Sahel de Franco Catanzariti, mise en scène d’André Perrier.
Sahel, est le fruit d’une longue réflexion par l’auteur franco-ontarien Franco Catanzariti . Visiblement très ému par son séjour au Ghana et son voyage en Afrique de l’ouest, il a voulu faire comprendre aux Canadiens la situation qui sévit dans la région du Sahel, ce territoire situé entre la zone saharienne au Nord et les domaines soudaniens au Sud. Très aride, il subit des crises de famine les plus aigües du continent.
Pour donner vie à cette situation, l’auteur nous présente deux « personnages » : une mère et sa fille, appartenant à une ethnie nomade, les Woodabés. Nous suivons leurs errances à travers le désert à la recherche de l’eau et de la nourriture. Nous les observons alors qu’ils s’affaiblissent, mâchent les épines, rêvent d’une autre vie et meurent de faim, tout doucement. Pour ne pas s’embourber dans un réalisme réducteur, les concepteurs du spectacle font incarner ces deux voix par des marionnettes .
Au départ, cette manipulation conçue par Annie Durocher, est magnifique. Les visages de ces petits êtres fragiles reflètent des expressions quasi humaines tant elles sont délicates et fines. La souplesse de ces corps émaciés et la délicatesse de leurs gestes les rendent presque vivants. Les deux manipulateurs, qui ne se dissimulent pas derrière des costumes noirs, comme ceux du théâtre Bunraku, sont toujours très présents, prêts à intervenir, à montrer leur solidarité, à caresser ces moribonds, à exprimer leur impuissance, en espérant apporter à ces créatures un peu de réconfort avant que l’inévitable n’arrive.
Dans cet échange émotionnel, les marionnettes semblent intérioriser la force de ces êtres humains et deviennent de plus en plus autonomes dans ces moments de déchéance progressive. Toutefois, assez rapidement un malaise s’installe: on se rend compte que l’œuvre et la mise en scène reposent sur un profond contresens qui devient, au fur et à mesure, presque insupportable.Mourir de faim n’est pas une expérience poétique. Pourtant, c’est la beauté poétique du spectacle qui nous accapare.
La mise en scène d’André Perrier et la conception esthétique du scénographe, le paysage sonore: tout est aussi impeccable que le jeu de lumières qui évoque une ambiance de sable brûlant et de bestiaux fantômatiques qui émergent derrière les nuages de poussière. Les corps squelettiques qui errent parmi les dunes sculptées dans le sable font ressentir le rapport difficile avec la terre, rendu encore plus « magique » par les souvenirs d’un passé nostalgique ou bien les rêves de la petite fille qui entrevoit un avenir meilleur pour sa maman. Mais il n’existe aucun rapport entre la beauté du spectacle et l’immense souffrance qui ronge ces deux créatures évoquées devant nous. À quoi pensait l’équipe artistique? À quoi pensait l’auteur ? Peut-être à une forme d’aliénation du réel pour aiguiser notre sens critique… Mais pour cela il aurait fallu éviter cette esthétique du beau et de l’harmonieux. Il fallait une esthétique d’étrangeté, de rupture, une représentation visuelle qui rendent mal à l’aise pour que la souffrance de ces créatures frappe davantage. La contradiction entre la forme et le contenu était totale ici. On n’était ni ému, ni troublé ni même un peu triste. On est frappé par la beauté du spectacle, par la vraisemblance des marionnettes et des formes sculptées, la couleur des sables et les superbes voix chantantes qui donnaient des frissons et un magnifique paysage sonore . Mais rien de tragique dans tout cela. Apparemment, mourir de faim semblait équivaloir à une expérience du beau! D’autres artistes ne seraient sans doute pas d’accord…
Alvina Ruprecht
Théâtre de la Vielle 17 à Ottawa.
Sahel continue à la Nouvelle Scène jusqu’au 20 novembre. tel 631-241-27 27