Don Juan
Peu montée, cette adaptation du célèbre Don Juan a été écrite par Brecht en 1953 soit trois ans avant sa mort, avec la collaboration de Beno Besson d’Elizabeth Hauptamann et fut jouée en 54 au Berliner Ensemble. C’est, comment dire, une sorte de Don Juan de poche où le héros n’a plus grand chose à voir avec le grand séducteur : il a perdu bien de son panache et ressemble un peu à Sgnarelle son valet. Don Juan a abandonné son orgueil mais non sa rouerie. En fait, Brecht a beaucoup élagué mais a su garder les grandes lignes de la pièce. Et une heure et demi, la messe est dite et bien dite.
Mais nous sommes dans le farcesque, dans le spectacle de bateleurs, et ce sont les personnages – de pauvres pêcheurs au lieu des paysans imaginés par Molière qui vont être aussi les conteurs/ acteurs de cette histoire. Dans la superbe mise en scène de Jean-Michel Vier, pas de décor, seuls quelques accessoires indispensables, des costumes simplifiés dont on change à vue, sans aucune prétention: cela pourrait se jouer sur n’importe quelle petite place de village.
Et les comédiens jouent plusieurs personnages, que figurent aussi quelques grandes marionnettes maniées à vue. Le texte coule sans aucun accroc, avec beaucoup d’élégance, à la fois dans le dialogue comme dans la gestuelle sur le petit plateau du Lucernaire; les acteurs qui ne sont pas dans la scène restent toujours visibles formant souvent un chœur qui commente l’action. C’est d’une intelligence scénique , d’un vrai métier , et d’une unité de jeu incomparables. Côté mise en scène et direction d’acteurs: zéro défaut, zéro tracas: tous les interprètes sont à la fois humbles et impeccables dans chaque rôle , ce qui n’est pas si fréquent ( suivez mon regard, madame Mayette, metteuse en scène d’Andromaque) : Valérie Alane (Elvire), Syvain Katan ( Sganarelle), Pierre Val ( Don Juan), Pascale Cousteix ( Mathurine), Guy Ségalen ( le Père) et Cédric Villenave ( le Choeur) .
Et le public , pour une fois assez jeune ,ne boudait pas son plaisir. Cela faisait du bien de retrouver un théâtre à la fois bourré de finesse et accessible à tous, comme on aimerait en trouver plus souvent. Populaire, oui, populaire, osons le mot; on pense à cette photo mythique de Jacques Copeau mettant en scène , de façon prophétique,Les Fourberies de Scapin sur quelques praticables place Saint-Sulpice, il y a quelque cent ans déjà… Alors à voir? Quelle question!
Philippe du Vignal
Théâtre du Lucernaire à 21 heures 30