Enfants du siècle
Enfants du siècle, diptyque composé de Fantasio & On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset, mise en scène de Benoît Lambert.
Ces deux pièces et Lorenzaccio ont été écrites par Musset en 1834 qui n’avait que 24 ans.! Si, si c’est vrai! Fantasio est une sorte de conte où le jeune Fantasio cynique et révolté, alcoolique, coureur de femmes et criblé de dettes, qui est un peu le double de l’auteur- adulé dans sa jeunesse mais, on l’oublie trop souvent, mort dans l’oubli à 46 ans -va se débrouiller pour prendre la place de Saint-Jean , bouffon récemment décédé, du Roi de Bavière. Il a, pour éviter une guerre, destiné sa fille Elisabeth au ridicule et niais Prince de Mantoue qui s’est déguisé en valet pour être plus près de la Princesse. Mais Fantasio, à la fois pour s’amuser et rendre service, va tout faire pour séduire Elsbeth et faire en sorte que ce mariage avec le Prince de Mantoue n’ait pas lieu…
Mais le Roi est furieux de cette initiative et Fantasio se retrouvera en prison, mais à l’abri de ses créanciers… Que la belle Princesse dédommagera, mais Fantasio restera derrière les barreaux. Comme l’écrivait Denis Podalydès qui , il y a deux ans monta cette pièce- formidablement écrite et très séduisante pour un metteur en scène: » C’est l’expression d’une mélancolie d’autant plus profonde en fait qu’elle semble joyeuse, ironique et farcesque ».
Oui, mais voilà, comme traduire cette expression en termes théâtraux? Podalydès n’avait pas tellement bien réussi son coup, pas plus que Julia Vidit , comme l’a relaté ce mois-ci Barbara Petit ( voir pour ces deux réalisations: Le Théâtre du Blog). Benoît Lambert a choisi d’en faire un diptyque avec On ne badine pas avec l’amour. Scénographie simplifiée: des tables rectangulaires alignées , un rideau de fil dans le fond et une distribution qui réunit les acteurs pour les deux pièces.
Nous avons raté le tout début de Fantasio à cause d’un retard de train mais que dire.? A la fois, la mise en scène de Benoit Lambert a des qualités de sérieux universitaire et de rigueur; il y a de bons comédiens, en particulier: Guillaume Hinckly ( Fantasio), Pierre Ascaride ( Le Roi et le père de Perdican), Etienne Grebot, ( Le Conseiller du Roi et Maître Bridaine Cécile Gérard ( La Gouvernante et dame Pluche) Emmanuel Vérité ( Le Prince de Mantoue et Perdican) et, en même temps, cela ne fonctionne pas vraiment et l’on a du mal à entrer dans ce conte à la fois d’un romantisme échevelé qui a des allures de B.D. que Benoît Lambert a bien du mal à faire entrer sur un plateau…
Il y manque sans doute la folie et le charme de Musset qui faisaient aussi défaut chez Podalydès. La faute à quoi? D’abord à une scénographie, vaguement inspirée de celles de Wilson, mais maladroite et encombrante qui n’aide guère les comédiens, à un éclairage des plus parcimonieux, comme si Benoît Lambert avait- par moment du moins- privilégié la belle image à coup de musique surlignante, ce qui est toujours inutile, au détriment de l’interprétation; la faute aussi à un manque de rythme, et à une direction d’acteurs quelque peu flottante: pourquoi faire crier sans raison les comédiens? Tout cela n’est pas vraiment convaincant… La lettre de Musset sans doute, mais pas l’esprit. Peut-être ne sommes nous pas tombés sur le bon jour, mais, malgré des qualités, il y a quand même trop de choses approximatives dans ce spectacle.
La mise en scène d’ On ne badine pas avec l’amour- avec ces mêmes tables mais cette fois recouvertes de d’herbe verte avec une fontaine en résine brune très kitch- est un peu plus vigoureuse mais semble souvent hésiter, comme celle de Fantasio, entre le premier et le second degré. On retrouve donc les mêmes acteurs, pour nous faire vivre les amours de Camille et de Perdican, à travers quelques scènes culte que tous les apprentis comédiens français connaissent par cœur… Difficile de résister à ce texte d’une précision et à d’une virtuosité du langage qui sont un peu la marque de fabrique du jeune Musset. Plus de 150 ans après, les mœurs ont sans doute bien changé mais les répliques de Badine sont toujours aussi incandescentes, et Benoît Lambert, cette fois, semble un peu plus à l’aise pour diriger ses comédiens; reste un grave problème, Morgane Hainaux, que l’on a pu voir dans plusieurs séries télé n’est pas crédible une seconde dans Camille: manque de présence, diction souvent bâclée alors que la langue de Musset demande à la fois précision et aisance, gestuelle imprécise: bref, rien n’est dans l’axe et c’est plutôt ennuyeux quand il s’agit de Camille: c’est un peu toute la pièce qui s’en ressent.
Alors à voir? A vous de juger! Cela dit, Il y avait beaucoup de jeunes gens à la représentation de ce diptyque qui ne semblaient pas s’ennuyer et qui paraissaient sensibles à cette histoire d’amour et de jalousie provoquée qui tourne mal, puisque Rosette finira par se suicider mais ce Fantasio et ce Badine nous ont laissé un peu sur notre faim…
Philippe du Vignal
Spectacle vu à la Comédie de Caen, repris au Théâtre 71 de Malakoff du 4 au 27 novembre.