Le Terrier

Le Terrier, de Franz Kafka, mise en scène Denis Plassard

 leterrierphoto1.jpg  À l’heure de la chasse à l’homme, de l’expulsion continue des sans-papiers hors du territoire ou de l’éviction des Roms loin de nos frontières, le chorégraphe Denis Plassard a été bien inspiré de mettre en scène Le Terrier de Franz Kafka avec sa compagnie Propos. À moins que ce ne soit pas vraiment le fruit du hasard ?

  Dans ce récit de 1923, l’écrivain praguois fait parler un être mi-animal mi-humain qui, après s’être senti rejeté par la société, s’est retranché dans un terrier pour se prémunir du danger, soit ici l’attaque d’un ennemi éventuel. Petit à petit, sa stratégie de protection s’est accrue, tant d’un point de vue matériel avec une galerie agencée comme un labyrinthe piégé, que d’un point de vue mental. L’animal est devenu en effet la proie de sa propre obsession qu’il développe jusqu’au délire, n’ayant plus pour but que l’éradication de l’intrus. Il apparait alors comme l’archétype de l’être dévoré par la peur, rempli de sa haine de l’autre, cultivant méfiance et suspicion jusqu’à devenir complètement paranoïaque. Contreparties de cette altération de l’esprit, la solitude et l’esseulement qui renforcent et alimentent cette spirale. Le soliloque montre bien la force d’un tel discours qui, en apparence, est extrêmement logique, cohérent, énoncé dans un langage soutenu. Un paradoxe qui n’est pas sans engendrer certaines dérives perverses…

  Pour illustrer ce propos, Denis Plassard a imaginé une scénographie militaire, déroulant à l’extrême le lexique guerrier que le texte contient en germe. Dans un décor glauque et cauchemardesque, on entend des gouttes d’eau tomber du plafond dans des gamelles en ferraille. Des jeux de lumière phosphorescente renforcent cette atmosphère inquiétante. Un vieux canapé gris fera à l’occasion office de barricade pour l’exterminateur qui se prépare à la défense (ou l’attaque?). Derrière, un échafaudage en ferraille à escalader pour s’extraire ou revenir dans ce qui n’est finalement qu’un bunker.
Pour éviter la monotonie du monologue, Denis Plassard a choisi d’exposer un couple, un homme et une femme. Seule celle-ci s’exprime, lui apparait plutôt comme son double fantomatique. Tous deux revêtus de costumes trois-pièces gris sombre et de rangers se soumettent en bons soldats à un entraînement à la rigueur militaire. Avec une remarquable souplesse, ces véritables acrobates passent leur temps à escalader, ramper, chevaucher, se contorsionner dans cette place-forte de citadelle. Une chorégraphie incessante qui exploite astucieusement et dans son intégralité l’espace scénique.
Grâce à un jeu tout en tension, Denis Plassard et Natalie Royer convainquent et offrent une représentation aussi spectrale et glaçante que magistrale.

Barbara Petit

Au Théâtre 95 de Cergy-Pontoise les 10, 12 et 13 novembre. En tournée en novembre  le 16 au Théâtre de Chartres (28), le 14 à l’Espace Lucien Jean de Marly-la-Ville, le 26 au Théâtre Paul Eluard de Bezons.

 

 

 

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