Théâtre franco-ontarien à Ottawa.
ÉCUME
Texte et mise en scène d’Anne–Marie White
Les cultures des peuples qui vivent près de la mer recèlent des figures mythiques issues des grands récits marins. En fait, dire qu’Homère, Antonine Maillet (La Sagouine) et Anne-Marie White se côtoient, n’est pas tout à fait farfelu. L’auteure de ce texte qu’elle a aussi mis en scène, est originaire d’Acadie, une région où les chanteurs de la mer transforment les récits folkloriques en poésie visuelle et orale. Écume se situe à la confluence de plusieurs instabilités : celle du monde liquide qui noie ses secrets, celle des identités changeantes qui occultent des vérités indicibles. L’œuvre devient une sorte de quête « locale » qui se transforme en questionnement poétique de toutes nos certitudes quant à la nature du corps et quant aux rapports humains, minés sans arrêt par l’inattendu, l’incertain, l’inconnu.
Au départ, Écume est une histoire d’amour entre Morgane, une fille jeune et belle, et Émile, un beau garçon « raisonnable » et sérieux. Les liens entre les jeunes amoureux sont sensuels, physiques, voire magiques. Dès la première rencontre c’est le coup de foudre.
Toutefois, un mystère entoure cette petite femme, qui se dit « poisson » puisqu’elle est attirée par l’eau. Elle communique sans arrêt avec sa mère Simone, morte depuis longtemps mais toujours présente dans les temporalités qui englobent l’espace scénique et nous fait renouer avec le monde du conteur. Simone observe sa fille, elle communique avec elle et la petite ne peut se libérer de l’appel de la mère car il y a tant de choses que la mort de cette mère n’a pas résolues.
L’œuvre est structurée par plusieurs dialogues parallèles dans le temps : Émile parle avec son psychologue pour s’assurer un ancrage dans la vie « matérielle et réelle » tandis que Morgane fait la navette entre le présent et le passé à la recherche des explications sur la mort de sa mère, l’identité de son père, sur les disparitions multiples et les secrets de famille. Et tout se passe dans cette temporalité brouillée entre un présent trouble et un passé qui n’en finit pas.
Alors que les allusions s’accumulent sur l’élément liquide, sur les poissons, sur la vie aux profondeurs de la mer, sur les disparitions, les morts inexpliquées, le dialogue avec la mère révèle une famille libérée de tous les contraintes habituelles, limites qui gèrent le monde quotidien, puisque justement l’élément instable ouvre toutes les possibilités. En tant que petite fille, Morgane se souvient des voyages imaginaires au Maroc, voyages évoqués aussi par un ami qui était toujours présent pour la mère. Par les carafes, les bols les morceaux de tissus et même la présence d’un narghilé, des objets d’origine marocaine que la scénographe distribue autour du plan d’eau au centre de la scène, Josée Bergeron Proulx crée un monde poétique qui incarne le mystère absent d’un monde ailleurs que la mère n,a jamais pu visiter.
Dans ce tourbillon de conversations avec l’invisible, Émile est de plus en plus perplexe mais nous, le public, nous découvrons peu à peu, grâce à une mise en scène très fine, les complexités d’une vie touchée par le merveilleux, à laquelle la jeune femme ne peut plus se soustraire.
Le parterre de la scène est recouvert d’une toile d’un bleu lumineux, à la fois surface où on se déplace, piscine où on plonge, bord de mer où on patauge et où les personnages se promènent, s’amusent, se roulent et s’expriment librement. Les images scéniques créent cette merveilleuse poésie de l’instable à tel point que j’attendais l’arrivée de Morgane en Sirène, prête à emporter son amant dans les flots. Mais tel ne fut pas le cas.
En effet, la mise en scène est constituée de jeux visuels mettant en relief les explications sur la mort de la mère et le sort réel du père, les unes plus poétiques que les autres. Puis émerge un personnage étrange. Long, mince, androgyne, un jeune homme enlève son manteau comme un reptile, se débarrasse de sa peau et révèle une présence féminine : une voyante, une confidente, celle qui reçoit les êtres troublés, forme difficile à cerner mais autour de laquelle la mort de la mère se reconstitue et s’explique. Un récit devenu quasi allégorique où ces présences inattendues se transforment au gré des vagues et s’évaporent comme l’écume à la surface de l’eau. L’image révèle une nostalgie très puissante face à la possibilité d’une nouvelle forme de vie, une vie sans contraintes, symbolisée par la fluidité de la mer, par l’aisance avec laquelle les peaux s’envolent, par la manière dont les rapports secrets entre les êtres humains et les créatures de la mer semblent s’engager. L’écume serait le principe de transformation, la matière qui ouvre la voie vers la possibilité d’une liberté inouïe.
Cet idéalisme quelque peu naïf assorti d’un utopisme joyeux est un hymne à une nouvelle forme de transcendance. Cette œuvre résolument poétique, examine le mystère de notre existence, l’absence de repères et le brouillage du temps qui ne fait qu’alimenter le secret des corps.
Anne Marie White sait diriger les comédiens. Marc André CharetteGeneviève CouturePierre Antoine Lafond Simard, Marilyn Castonguay. Quant au public, il lui faut respirer profondément, en se laissant emporter par la beauté de la scène. Et pour le reste, on est libre d’en penser ce qu’on veut. L’auteure n’y ferait sans doute aucune objection.
Alvina Ruprecht
Écume Une production du théâtre du Trillium, à la Nouvelle Scène, Ottawa, jusqu’au 30 octobre 2010.