Le tangible, un spectacle de Eid Aziz, Eve Chems de Brouwers , Tale Doven, Boutïna Elfekkak, Liz Kinoshita, Federaica Porello, Rojina Rahmooon, Mokhallad Rasem et Frank Vercruyssen, en arabe, en anglais et en français surtitré en arabe et en français..
C’est un travail collectif, comme l’indique Frank Vercruyssen sur la région moyen-orientale, non pas sur le fait brut de la guerre israëlo-palestinienne mais comme métaphore pour parler de l’humain en général, sans avoir la prétention, ajoute-t-il d’analyser une situation géopolitique qui échappe déjà en grande partie à des observateurs pourtant sur le terrain depuis de nombreuses années. Avec l’idée bien ancré de révéler à travers ce spectacle multi-media que ce tangible revendiqué est celui de la perte d’un patrimoine, c’est à dire en gros et pour faire court, de la maison qui appartient à chacune de nous et qui disparaît tout d’une coup, à cause d’un bombardement, avec les souvenirs, les objets les plus quotidiens, qui sont sans valeur autre que celle d’être une parcelle de la réalité qui nous environne et de notre être. Cela revient à nous interroger évidemment sur ce que nous sommes, nous l’humanité, capables finalement d’infliger à d’autres humains c’est à dire aussi à nous-même.
Le Tg Stan est venu à de nombreuses reprises depuis dix ans au Théâtre de la Bastille et au Festival d’Automne , et l’on retrouve cette fois encore cette façon bien à eux de gérer un spectacle où les règles du théâtre traditionnel ont été depuis longtemps abolies, où il n’y pas de costume revendiqué, et l’on fait appel à l’image comme à la danse, avec une bande son tout à fait originale.
Et ce nouvel opus est conforme aux précédents, qui donne toute sa prééminence au texte et à l’acteur qui le dit. Une jeune femme aux longs cheveux bruns, puis un jeune homme arabe dit sans aucun artifice des poèmes arabes, en particulier ceux de l’immense Mahmoud Marwich, et de Samih al-Qasim, poète palestinien et citoyen israélien, des fragments de texte de John Berger, etc…
A mesure que défilent sur le grand écran en fond de scène des images de villes orientales avec des immeubles illuminés la nuit mais aussi d’autres visiblement dont il ne reste plus que la carcasse, le reste ayant été soufflé par des bombes; on voit de temps à autre des routes serrées entre des rouleaux de barbelé, et de loin des hommes et des femmes,, dont on devine pourtant le quotidien de l’effroyable tragédie dans une vie où le peur des drones et des hélicoptères Apaches est omni-présente. Il faut avoir entendu dans le ciel le vrombissement d’avions ennemis au-dessus des villes, sans savoir de quoi peut être faite la minute qui va suivre. On sait même quand on est enfant que tout peut basculer d’une minutes à l’autre et que la maison ou l’appartement tant chéris et constituant de l’identité d’une famille peut n’être plus qu’un amas de ruines. En une perte irréversible! Ici, aucun pathos, mais la force du texte, des images, et de la musique en sourdine qui les accompagnent..
Tout n’est sans doute pas de la même intensité mais, avec un art de la litote consommé, le TG Stan sait dire les choses et les dit bien: soit le refus jamais vraiment avoué d’Israël d’accepter la reconnaissance d’un Etat Palestinien, dont les prémices ont commencé par l’exode forcé de plus de 700.000 d’entre eux dès 1948. Et dans l’étroit territoire , vivent ou plutôt survivent actuellement trois millions de personnes. Avec un encerclement de murs de plus en plus menaçant comme la ville de Qualqiya totalement entourée par 17 kilomètres de murs avec une seule porte de sortie.
Certes le spectacle ne dit pas tout cela, et on ne voit pas bien parfois où il va et l’on a l’impression que ce collage de textes poétiques, de danse et de photos qui tient aussi de la performance, manque singulièrement de construction.
Mais ce spectacle aide au moins à ce que cette gigantesque exclusion de tout un peuple, gérée hypocritement par l’ensemble des nations, ne tombe pas dans l’oubli. Alors à voir? Ce n’est sans doute pas le meilleur de Tg Stan mais, malgré quelques longueurs, on ne peut y être indifférent.
Philippe du Vignal
Spectacle créé à Bergen ( Norvège) en avril dernier. Théâtre de la Bastille/ festival d’Automne jusqu’au 14 novembre.