Les Chaises

Les Chaises, d’Eugène Ionesco, mise en scène Luc Bondy

172338chaiseunejpg70843.jpg«  Plus on va, plus on s’enfonce », déclare le pitoyable vieux sur scène. Funeste présage que vient corroborer le gibet dressé : deux cordes pour se pendre, qui tanguent et se balancent. Car on l’ignore encore mais pour les deux vieux, ce soir est le grand soir. Sur le plateau nu et dépouillé, éclairé de la seule lumière blafarde des néons, une radio TSF juchée sur un tabouret lance une vieille ritournelle italienne, tandis qu’un radiateur fuit dans son coin. D’ailleurs, le sol recouvert d’une bâche en plastique abrite de grandes flaques d’eau, mare aux canards d’un nouveau genre sur laquelle le vieux pousse des bateaux en papier à l’aide d’une baguette de pain, où il fait patauger ses pieds avec la même gaieté qu’un enfant. Touchante scénographie (Karl-Ernst Herrmann) qui se fait l’écrin d’une élégante dramaturgie : les saynètes rythmées par la musique se succèdent avec de beaux fondus au noir, la lumière révélant à chaque fois une nouvelle posture. Mais que font, demanderez-vous, ces deux vieux au crépuscule de la nuit éternelle, en attendant la venue de la grande faucheuse ?   Comme à l’accoutumée, ils se racontent leurs petites histoires, drôles et dérisoires, avec les souvenirs qui ne s’accordent pas toujours.
Car tout est mâtiné chez Ionesco : les vieux, avec la souplesse des équilibristes, courent, font des acrobaties et des cascades − la vieille danse avec la fraîcheur et la légèreté d’un petit rat. Le tragique de certains moments (la vieille tombée de sa chaise rampe) le dispute au comique d’autres (le vieux perd son dentier en riant). Et, au soir de la vie, l’infantilisme et l’impuissance du nouveau-né les rattrape : le vieux porte piteusement une couche, rit et pleure comme un mioche.
C’est qu’ils sont touchants nos deux vieux ! Touchants et attachants dans leur délire à rassembler pour leurs hôtes imaginaires une tonne de chaises et à les disposer sur scène et en coulisses jusqu’à saturation, à faire la conversation à ces êtres invisibles, mais en restant à l’affût de l’arrivée de l’orateur que lui a invité.
Et justement, quand le moment tant attendu arrive, que la deuxième scène de théâtre apparaît dans la première, avec son rideau de velours fuchsia, le fauteuil de vinyle assorti, que le « grand maître », sa « majesté » surgit, tenant du rocker des années 50, avec sa veste et son jean à paillettes, sa banane sur la tête, et ses bottes noires vernies, on se dit que vraiment, Luc Bondy a le sens de la mise en scène. Fulgurant!
Si Ionesco a composé une belle pièce sur la vieillesse, sa solitude, ses petites manies, la maladie et la souffrance qui l’accompagnent irrémédiablement, la tendresse désarmante d’un couple de centenaires, Luc Bondy a su lui donner toute sa force et la faire résonner en s’entourant de trois excellents comédiens, deux qui simulent de manière bluffante la vieillesse (et pas seulement grâce aux costumes et au maquillage, mais grâce à une gestuelle et une diction d’une précision redoutable) : Micha Lescot, Dominique Reymond, et un troisième qui campe un désopilant orateur sourd muet : Roch Leibovici.
Beaucoup de style et de conviction pour cette adaptation des Chaises; on passera volontiers sur  quelques petites longueurs ici ou là. L’essentiel est ailleurs, la vieille le savait bien, elle qui conseillait à son mari : « Tourne, mon p’tit chou ! »

Barbara Petit

Au Théâtre Nanterre-Amandiers jusqu’au 23 octobre 2010 à 21 heures.

Tournée en France et en Europe jusqu’en juin 2011 : www.nanterre-amandiers.com


 


2 commentaires

  1. Barbara Petit dit :

    Madame, je prends connaissance de votre commentaire qui me semble n’avoir aucun lien avec mon article, puisque je ne connais ni les préoccupations de l’auteur, ni les critiques de sa fille, et qu’il me semble avoir parlé en termes élogieux du jeu des acteurs et de cette mise en scène en général. Permettez-moi de trouver cette invitation à se rendre sur votre blog pour y lire votre article un peu cavalière. Bien à vous.

  2. karnimata dit :

    Inutile, pour apprécier ce spectacle, de s’encombrer des préoccupations de l’auteur, de s’imprégner des critiques de la fille de Ionesco concernant le respect des didascalies. En reprenant ce texte près de quarante ans plus tard, Luc Bondy ne pouvait que livrer une réflexion sur le temps et la mort. Il règne dans cette pièce une tension douce entre la régression (vers l’enfance, qui amène par exemple Dominique Reymond à une expression corporelle jubilatoire) et l’inéluctabilité de la mort.
    http://www.attractions-visuelles.over-blog.com

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