre Morgane, une fille jeune et belle,  et Émile, un beau garçon  raisonnable et sérieux. Les liens entre les amoureux sont sensuels,  physiques, voire magiques. Dès la première rencontre, un coup de foudre.
 Toutefois,  un mystère entoure cette petite femme qui se dit « poisson », puisqu’elle est  attirée par l’eau. Elle communique sans arrêt avec sa mère Simone, morte depuis longtemps mais toujours présente dans les temporalités qui englobent l’espace scénique et nous fait renouer avec le monde du conteur.
Simone observe sa fille, elle communique avec elle et la petite ne peut se libérer de l’appel de la mère car il y a tant de choses que sa mort n’a pas résolues. 

L’œuvre  est structurée par  plusieurs dialogues parallèles dans le temps : Émile parle avec son psychologue  pour s’assurer un ancrage dans la vie « matérielle et réelle »  et Morgane fait la navette entre le présent et le passé  à la recherche des explications sur  la mort de sa mère, l’identité de son père, sur les  disparitions  multiples et les secrets de famille.  Et tout se passe dans cette temporalité brouillée entre un présent trouble et un passé qui n’en finit pas. 
 
Alors que les allusions s’accumulent sur l’élément liquide, sur les poissons, sur la vie aux profondeurs de la mer, sur les disparitions, les morts inexpliquées, le dialogue avec la mère  révèle une famille libérée de tous les contraintes habituelles, limites qui gèrent le monde quotidien, puisque justement l’élément instable ouvre toutes les possibilités. En tant que petite fille, Morgane se souvient des voyages imaginaires au Maroc,  voyages évoqués aussi par un ami qui était toujours présent pour la mère. Par  les carafes, les bols   les morceaux de tissus et même la présence d’un narghilé, des objets d’origine marocaine  que la scénographe distribue autour du plan d’eau au  centre de la scène, Josée Bergeron Proulx crée un monde poétique qui incarne le mystère absent d’un monde ailleurs que la mère n,a jamais pu visiter.
Dans ce tourbillon de conversations avec l’invisible,  Émile est de plus en plus perplexe mais nous, le public, nous  découvrons peu à peu, grâce à une mise en scène très fine, les complexités d’une vie touchée par le merveilleux, à laquelle la jeune femme ne peut plus se soustraire.
Le parterre de la scène est recouvert d’une  toile d’un bleu lumineux,  à la fois surface où  on se déplace,  piscine où on plonge,  bord de mer où on patauge  et se promène, s’amuse  se roule et s’exprime librement. Les images scéniques créent cette merveilleuse poésie de l’instable à tel point que nous attendions l’arrivée de Morgane en Sirène, prête à emporter son amant dans les flots. Mais ce ne fut pas le cas: la mise en scène est constituée de jeux visuels mettant en relief les  explications  sur la mort de la mère et le sort réel du père, les unes plus  poétiques que les autres.  Puis  émerge, un personnage étrange.
Long, mince, androgyne, un jeune homme  enlève son manteau comme un reptile, se débarrasse de sa peau et révèle une présence féminine : une voyante, une confidente, celle qui reçoit les êtres troublés, un forme difficile à cerner mais autour de laquelle la mort de  la mère se reconstitue et s’explique.
Un récit devenu quasi  allégorique où  ces  présences inattendues se transforment au gré des vagues et s’évaporent  comme l’écume à la surface de l’eau. L’image révèle une nostalgie très puissante  face à la possibilité d’une nouvelle forme de vie  sans contraintes, symbolisée par la fluidité de la mer et l’aisance avec laquelle les peaux s’envolent, par la manière dont les rapports secrets entre les êtres humains et les créatures de la mer semblent s’engager. L’écume serait  le principe d’une transformation qui ouvre la voie vers la possibilité d’une liberté  inouïe.

Cet  idéalisme quelque peu naïf assorti d’un utopisme  joyeux est un hymne à une nouvelle forme de transcendance. Et dans cette œuvre résolument poétique, l’autrice examine  le mystère de notre existence, l’absence de repères et le brouillage du temps qui alimente le secret des corps.
Anne-Marie White sait diriger Marc André Charette, Geneviève Couture, Pierre-Antoine Lafond-Simard et Marilyn Castonguay. Quant au public, il lui faut respirer profondément, et se laisser  emporter par la beauté de la scène.  Pour le reste,  libre d’en penser ce qu’on veut et l’auteure n’y ferait sans doute aucune objection.

Alvina Ruprecht

Production du Théâtre du Trillium, à la Nouvelle Scène, Ottawa, jusqu’au 30 octobre 2010.
 
 
 
 

LA OMISION DE LA FAMILIA COLEMAN

La Omision de la famile Coleman, texte et mise en scène Claudio Tolcachir – Timbre 4

Sur la petite scène du Rond-Point, une famille, une vraie. C’est-à-dire: un appartement où rien n’est à sa place, des mots qui n’arrivent pas à destination -à supposer qu’ils soient partis -, des temps et contre-temps différents pour chacun, des embrassades, des bagarres, et des bouderies, et au bout du compte une solidarité de fait qui peut bien se défaire.
Pas de père à l’horizon, mais il y en eut deux, un jour, pour procréer les quatre enfants. Une mère infantile, une sœur qui a échappé au sac de nœuds mais vient s’y embrouiller de temps en temps, un ga
tolcachir.jpgrçon « spécial » qui dort avec sa mère et ne se lave jamais, « les jumeaux » dont une fille qui cherche à gagner un peu d’argent en faisant de la couture… Rien ne marche, et ça fonctionne quand même. La mort de la grand-mère vient secouer tout ça d’une sorte de bradyséïsme (= tremblement de terre lent) qui aggrave juste un peu les choses, sans les changer réellement.

Claudio Tolcachir et sa troupe installent une vérité hallucinante, dans la mesure où ils prennent exactement le temps qu’il leur faut, parfois précipité, parfois mort, suspendu, avant que ça reparte, ou non. Les acteurs s’emparent de l’espace et des objets-tout bêtes, quotidiens-avec la même énergie totale et faussement brouillonne, attentive à cette histoire du temps qui passe, ou non.
L’auteur a voulu que soit gardé le mot « omision », en version originale, avec un accent aigu sur le que les claviers azerty sont incapables de reproduire) : façon de dire la guirlande de manques qui constitue la famille Coleman.
Absence des pères, on l’a vu, manque à gagner, manque d’à propos, et même peine à jouir, par une sorte de fatalité qui ne serait en aucun cas du fatalisme. Car cette famille-là, dans sa débine et sa déglingue, a sa fierté, quand même.

D’aucuns y ont vu une image de l’Argentine durant la crise. La crise est partout, et cette dramaturgie d’un quotidien à la fois fragile, pesant et joyeux est universelle. D’où vient que l’on sorte de là très admiratif mais pas emporté ? Le spectacle nous en donne à la fois trop et pas assez. On frôle la tragédie, on frôle le grotesque. Aurions-nous à ce point besoin de terreur et de pitié ? Il y a là une autre sorte de trouble.
À voir, à creuser.

Christine Friedel
Festival d’automne. Théâtre du Rond Point 01 44 95 98 21 jusqu’au 13 novembre. La Scène Watteau à Nogent-sur-Marne 01 48 72 94 94 les 10 et 11 décembre

Également de Claudio Tolcachir : El viento en un violin, Maison des Arts de Créteil 01 45 13 19 19 du 16 au 20 novembre.

 

LA OMISION DE LA FAMILIA COLEMAN de Claudio Tolcachir


La Compagnie Timbre 4 est une maison. Et la maison est une école. Et l’École est un théâtre. Et aussi une compagnie, au coeur de Boedo, un des quartiers typiques de Buenos Aires.  La compagnie a été créée en 1999 par un groupe d’acteurs d’origine et de formation diverse. On découvre cette étrange smala familiale au saut du lit, tout le monde se dispute pour savoir qui fera le petit déjeuner, c’est Néné qui déclare s’en charger, elle ne trouve pas les allumettes pour faire chauffer l’eau du maté et se dispute avec ses frères et sa sœur Gabi, la seule à mener un travail concret en lavant et en  réparant des vêtements.  Survient une dernière sœur Veronica élégante qui vit ailleurs avec des enfants et un mari, venue saluer la grand mère qui règne sur la tribu. Et l’on découvre que Néné n’est pas la sœur aînée, mais la mère de la tribu qui vit grâce aux allocations de la grand-mère.
Quant au frère aîné, il  est étrangement agressif, et semble obsédé par les enfants de sa soeur qu’il traite de nains…  Mais la grand-mère tombe malade, on doit la faire hospitaliser grâce aux bons soins de Veronica qui entretient une liaison avec le médecin de la clinique. Et toute la famille se retrouve autour du lit de la grand- mère, on leur a coupé le gaz, la facture n’a pas été payée, ils viennent s’installer sur son lit, prendre une douche…
Une étrange vérité se dégage de ce nid familial fait d’attachements incestueux, de violences, de jalousies mais d’amours tout de même, interprété par une troupe cohérente et soudée.

Edith Rappoport

Festival d’Automne.

Théâtre du Rond Point jusqu’au 13 novembre 01 44 95 98 21


www.theatredurondpoint.fr

 

Ahmed Philosophe

Ahmed Philosophe, d’Alain Badiou, mise en scène Grégoire Ingold.

   ahmed.jpgCe courrier d’une habitante de Sarges-les-Corneilles (ville de votre héros, Ahmed le philosophe, ville que j’ai reconnue aisément, car il se trouve que j’y habite aussi!). Une célèbre ex « ville nouvelle » qui a, soi-disant, mal tourné) et pour vous remercier du fond du cœur de la belle représentation d’Ahmed philosophe que nous avons pu voir hier soir  dans une salle pleine et rieuse.
Merci à tous les deux d’avoir conçu, écrit, et réalisé ce projet avec la compagnie Balagan Système. Pourquoi tant de mercis ? 1) Merci de ne pas prendre les habitants de Sarges-les-Corneilles pour des idiots ! 2) Merci de nous dégourdir les neurones, de nous proposer ces joyeux exercices de gymnastique spirituelle, de ne pas ajouter malheur sur malheur et consternation sur consternation à notre situation, de nous rendre notre part d’humour et de sagesse , et Dieu sait s’il en faut !
Avec un rideau doré, un tréteau de bois, et surtout quatre superbes acteurs, et un chanteur inspiré, vous nous invitez à partager quelques expériences existentielles, expériences au sens scientifique du terme : on met en présence des matériaux, quelle va être la réaction ? Une expérience, une question, un amusement, un jeu. 3 Merci enfin de tourner dans les théâtres, mais aussi hors des théâtres, ce qui permet de croiser familièrement quelques grands maîtres de la philosophie, n’importe où. Et certes, ils sont à Sarge-les-Corneilles tout aussi bien qu’ailleurs, il suffit de les appeler avec vivacité, ce qui était le cas hier soir.
Ahmed était formidable, porté par Brahim Tekfa, entraînant et élégant, féroce et véloce, à l’aise sur le plateau comme dans le questionnement philosophique : l’ici et l’ailleurs ? Avancer masqué ? La nationalité, comment la définir ? Prendre une décision ? Hasard ou nécessité ? Que de grandes questions ! Oui, mais abordées sans emphase, avec légèreté et fantaisie. Juste esquissées, histoire de nous laisser tout seul faire la suite du chemin.
Ahmed a un peu tendance à abuser du bâton comme arme finale de persuasion, mais bon, en souvenir de son illustre prédécesseur, héros des enfants et des canuts lyonnais, alias Guignol,  cela lui est   pardonné. Et puis, il faut bien que chaque petite séquence de cinq, dix minutes, se termine. C’est aussi le  bâton du régisseur.   Face à lui, Moustache, le « prolo », interprété par Bruno Fontaine, amenait tout le poids de son for intérieur ! Naïf et si drôle. Tout d’un bloc, mais un peu perdu aussi, et on le comprend. Fenda, (Laétitia Lalle Bi Bénie) , est grâce et vivacité, même dans sa décision de ne rien décider.
Quant à notre cher élu, Edouard Pompestan, que tout le monde aura immédiatement reconnu, comme toujours très en forme, interprété plus vrai que nature – comme il se doit au théâtre par Etienne Brac, il aura une fois de plus montré aux électeurs sa bonne volonté, mais, hélas, les messages intempestifs reçus sur son portable ne lui ont pas permis de participer pleinement au débat philosophique !   Cependant, ses regards, son nez, ses expressions de bouche, ses mains, sa démarche, jusqu’à ses cheveux et ses lunettes, étaient si parlants, que ce fut un véritable régal pour le public qui a savouré, là comme ailleurs, la malice de l’acteur, le canevas de l’auteur et la justesse du regard de leur complice indispensable, le metteur en scène.
Un cinquième compère, Abdel Sefsaf, a lancé vers le ciel des chants inspirés et ce fut vraiment une belle soirée. On en sort l’esprit tout revigoré et c’est avec un nouvel entrain que nous avons repris le long  chemin de retour vers ce cher Sarges-les-Corneilles…

Evelyne Loew

 Festival L’Automne à tisserThéâtre de l’Epée de Bois, Cartoucherie, jusqu’au 31 octobre, et en tournée (contact@balagan-systeme.fr)

Les rêves dansants

Les rêves dansants (sur les pas de Pina Bausch), documentaire d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann en VO sous titrée

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  Aventure humaine et artistique, mais aussi  émouvant témoignage sur le mode de travail et l’esprit qui pouvaient entourer toute création de Pina Bausch.Ce documentaire retrace le travail que Pina Bausch et deux de ses danseuses, Joséphine Ann Endicott et Béatrice Billet ont réalisé avec 40 jeunes de plus quatorze ans en 2008, sur une durée de douze mois pour la recréation de la célèbre pièce Kontakthof, à Wuppertal. Kontakthof, ( lieu de contact), parle  des rapports humains dans leur violence mais aussi leur tendresse.
Créée en 1978, par la troupe et ces deux danseuses, c’est une pièce maîtresse du répertoire de la compagnie qui a été jouée ensuite par des amateurs « dames et messieurs de plus de 65 ans » en l’an 2000. Les deux répétitrices vont pas à pas, faire découvrir à ce groupe de jeunes, les éléments de la chorégraphie initiale et le plaisir de la danse. En même temps, c ‘est à un tournant fondamental de la vie, que ces jeunes filles timides et ces garçons maladroits vont être confrontés, la découverte de leurs corps et de ceux de leurs partenaires, ainsi que la révélation du « lâcher prise », sous les regards des autres, si difficile à vivre à cet âge.
Cette expérience artistique et de vie qui se déroule sous nos yeux, est accompagnée par la présence, le regard, les mains et la parole de Pina Bausch. Cette  » personne tout à fait normale », dont parle Joséphine Ann Endicott aux élèves, avant leur première rencontre avec la chorégraphe, apparaît malgré tout comme un être à part, que l’on croise rarement dans une  vie… .Pina Bausch donne à ces élèves un ultime conseil qui devrait résonner sur toutes les scènes du monde :  » C’est au naturel que vous êtes le mieux ».L’image finale à découvrir est très bouleversante, Pina est là, présente, et elle n ‘est déjà plus là… .Une phrase dite par un des élèves, sur son expérience, résume ce film unique, et traduit notre manque à tous: « une fois que l’on est dedans on n ‘a plus envie de partir ».

 Kontakthof sera présentée dans sa version « seniors », les 3, 4, 6, 7 février 2011 à St Nazaire à la base sous-marine Le life, et dans sa version « adolescents », les 24, 25, 26 février 2011 au Théâtre National de Bretagne à Rennes.

Jean Couturier

Méliès, cabaret magique

Méliès, cabaret magique, texte, mis en scène, commentaires,  accordéon: Anne Quésemand.

  georgesmelies4.jpgCela se passe dans la petite scène du Théâtre de la Vieille Grille  où le Théâtre à Bretelles d’Anne Quésemand et Laurent Berman nous  invitent  à venir redécouvrir les petits films du génial Méliès.  
Né en 1861, il apprit la prestidigitation et l’illusionnisme en  Grande- Bretagne puis reprit le Théâtre Robert Houdin pour y  présenter des spectacles.  Puis, quand il découvrit le cinéma, il  entreprit alors  de réaliser de petits films, dont une bonne partie est  fondée sur des trucages tout à fait inventifs et merveilleux pour  l’époque.
Comme le dit Anne Quésemand dans le spectacle, c’est 
Griffith qui disait: « Je lui doits tout  » et Chaplin précisait:  « Méliès est l’alchimiste de la lumière. Mais ce véritable génie du  cinéma et du trucage , sans doute pas très doué pour les affaires, se fit rouler par des grosses firmes américaines et finira dans les années 30 comme boutiquier à la Gare Montparnasse ;  ce sont les surréalistes qui lui donneront une véritable postérité et  le grand Langlois , directeur de la Cinémathèque qui retrouvera  et restaurera une grande partie de  ses  films.
  Les courtes bandes présentées sont à la fois étonnantes  d’invention et de savantes mises au point dans les trucage  ( disparitions subites, transformations, effets spéciaux: Méliès  avait déjà tout inventé il y a plus d’un siècle dont le célèbre   L’Affaire Dreyfus qui fut censuré pendant cinquante ans et le non  moins célèbre  Voyage dans la lune (1902)-  avec une musique au piano  de Laurent Grynzpan; il y a aussi, en, alternance les tours de magie de Paul Maz, ( en alternance avec Sylvain Solustri , chacun avec ses tours évidemment)  d’autant plus remarquables qu’il les réalise devant  nous à deux mètres à peine: journal déchiré en bande qui reprend sa forme initiale trente secondes après, cordon coupé  qui revient  en cercle fermé,  œuf en plastique métamorphosé en vrai. C’est à la fois simple et du domaine de l’enchantement. Anne Quésemand et Laurent Berman,  sagement assis sur le côté, commentent l’action et font les bruitages  nécessaires.  Un travail  rigoureux, sans aucune  prétention mais  avec tout le savoir-faire et la sensibilité propres  au Théâtre à Bretelles.
  Aucune restriction: vous pouvez y aller :  c’est du cousu main:  la scène et la salle ne sont  pas bien grandes  mais cela donne justement une belle complicité entre comédiens/  musiciens et spectateurs, et les enfants qui étaient là prenaient  autant de plaisir au spectacle que leurs parents.

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre de la Vieille Grille 1 rue du Puits de l’Ermite 75005 Paris à  
une minute  du Métro Place Monge;
( attention: le spectacle ne se joue pas tous les jours: 01-47-07-22-11)
 

La Noce

La Noce d’Anton Tchekov, mis en scène de Vladimir Pankov.

lanoce1.jpgVladimir Pankov dirige un collectif d’acteurs et de musiciens  à Moscou depuis une dizaine d’années ; il a  réinventé cette petite pièce de Tchekhov écrite en  1888  donc contemporaine d’ Ivanov et de L’Esprit des Bois qui préfigura Oncle Vania) qui est assez souvent montée en France, et inspirée par Le Mariage que Nicolas Gogol écrivit quelque cinquante ans auparavant, et dont le thème sera repris plus tard par Brecht.
C’est comme  un rituel musical et chorégraphique d’une fête  de mariage où sont convoqués:  vertige verbal, fascination sexuelle, mensonges de toute sorte  et personnages aussi ridicules que hauts en couleur: ce qui est à l’origine l’officialisation d’une relation très intime entre deux  êtres, devient alors une fête monstrueuse,où la vodka coule à flots : la moitié au moins des invités  ne connaît pas l’autre moitié, mais il y a aura quand même quelques belles rencontres qui finiront elles-mêmes par d’autres mariages,  comme dans tous les pays du monde. Dans la même euphorie alcoolisée et la même bêtise collective…

   Vladimir Pankov a associé les acteurs/ musiciens  russes de son collectif SounDrama à l’ensemble de la troupe plus traditionnelle du Théâtre biélo-russe  Ianka Koupala de Minsk.Le fiancé est donc un acteur moscovite, mais la fiancée et sa famille sont biélo-russes. Et il y a parfois quelques personnages répliques qui sont dédoublés.
Qu’importe si on se perd parfois un peu dans le sur-titrage, on reste fasciné par cette comédie musicale qui n’en est pas une et où la petite pièce de Tchekov sert en fait de prétexte à une fantaisie théâtro-musicale…

    On est, comme le remarque Béatrice Picon Vallin, dans le réalisme grotesque, où la moindre scène frise le délire et l’absurde, et déraille allègrement! Vladimir Pankov a l’audace d’installer un foutoir total …mais parfaitement maîtrisé où il dirige impeccablement vingt-huit interprètes, et il n’y a pas tellement de metteurs en scène français capables d’une pareille prouesse, à part sans doute Jérôme Savary. Pas vraiment de décor mais une scénographie de tables que l’on place selon les besoins, et qui servent aussi de praticables où l’on peut danser, avec une référence évidente à la grande Pina Bausch.
   Il y a, bien sûr, beaucoup de musique (servie par six musiciens (violon, contrebasse, cor, accordéon, balalaïka et petite guitare hawaïenne) dans un savant cocktail d’airs folkloriques, de chansons de cabaret mais aussi d’extraits de Svadebki  d’Igor Stravinski, et de danses collectives.  Avec une impeccable chorégraphie d’Elena Bogadanovitch, toute d’invention et d’intelligence,  impeccable. 
    Le plus fascinant dans cette succession de tableaux: le savoir-faire remarquable de Vladimir Pankov,  dès qu’il appuie sur la touche départ. Tout parait normal, évident, alors que, sur scène, règne un incroyable va-et-vient, et que tout est réglé avec une précision d’horloger. On pense à ce que devaient être les spectacles de Meyerhold. Rigueur de la direction d’acteurs, même si tous ne sont pas au même niveau et uunité absolue à laquelle parvient Vladilmir Pankov, ceux atouts majeurs  mais sans aucun doute acquis au prix d’un travail à la fois exigeant et raffiné.
  Au chapitre des bémols: sans doute un peu trop de virtuosité démonstrative et  quelque vingt minutes de trop! Mais quand même, quel bonheur, quel moment de partage dans la grisaille théâtrale parisienne ( Nous ne visons personne mais suivez notre regard jusqu’au métro Palais-Royal) et quel enseignement pour le théâtre français!

Philippe du Vignal

Le spectacle a été joué  seulement cinq fois  du 19 au 23 octobre au Théâtre des Abbesses.

Don Juan

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Peu montée,  cette adaptation du célèbre Don Juan a été écrite par  Brecht en 1953 soit trois ans avant sa mort, avec la collaboration de  Beno Besson d’Elizabeth Hauptamann et fut jouée en 54 au Berliner  Ensemble. C’est, comment dire, une sorte de Don Juan de poche où le  héros n’a plus grand chose à voir avec le grand séducteur : il a perdu  bien de son panache et ressemble un peu à Sgnarelle son valet. Don Juan  a abandonné son orgueil mais  non sa rouerie. En fait, Brecht a beaucoup élagué mais a su garder les grandes lignes de la  pièce. Et une heure et demi,  la messe est dite  et bien dite.
Mais nous sommes dans le farcesque, dans le spectacle de bateleurs, et ce sont les personnages – de  pauvres pêcheurs au lieu des paysans imaginés par Molière qui vont  être aussi  les conteurs/ acteurs de cette histoire. Dans la superbe mise en scène de Jean-Michel Vier, pas de décor,  seuls quelques accessoires indispensables, des costumes simplifiés  dont on change à vue, sans aucune prétention: cela pourrait se jouer sur n’importe quelle petite place de village.
Et les comédiens jouent plusieurs personnages, que figurent aussi quelques grandes  marionnettes maniées à vue. Le texte coule sans aucun accroc, avec beaucoup d’élégance,  à la fois dans le dialogue comme dans la gestuelle sur le petit plateau du Lucernaire; les  acteurs qui ne sont pas dans la scène restent toujours visibles formant  souvent un chœur qui commente l’action. C’est d’une intelligence scénique , d’un vrai métier ,  et d’une unité de jeu  incomparables.  Côté mise en scène et  direction  d’acteurs: zéro défaut, zéro tracas: tous les interprètes sont à la  fois humbles et impeccables dans chaque rôle , ce qui n’est pas si fréquent ( suivez  mon regard, madame Mayette, metteuse en scène d’Andromaque) : Valérie Alane (Elvire),  Syvain Katan ( Sganarelle), Pierre Val ( Don Juan), Pascale  Cousteix ( Mathurine), Guy Ségalen ( le Père) et Cédric Villenave  ( le Choeur) .
Et le public , pour une fois assez jeune ,ne boudait pas son  plaisir.  Cela faisait du bien de  retrouver un théâtre à la fois bourré de finesse et accessible à  tous, comme on aimerait en trouver plus souvent. Populaire, oui, populaire, osons le mot; on pense à cette photo mythique de  Jacques Copeau mettant en scène , de façon prophétique,Les Fourberies de Scapin sur quelques praticables place Saint-Sulpice, il y a quelque cent ans déjà…   Alors à voir? Quelle question!

Philippe du Vignal

Théâtre du Lucernaire à 21 heures 30

Un nid pour quoi faire

Un nid pour quoi faire d’Olivier Cadiot, mise en scène Ludovic Lagarde.

  nid.jpgLudovic Lagarde persiste et signe : Un nid pour quoi faire est rien moins que sa sixième adaptation pour le théâtre d’un roman d’Olivier Cadiot, son comparse depuis plus de quinze ans. L’écrivain étant l’auteur associé au Festival d’Avignon cette année (en plus de l’être à la Comédie de Reims dont  Ludovic Lagarde est le directeur), c’est là que le spectacle a été créé. Heureusement, le Théâtre de la Ville a eu une pensée pour ceux qui ne pouvaient être dans la Cité des Papes en juillet, et l’a inscrit dans sa programmation automnale. De quoi réchauffer nos petites cellules grises et dégivrer le sourire figé par le froid. Histoire ubuesque et déjantée d’un roi exilé avec sa cour à la montagne, Un nid pour quoi faire est aussi le prétexte à une réflexion sur le pouvoir et ses abus. Car, comme toujours avec Olivier Cadiot, le langage et les jeux qu’il offre ont la part belle : nous vous laissons le soin de découvrir ce « Palais des Glaces » d’un nouveau genre.
Dans un chalet de bois (imaginé par  Antoine Vasseur) simple, pratique et confortable comme une maison nordique Ikea, on s’assoit sur des tapis de fourrures et l’on mange des huîtres fraîches. C’est qu’ici, tout est mêlé : à l’image de ces costumes (Fanny Brouste) qui croisent la panoplie du skieur à celle de l’aristocrate, le respect de l’étiquette le dispute à la débauche plus contemporaine d’une virée en boîte. Ou comme cet écran en fond de scène qui voit défiler des images plus incongrues les unes que les autres.
Au « royaume », les problèmes sont nombreux : l’intimité et la proximité du vase clos (le fameux nid du titre) étouffent, le roi sent son autorité lui échapper. D’ailleurs tous les déjeuners pour travailler le déficit d’image tournent au drame. Jusqu’au jour où l’arrivée d’un impromptu vient changer la donne. Pour ce personnage, qui est en fait le narrateur de l’histoire (même s’il est muet), c’est une voix off qui s’exprime accompagnée d’une petite musique. De l’inattendu, toujours…
L’excellent Laurent Poitrenaux incarne un roi typique : capricieux, dépressif, confit dans sa solitude, rongé d’angoisse et d’ennui, ne pouvant faire confiance à ses courtisans (les flatteurs sont la troupe de la Comédie de Reims : Pierre Baux, Constance Larrieu, Julien Storini…). La direction d’acteurs, impeccable, rend les scènes de groupe savoureuses : celle, bluffante, où les personnages bougent au ralenti ; celle, jubilatoire, de danse en guise d’échauffement avant d’aller skier ; celle, hilarante, du dégel du roi englouti dans dix mètres de neige ; celle, onirique, où le salon se transforme en sauna ; celle, mystérieuse, du bal masqué final où l’intrigue se dénoue. Cela dit, le spectacle mériterait d’être un peu resserré (deux heures quinze tout de même !) pour garder son rythme et son intensité. Une proposition originale et avant-gardiste, flirtant avec la danse et la performance, et exploitant avec maestria les possibilités numériques du son et de l’image.

Barbara Petit

 Jusqu’au 22 octobre au Théâtre de la Ville. En tournée les 4 et 5 novembre au lieu unique de Nantes, les 9 et 10 novembre au Théâtre de Saint-Quentin en Yvelines.

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