La Noce
La Noce d’Anton Tchekov, mis en scène de Vladimir Pankov.
Vladimir Pankov dirige un collectif d’acteurs et de musiciens à Moscou depuis une dizaine d’années ; il a réinventé cette petite pièce de Tchekhov écrite en 1888 donc contemporaine d’ Ivanov et de L’Esprit des Bois qui préfigura Oncle Vania) qui est assez souvent montée en France, et inspirée par Le Mariage que Nicolas Gogol écrivit quelque cinquante ans auparavant, et dont le thème sera repris plus tard par Brecht.
C’est comme un rituel musical et chorégraphique d’une fête de mariage où sont convoqués: vertige verbal, fascination sexuelle, mensonges de toute sorte et personnages aussi ridicules que hauts en couleur: ce qui est à l’origine l’officialisation d’une relation très intime entre deux êtres, devient alors une fête monstrueuse,où la vodka coule à flots : la moitié au moins des invités ne connaît pas l’autre moitié, mais il y a aura quand même quelques belles rencontres qui finiront elles-mêmes par d’autres mariages, comme dans tous les pays du monde. Dans la même euphorie alcoolisée et la même bêtise collective…
Vladimir Pankov a associé les acteurs/ musiciens russes de son collectif SounDrama à l’ensemble de la troupe plus traditionnelle du Théâtre biélo-russe Ianka Koupala de Minsk.Le fiancé est donc un acteur moscovite, mais la fiancée et sa famille sont biélo-russes. Et il y a parfois quelques personnages répliques qui sont dédoublés.
Qu’importe si on se perd parfois un peu dans le sur-titrage, on reste fasciné par cette comédie musicale qui n’en est pas une et où la petite pièce de Tchekov sert en fait de prétexte à une fantaisie théâtro-musicale…
On est, comme le remarque Béatrice Picon Vallin, dans le réalisme grotesque, où la moindre scène frise le délire et l’absurde, et déraille allègrement! Vladimir Pankov a l’audace d’installer un foutoir total …mais parfaitement maîtrisé où il dirige impeccablement vingt-huit interprètes, et il n’y a pas tellement de metteurs en scène français capables d’une pareille prouesse, à part sans doute Jérôme Savary. Pas vraiment de décor mais une scénographie de tables que l’on place selon les besoins, et qui servent aussi de praticables où l’on peut danser, avec une référence évidente à la grande Pina Bausch.
Il y a, bien sûr, beaucoup de musique (servie par six musiciens (violon, contrebasse, cor, accordéon, balalaïka et petite guitare hawaïenne) dans un savant cocktail d’airs folkloriques, de chansons de cabaret mais aussi d’extraits de Svadebki d’Igor Stravinski, et de danses collectives. Avec une impeccable chorégraphie d’Elena Bogadanovitch, toute d’invention et d’intelligence, impeccable.
Le plus fascinant dans cette succession de tableaux: le savoir-faire remarquable de Vladimir Pankov, dès qu’il appuie sur la touche départ. Tout parait normal, évident, alors que, sur scène, règne un incroyable va-et-vient, et que tout est réglé avec une précision d’horloger. On pense à ce que devaient être les spectacles de Meyerhold. Rigueur de la direction d’acteurs, même si tous ne sont pas au même niveau et uunité absolue à laquelle parvient Vladilmir Pankov, ceux atouts majeurs mais sans aucun doute acquis au prix d’un travail à la fois exigeant et raffiné.
Au chapitre des bémols: sans doute un peu trop de virtuosité démonstrative et quelque vingt minutes de trop! Mais quand même, quel bonheur, quel moment de partage dans la grisaille théâtrale parisienne ( Nous ne visons personne mais suivez notre regard jusqu’au métro Palais-Royal) et quel enseignement pour le théâtre français!
Philippe du Vignal
Le spectacle a été joué seulement cinq fois du 19 au 23 octobre au Théâtre des Abbesses.