Le Malade imaginaire
Le Malade imaginaire de Molière, mise en scène d’Alain Gautré.
« Nous sommes au bord du gouffre mais l’élégance, toujours, sera de vous divertir au prix de l’exigence et de la drôlerie. Jusqu’au bout », déclare Alain Gautré. Un challenge qui était aussi celui de Molière, lui qui mourut en scène lors de la quatrième représentation de ce Malade imaginaire. Si le dramaturge, affaibli et moribond à l’époque, a fait de la maladie et de la mort le thème de sa pièce en exhibant un Argan hypocondriaque, il ne propose pas pour autant une tragédie morbide.
Bien au contraire, pour mieux tordre le cou à ses angoisses, il offre un tableau saisissant et joyeux comme ces danses macabres du Moyen-Âge qui tentaient d’apprivoiser la mort. Son carnaval à lui est une comédie ballet avec intermèdes et passages chantés. Un aspect festif et débridé qui est le parti-pris d’Alain Gautré et de sa compagnie Tutti Troppo pour cette adaptation électrique et déjantée du Malade Imaginaire.
Théodore Adorno et Rimbaud n’affirmaient-ils pas qu’il faut être résolument moderne ? Ici, contemporanéité rime avec rap, funk, soul music et rock. Les comédiens touchent du mime, du clown, de la danse et du chant, avec brio pour la plupart, ce qui n’est pas rien. Leur agilité et leur talent sont mis en valeur par des costumes seyants, tous plus originaux et fantasques les uns que les autres, et aux couleurs chatoyantes (Catherine Oliveira).
Des exemples ? Les domestiques en baskets sont des joyeux loustics qui, avec balais, chiffons et bruits de bouche, slament et rapent, d’improbables zigotos qui se trémoussent à travers des néons volants. Notre Argan se déplace sur un fauteuil électrique, son insolite bonnet de nuit n’a rien à envier à sa cravate démente ou à ses chaussures de plage en plastique. Revêtue d’un kimono bleu, Toinette, la servante, tient d’une actrice de théâtre Nô. Les comédiens, pleins d’une énergie à couper le souffle et avec un jeu très maîtrisé, passent allégrement d’un personnage à l’autre : Teddy Melis campe avec autant d’éclat un Polichinelle ridicule qu’un M. Bonnefoi imposteur et stupide, Maxime Nourissat incarne un Diafoirus bloqué du cou par une minerve ou un Béralde gentleman anglais, Caroline Espargilière l’Angélique amoureuse ou sa sœur Louison. Un vivat également à Sara Mangano pour la Béline sournoise et surtout à Pierre-Yves Massip dont le Thomas Diafoirus a remporté tous les suffrages auprès du public : louchant, le nez et les oreilles rouges, la bave au menton, la raie au milieu du crâne d’une coupe de cheveux à la Du Guesclin, la tête rentrée dans les épaules, la cravate et le pantalon trop courts, et bien sûr le cerveau comme un petit pois et l’élocution d’un enfant de 2 ans.
Point de vue scénographie, les paravents qui se déplacent seuls sont des portes magiques derrières lesquelles les personnages apparaissent, disparaissent ou se métamorphosent. Quant aux chorégraphies, on admirera une danse de sultan ou une célébration de messe noire qui finit en concert de métal rock. Ou une opérette entre Angéline et Cléante qui vire à la comédie musicale, sans oublier les one-man-shows impayables de Polichinelle ou de Purgon.
En somme, une dramaturgie burlesque et jubilatoire pour un Malade imaginaire impeccablement servi, fidèle à l’esprit de son créateur. À savourer sans modération si le spectacle passe près de chez vous.
Barbara Petit
À L’apostrophe – Scène Nationale de Cergy-Pontoise les 6 et 7 novembre dans le cadre du Festival Théâtral du Val d’Oise. En tournée au Théâtre de l’Ouest Parisien du 12 au 21 novembre, à l’Espace Charles Aznavour (Arnouville) le 3 décembre, à la Sucrerie(Coulommiers) le 20 janvier 2011, à l’Espace Saint Exupéry (Wissous) le 28 janvier 2011, au Théâtre de Rungis le 10 février 2011, à l’Espace Culturel Boris Vian (Les Ulis) le 10 mai 2011…