Ahmed Philosophe
Ahmed Philosophe, d’Alain Badiou, mise en scène Grégoire Ingold.
Ce courrier d’une habitante de Sarges-les-Corneilles (ville de votre héros, Ahmed le philosophe, ville que j’ai reconnue aisément, car il se trouve que j’y habite aussi!). Une célèbre ex « ville nouvelle » qui a, soi-disant, mal tourné) et pour vous remercier du fond du cœur de la belle représentation d’Ahmed philosophe que nous avons pu voir hier soir dans une salle pleine et rieuse.
Merci à tous les deux d’avoir conçu, écrit, et réalisé ce projet avec la compagnie Balagan Système. Pourquoi tant de mercis ? 1) Merci de ne pas prendre les habitants de Sarges-les-Corneilles pour des idiots ! 2) Merci de nous dégourdir les neurones, de nous proposer ces joyeux exercices de gymnastique spirituelle, de ne pas ajouter malheur sur malheur et consternation sur consternation à notre situation, de nous rendre notre part d’humour et de sagesse , et Dieu sait s’il en faut !
Avec un rideau doré, un tréteau de bois, et surtout quatre superbes acteurs, et un chanteur inspiré, vous nous invitez à partager quelques expériences existentielles, expériences au sens scientifique du terme : on met en présence des matériaux, quelle va être la réaction ? Une expérience, une question, un amusement, un jeu. 3 Merci enfin de tourner dans les théâtres, mais aussi hors des théâtres, ce qui permet de croiser familièrement quelques grands maîtres de la philosophie, n’importe où. Et certes, ils sont à Sarge-les-Corneilles tout aussi bien qu’ailleurs, il suffit de les appeler avec vivacité, ce qui était le cas hier soir.
Ahmed était formidable, porté par Brahim Tekfa, entraînant et élégant, féroce et véloce, à l’aise sur le plateau comme dans le questionnement philosophique : l’ici et l’ailleurs ? Avancer masqué ? La nationalité, comment la définir ? Prendre une décision ? Hasard ou nécessité ? Que de grandes questions ! Oui, mais abordées sans emphase, avec légèreté et fantaisie. Juste esquissées, histoire de nous laisser tout seul faire la suite du chemin.
Ahmed a un peu tendance à abuser du bâton comme arme finale de persuasion, mais bon, en souvenir de son illustre prédécesseur, héros des enfants et des canuts lyonnais, alias Guignol, cela lui est pardonné. Et puis, il faut bien que chaque petite séquence de cinq, dix minutes, se termine. C’est aussi le bâton du régisseur. Face à lui, Moustache, le « prolo », interprété par Bruno Fontaine, amenait tout le poids de son for intérieur ! Naïf et si drôle. Tout d’un bloc, mais un peu perdu aussi, et on le comprend. Fenda, (Laétitia Lalle Bi Bénie) , est grâce et vivacité, même dans sa décision de ne rien décider.
Quant à notre cher élu, Edouard Pompestan, que tout le monde aura immédiatement reconnu, comme toujours très en forme, interprété plus vrai que nature – comme il se doit au théâtre par Etienne Brac, il aura une fois de plus montré aux électeurs sa bonne volonté, mais, hélas, les messages intempestifs reçus sur son portable ne lui ont pas permis de participer pleinement au débat philosophique ! Cependant, ses regards, son nez, ses expressions de bouche, ses mains, sa démarche, jusqu’à ses cheveux et ses lunettes, étaient si parlants, que ce fut un véritable régal pour le public qui a savouré, là comme ailleurs, la malice de l’acteur, le canevas de l’auteur et la justesse du regard de leur complice indispensable, le metteur en scène.
Un cinquième compère, Abdel Sefsaf, a lancé vers le ciel des chants inspirés et ce fut vraiment une belle soirée. On en sort l’esprit tout revigoré et c’est avec un nouvel entrain que nous avons repris le long chemin de retour vers ce cher Sarges-les-Corneilles…
Evelyne Loew
Festival L’Automne à tisserThéâtre de l’Epée de Bois, Cartoucherie, jusqu’au 31 octobre, et en tournée (contact@balagan-systeme.fr)