Oncle Vania

Oncle Vania d’Anton Tchekov, mise en scène de Serge Lipszyc.

  p924504.jpg Oncle Vania, comme le rappelle justement le metteur en scène se situe dans l’œuvre théâtrale de Tchekov à un moment de transition entre les pièces de jeunesse comme Platonov et Ivanov, et les grandes pièces que sont Les Trois sœurs  et La Cerisaie. Oncle Vania, c’est, par le biais du personnage, de  Vania, la peinture de la désillusion, de la fatigue de vivre au quotidien, quand tous les jours se ressemblent dans cette campagne isolée de tout.
Le professeur Sérébriakov, âgé et retraité, est venu  se  reposer dans le domaine familial  avec sa deuxième femme, la jeune et séduisante Eléna( vingt sept ans). C’est  Vania( le frère de l’épouse décédée de Sérébriakov) qui tient la propriété , grâce à un travail acharné, avec sa nièce Sonia, fille de Sérébriakov , lequel  est sans doute incapable de l’aimer vraiment ; Vania a sans doute trimé dur, et ne supporte pas que Sérébriakov , petit intellectuel sans envergure ni talent,veuille vendre le domaine; bien entendu, comme dans toutes les pièces de Tchekov, la question de l’argent est omniprésente et constitue un polluant très efficace dans les relations familiales, puisque Vania reproche à son beau-frère d’avoir vécu grâce aux bénéfices que rapportaient les moissons, alors que lui n’en  voyait guère la couleur. Sonia, elle, aime depuis bien longtemps Astrov  le médecin, qui ne veut même pas s’en apercevoir,  et qui noie dans la vodka sa fatigue quotidienne et son désarroi quand des patients  incurables meurent dans ses bras . Quant à  Maria, la mère de Vania, elle  admire beaucoup son gendre Sérébriakov.
Il y a aussi Téléguine, un propriétaire foncier ruiné qui vit aux crochets de la famille. Et Marina, la vieille nounou. Héléna n’est pas indifférente aux charmes de Vania, et c’est sans doute réciproque. Et  Vania à bout de nerfs fera semblant de tuer  Sérébriakov à coups de revolver; c’en est  trop  et, finalement, sa jeune épouse et lui  repartiront, et  sans doute à jamais. Il y a  encore  un peu de L’Homme des Bois, la pièce qui a préfiguré Oncle Vania, et   certains thèmes de La Cerisaie sont déjà dans l’air: l’attachement profond à la  propriété familiale, enjeu et source de conflits, le désir amoureux, très fort mais voué à l’échec, le sentiment très fortement enraciné que la terre appartient davantage à nos enfants qu’à nous-mêmes, et qu’il faut  la préserver des crimes que l’ homme lui fait subir sans en avoir la moindre idée. Il y a des phrases prophétiques chez Tchekov tout à fait étonnantes, alors que la planète n’était pas menacée comme elle l’est aujourd’hui.
Oncle Vania a été souvent montée ces dernières années, notamment par Lev Dodine, et par Jacques Livchine en plein air dans une mise en scène qui avait  fait l’unanimité. et qui doit surfer sur les vagues de la 80 ème représentation! Celle de Serge Lipszyc est juste correcte, c’est à dire qu’il nous en donne une lecture  honnête mais pas plus et encore;  même avec Robin Renucci dans le rôle titre, qui, lui, ne  semble ne pas être très à l’aise et s’ennuyer un peu..    Il est là ,sans être vraiment là, comme s’il n’avait pas envie de jouer le personnage..Comme s’il n’avait pas réussi à quitter sa livrée de domestique de Désiré de Guitry qu’il avait superbement interprété l’an passé dans la mise en scène de Lipsczyc.
Le reste de la distribution, à part René Loyon/ Sérébriakov et Lipzscyc/ Astrov, tous deux très justes, manque un peu de souffle, et c’est un euphémisme; par moments, cela frise même l’amateurisme distingué. Et il y a des erreurs que l’on  n’arrive pas à comprendre: pourquoi Lipzsyc a-t-il fait réaliser ce plancher en contre-plaqué qui résonne à chaque pas? Pourquoi les lumières sont-elle aussi parcimonieuses? Pourquoi ces changements de dispositifs scéniques avec ces noirs qui paraissent bien longs? Pourquoi ce manque de direction d’acteurs?
Cela dit, il y a  quelques belles-mais courtes-scènes sur la fin, en particulier entre Vania et son beau-frère, entre Astrov et Héléna… A ces seuls moments-là, passe une réelle émotion, surtout quand Sonia  évoque l’avenir avec Vania. Mais c’est trop tard… Alors ? Encore une fois, c’est une mise en scène que l’on peut voir avec un petit plaisir, si l’on n’est vraiment pas trop exigeant… Le spectacle qui s’est déjà joué en tournée, ne pourra guère se bonifier. Mais si un jour l’été prochain, vous croisez sur votre chemin le Vania à la campagne du Théâtre de l’Unité, alors, ne le ratez surtout pas.

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet jusqu’au 30 octobre.


Archive pour 17 octobre, 2010

SI JE SUIS L’AUTRE

SI JE SUIS L’AUTRE  d’Elsa Ménard,

Depuis plusieurs années, la Collectif 12  de Mantes-la-Jolie organise à la rentrée d’octobre une rencontre ouverte à des compagnies qui font leurs premières expériences, peinant pour  trouver des lieux de représentation. Elles disposent ici d’un lieu de travail dynamique et chaleureux, parfois pendant plusieurs semaines et des amorces de production.
On y voit des spectacles souvent prometteurs, pas toujours aboutis, mais certains comme ceux la compagnie TOC de Mirabelle Rousseau ont pu faire éclore leur démarche de troupe. Elsa Ménard travaille depuis plusieurs mois sur la notion de racisme, elle avait présenté Euphémisme, une comédie française, au dernier Jeunes Zé Jolie, une longue mise en abîme des politiques d’immigration conçue à partir de citations de discours politiques et médiatiques. Si je suis l’autre en est la suite : trois hommes sont assis sur un banc, deux petits blancs et un grand noir. Ils devisent sur leurs différences, le premier affirme son racisme ordinaire, le noir s’en indigne calmement, le troisième tente de tempérer l’inexplicable haine de celui qui « n’est pas raciste, mais qui dit ce que tout le monde pense ». De discussions de bistrot en citations de propos  tenus par des responsables politiques- de Michel Rocard («  La France ne peut  accueillir toute la misère du monde » mais il avait rajouté « mais  elle en prendra sa part »  à Le Pen,  en passant par des Premiers ministres de droite- trois bons comédiens accompagnés par Elsa Ménard en rousse meneuse de jeu, mettent en lumière la peste brune qui menace notre pays.

 

Edith Rappoport

Festival Jeunes Zé Jolie

http://mangetatete.com

Enfants du siècle

Enfants du siècle, diptyque composé de Fantasio & On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset, mise en scène de Benoît Lambert. 

  enfantssiecle2010093733d.jpgCes deux pièces et Lorenzaccio ont été écrites par Musset en 1834 qui n’avait que 24 ans.! Si, si c’est vrai! Fantasio est une sorte de conte  où le jeune Fantasio cynique et révolté, alcoolique, coureur de femmes  et criblé de dettes, qui est un peu le double de l’auteur- adulé dans sa jeunesse mais, on l’oublie trop souvent, mort dans l’oubli à 46 ans -va se débrouiller pour prendre la place  de Saint-Jean , bouffon récemment décédé, du Roi de Bavière. Il a, pour éviter une guerre, destiné sa fille Elisabeth au ridicule et niais Prince de Mantoue qui  s’est déguisé en valet pour être plus près de la Princesse. Mais Fantasio, à la fois pour s’amuser et rendre service, va tout faire pour séduire Elsbeth et faire en sorte que ce mariage avec le Prince de Mantoue n’ait pas lieu…
Mais le Roi est furieux de cette initiative et Fantasio se retrouvera en prison,  mais à l’abri de  ses  créanciers… Que  la belle Princesse dédommagera, mais Fantasio restera derrière les barreaux. Comme l’écrivait Denis Podalydès qui , il y a deux ans monta cette pièce- formidablement écrite  et très séduisante pour un metteur en scène:  » C’est l’expression d’une mélancolie d’autant plus profonde en fait qu’elle semble joyeuse, ironique et farcesque ».
Oui, mais voilà, comme traduire cette expression en termes théâtraux? Podalydès n’avait pas tellement bien réussi son coup, pas plus que Julia Vidit , comme l’a relaté ce mois-ci Barbara Petit ( voir pour ces deux réalisations: Le Théâtre du Blog). Benoît Lambert a choisi d’en faire un diptyque avec On ne badine pas avec l’amour. Scénographie simplifiée: des tables rectangulaires alignées ,  un rideau de fil dans le fond et une distribution qui réunit les acteurs pour les deux pièces.
Nous avons raté le  tout début de Fantasio à cause d’un retard de train mais que dire.? A la fois, la mise en scène de Benoit Lambert a des qualités de sérieux universitaire et de rigueur; il y a de bons comédiens, en particulier: Guillaume Hinckly ( Fantasio), Pierre Ascaride ( Le Roi et le père de Perdican),  Etienne Grebot, ( Le Conseiller du Roi et Maître Bridaine Cécile Gérard ( La Gouvernante et dame Pluche) Emmanuel Vérité ( Le Prince de Mantoue et Perdican)  et, en même temps, cela ne fonctionne pas vraiment et l’on a du mal à entrer dans ce conte à la fois d’un romantisme échevelé qui a des allures de B.D. que Benoît Lambert a bien du mal à faire entrer sur un plateau…
Il y manque sans doute la folie et le charme de Musset qui faisaient aussi défaut chez Podalydès. La faute à quoi? D’abord à une scénographie, vaguement inspirée de celles de Wilson, mais  maladroite et encombrante qui n’aide guère les comédiens, à un éclairage des plus parcimonieux, comme si Benoît Lambert avait- par moment du moins- privilégié la belle image à coup de musique surlignante, ce qui est toujours inutile, au détriment de l’interprétation; la faute aussi  à un manque de rythme, et à une direction d’acteurs quelque peu flottante: pourquoi faire crier sans raison les comédiens? Tout cela n’est pas vraiment convaincant… La lettre de Musset sans doute, mais pas l’esprit. Peut-être ne sommes nous pas tombés sur le bon jour, mais, malgré des qualités, il y a quand même trop de choses approximatives dans ce spectacle.
La mise en scène d’ On ne badine pas avec l’amour- avec ces mêmes tables mais cette fois recouvertes de d’herbe verte avec une fontaine en résine brune très kitch- est un peu plus vigoureuse mais semble souvent hésiter, comme celle de Fantasio, entre le premier et le second degré. On retrouve donc les mêmes acteurs, pour nous faire vivre les amours de Camille et de Perdican, à travers quelques scènes culte que tous les apprentis comédiens français connaissent par cœur…   Difficile de résister à ce texte d’une précision et à d’une  virtuosité du langage qui sont  un peu la marque de fabrique du jeune Musset. Plus de 150 ans après, les mœurs ont sans doute bien changé mais les répliques de Badine sont toujours aussi incandescentes, et Benoît Lambert, cette fois, semble un peu plus à l’aise pour diriger ses comédiens; reste un grave problème, Morgane Hainaux, que l’on a pu voir dans plusieurs séries télé n’est pas crédible une seconde dans Camille: manque de présence, diction souvent bâclée alors que la langue de Musset demande à la fois  précision et  aisance, gestuelle imprécise: bref, rien n’est dans l’axe et c’est plutôt ennuyeux quand il s’agit de Camille: c’est un peu toute la pièce qui s’en ressent.
Alors à voir? A vous de juger! Cela dit, Il y avait beaucoup de jeunes gens à la représentation de ce diptyque qui ne semblaient pas s’ennuyer et qui paraissaient sensibles à cette histoire d’amour  et de jalousie provoquée qui tourne mal, puisque Rosette finira par se suicider mais ce Fantasio et ce Badine nous ont  laissé un peu sur notre faim…

Philippe du Vignal

Spectacle vu à la Comédie de Caen, repris au Théâtre 71 de Malakoff du 4 au 27 novembre.

De Profundis

De Profundis d’Oscar Wilde, mise en scène et adaptation de Grégoire Couette-Jourdain

deprofundis.jpgOscar Wilde écrit une ultime lettre à son amant depuis les tréfonds de la geôle où il est incarcéré après avoir été littéralement banni et humilié pour cause d’homosexualité. Son amant n’est pas étranger à la situation puisque c’est son propre père qui a catalysé cette situation sur fond d’intrigue croisant histoire de mœurs et histoire politique que l’on ne va pas révéler ici. Cette lettre fait initialement 180 pages, elle est à considérer comme le testament éthique d’un homme à l’adresse de celui qu’il a aimé, mais aussi comme un témoignage fait à titre posthume, envoyé à l’ensemble de la société de son époque (Wilde avait demandé à ce qu’elle soit publiée après sa mort).
Le dandy a disparu… Reste un homme seul, humble et fragile, qui dévoile son processus de reconstruction en narrant ce qu’il a éprouvé devant le déroulement des faits qui l’ont conduit dans son cachot, puis nous relate l’enfer du quotidien de son univers actuel. Cet enfer lui permet une longue introspection – aux origines de la lettre – qui le fait conclure sur une idée qui peut étonner tant on retient une image d’Epinal du poète : le pire des vices est la superficialité.
Magnifiquement bien écrite, adaptée avec talent par Grégoire Couette-Jourdain et interprétée avec brio par un Jean-Paul Audrain culminant, cette pièce séduira les amateurs de Wilde bien sûr, mais aussi les amoureux de grands textes joués au théâtre comme ceux qui s’intéresseraient à une peinture livrée en creux de l’Angleterre bien pensante de la fin du 19e siècle. La mise en scène sobre sert le propos et sublime l’interprétation de Jean-Paul Audrain. Les lumières ont fait l’objet d’un véritable travail d’orfèvrerie: elles font  plus qu’habiller le plateau noir, elles découpent des espaces (donnant au plateau un peu terne du Lucernaire une vie superbe) et suggèrent sans rien imposer des atmosphères entrant en écho aux ressentis de Wilde….C’est vraiment très réussi.
Ce soir était la quatre-vingtième des représentations de la pièce et aussi la dernière en ce lieu, après plus de deux mois de succès. Gageons que des directeurs de théâtre auront sentiront  l’intérêt de la faire vivre plus longtemps

Jérôme Robert

Au Lucernaire jusqu’au 16 octobre.

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