L’Illusion comique
L’Illusion comique de Pierre Corneille, mise en scène d’Elizabeth Chailloux.
L’Illusion comique fut créée en I638, l’année de la naissance de Molière et de Louix XIV dans un Paris qui fait encore rêver. L’intitulé de la pièce est déjà plein de saveur: « A Paris, chez François Targa, au premier pillier de la grand’salle du Palais, devant la Chapelle, au Soleil d’or, MDCXXXIX, avec privilège du Roy ». Et c’est sans doute la pièce de Corneille que tous les gens de théâtre admirent le plus. Comme le disait l’auteur,: « Voici un étrange monstre… Le premier acte n’est qu’un prologue, les trois suivants sont une comédie imparfaite, le dernier est une tragédie, et tout cela cousu ensemble fait une comédie. Qu’on nomme l’invention bizarre et extravagante tant qu’on voudra, elle est nouvelle » .
Il y a dans ce théâtre dans le théâtre toute la magie de la machinerie du théâtre avec des costumes et des lumières dont on peut user avec le plus grand bonheur, mais surtout, comme le remarque Elizabeth Chailloux un langue » à la fois étrange et poétique, concrète et poétique qui, presque quatre siècles après, nous est encore, à quelques exceptions près, tout à fait compréhensible. C’est l’histoire très compliquée et impossible à résumer en quelques lignes d’un jeune homme Clindor qui a volé un peu d’argent à son père pour aller vivre sa vie: rien de plus fréquent…
Et Clindor , au milieu de personnages hauts en couleurs comme ce Matamor, ancien combattant, un peu allumé avide de raconter ses illustres combats issus de sa seule imagination, va bien sûr tomber amoureux d’Isabelle , mais n’entend pas pour cela renoncer à d’autres conquêtes féminines. Lyse se sacrifiera pour tenter de la sauver, Rosine, elle se fait tuer pour l’avoir aimé, tandis qu’Isabelle préfère renoncer à vivre plutôt de de supporter de lui survivre.
Mais tout cela n’est qu’un rêve imaginé et concrétisé par le magicien Alcandre et le père de Clindor retrouvra son fils… devenu comédien. La pièce finit par une belle apologie du théâtre: » Cessez de vous en plaindre, dit Alcandre: » A présent le théâtre est en un point si haut que chacun l’idolâtre Et ce que votre temps voyait avec mépris/ Est aujourd’hui l’amour de tous les bons esprits ».
La langue de Corneille est baroque et luxuriante à souhait, dès qu’on sait l’apprivoiser ; il y a une tirade très drôle, presque surréaliste où une maison est évoquée avec 39 éléments mis bout à bout: ardoises, gouttières, etc.. Et Corneille sait jouer des mots comme personne: Ah! Que je t’aimerais, s’il ne fallait qu’aimer/ Et que tu me plairais, s’il ne fallait que plaire ». Mais il faudrait tout citer: » Je te donne le choix de trois ou quatre morts », menace Matamore. Et il évoque tout à la fois le Mexique, la Transylvanie, l’Afrique, la Chine, l’Egypte mais aussi l’Islande et Damas.
Reste à savoir comment mettre en scène cette pièce étrange,pas très souvent montée à cause d’une nombreuse distribution dont Strehler avait donné une magnifique interprétation qui est restée dans toutes les mémoires ,Mais ne jouons pas les dinosaures ! Elizabeth Chailloux s’est emparée de la pièce et a plutôt réussi son coup. Un plateau nu avec quelques projections d’images pour figurer la grotte du magicien Alcandre, et des rideaux coulissants transparents noirs imaginés par Yves Collet qui a aussi créé les lumière: elles, moins convaincantes que sa scénographie ; elles ont en effet tendance à aller vers la pénombre, ou à créer des zones d’ombre, ce qui ne met guère en valeur les comédiens.
La direction d’acteurs est aussi au rendez-vous et le rythme est exemplaire: pas de temps mort pas d’esbrouffe: un solide travail d’excellent artisan du théâtre, et le public, très divers quant aux tranches d’âge, était particulièrement élogieux; seul point noir, parfois très noir: nombre de comédiens par ailleurs très justes: en particulier Frédéri Cherbeuf, Jean-Charles Delaume , Malik Faraoun- mais Vitez n’aurait guère apprécié que cela se fasse dans le théâtre qui fut le sien et qui porte désormais son nom- les alexandrins ne font pas toujours- et ce toujours est un euphémisme- les six pieds requis. C’est vraiment dommage parce que cela nuit à la compréhension , comme à la musicalité du texte de Corneille toujours aussi étonnant de jeunesse…
Alors à voir? Oui, pour le texte et la mise en scène d’Elizabeth Chailloux, malgré ce défaut de diction quand même assez embêtant quand il s’agit du grand Corneille…
Philippe du Vignal
Théâtre des Quartiers d’Ivry jusqu’au 1er décembre.
Les nuances semblent subtiles, et l’on entrevoit dans votre réponse ce que vous n’aviez sans doute pas la place d’écrire dans vos critiques.
Néanmoins, je maintiens le terme de coquetterie et m’agace régulièrement lorsque j’assiste à des spectacles d’une invraisemblable prétention où le metteur en scène érige un mûr en béton entre les comédiens et le public. Dans ces spectacles, on entend les douze « syllabes », chaque spectateur (relayé par la critique) admirant la soi-disant prouesse qui n’est en fait qu’un mauvais exercice de mauvais style. Avez-vous vu, à titre d’exemple, « La coupe et les lèvres » au théâtre de la tempête ? Monté par un des professeurs de la classe libre du cours Florent, ce spectacle avait fait la joie d’une bonne partie des critiques et l’ennui du public…
Je vois bien ce que vous dîtes sur le laxisme, et ne peux que le regretter. Mais le pire des laxismes est souvent de s’imaginer des règles, de les simplifier, de s’y tenir, mais de s’en tenir à cela. Là, je maintiens que nous sommes beaucoup à avoir l’oreille déformée par des raccourcis regrettables de critiques ou de professeurs, et j’ai encore bonne mémoire des nombreux et divers cours de théâtre ou de français où la lecture d’alexandrins se résumait à savoir compter.
Revenons-en au débat, sur lequel je ne suis toujours pas d’accord avec vous. Quoiqu’en disent Vitez et les universitaires que vous citez, je suis convaincu qu’il est beaucoup trop compliqué de bâtir une règle universelle sur la diction des vers a priori, et que celle-là peut même mettre à mal la construction d’un spectacle et d’un personnage. Je crois voir que vous le reconnaissez à moitié lorsque vous notez une différence entre la comédie et la tragédie. « ce qui est souvent très supportable quand il s’agit d’une pièce comique, l’est beaucoup moins quand c’est une tragédie ». Il y a pour moi deux choses insupportables au théâtre : les comédiens qui n’interprètent pas honnêtement un personnage mais qui se limitent à cette coquetterie qu’est la démonstration de prétendues règles, et les ingérences extérieures qui consistent à vouloir plaquer sur n’importe quoi une « règle » qui est avant tout une construction intellectuelle. Je le maintiens, la musique n’est belle que quand, à un moment donné, on oublie de la dire, ou en tout cas on s’abstient de l’appuyer pour flatter l’oreille du spectateur averti au courant de toutes les règles possibles et imaginables.
Ne vous en faites pas pour moi, j’ai déjà beaucoup réfléchi à la question et ai testé sur de nombreux textes différentes méthodes. Et je ne me suis pas limité à l’expérience « respecter ou ne pas respecter les six pieds » comme vous me le suggériez, parce là n’est pas le problème, tout simplement : non seulement je l’ai testé, mais je peux même vous dire que garder la vérité du personnage (la priorité selon moi) tout en ayant le souci d’avoir un phrasé, disons, « élégant », est beaucoup plus complexe que vous ne le croyez. On ne dit pas de la même manière les textes de personnages aussi différents que Cyrano de Bergerac, Bélise dans l’école des femmes, Néron ou Clindor. L’élargissement des voyelles ne sera pas le même, simplement parce que les personnages sont trop différents. Avant la musique, la justesse et la vérité du personnage. L’acquisition de cette justesse nous entraîne vers les questions sur la tonalité (fantaisie, comique, ou bien l’ampleur de la tragédie) On n’usera pas des mêmes élargissements, des mêmes pré-finales ou réaccentuations, mais on en usera naturellement. Ne pas le faire serait, en effet, du laxisme. C’est ce travail scrupuleux, minimaliste et de longue haleine qui peut, enfin, nous emmener vers un oubli total des règles (règles diverses que l’on a au préalable appliquées juste pour coller au personnage), vers une vérité du personnage dans laquelle l’acteur est lui-même avec sa propre musique – qu’il peut ensuite soigner pour la rendre belle.
Qu’après tout cela, si la situation et le personnage sont parfaitement interprétés, l’on n’entende pas la « musique de Corneille » mais la musique du comédien mariée à celle de Corneille, vous devinerez à quoi va ma préférence. Encore une fois, les questions de pieds passent en dernier, et ne doivent pas constituer un carcan pour un comédien. L’on ne peut, en la matière, que remarquer une chose : les comédiens dont la diction fait école (entendre, si vous voulez, les « vrais praticiens » de la chose) n’avaient pas appréhendé la question sous l’angle du « bien dire ». Ou plutôt en considérant, comme j’essaie de le faire, que « bien dire » équivaut à « dire vrai ». Et je ne crois pas que Louis Jouvet ou Charles Dullin démentiraient totalement ce postulat. Pour Jean-Laurent Cochet, j’en suis absolument certain. La diversité-même des interprétations de ces textes (encore une fois, j’ai écouté de nombreux extraits sonores qui ne me démentent pas) montre l’impossibilité de bâtir des règles sur le « bien dire » au sens où vous l’entendez et de juger en leur nom, car ces études veulent se baser sur des constances en fait factices.
J’ai donc peur de devoir maintenir que les constructions intellectuelles (attention, je n’ai aucun mépris pour ce terme, dans la mesure où je mène moi-même des études universitaires en même temps qu’un apprentissage d’art dramatique) amènent trop souvent à une déformation des sens lorsqu’elles font preuve d’ingérence (et seulement dans ce cas). Vous le savez très bien mais je le répète, nous sommes maintenant formés à tort par l’apprentissage de règles qui, finalement, déforment les sens. Je suis passé par la phase où je croyais dur comme fer que « alexandrin = 6//6″, et où je méprisais presque les comédiens qui ne respectaient pas cela. En discutant, je voyais bien que je n’étais pas seul. On aime bien rechercher des tendances et en faire des règles. C’est naturel, mais c’est dangereux. Pour les sens, encore une fois. A ce titre, si j’ai déjà fait de nombreuses fois les expériences que vous me suggériez, ce n’est pas par « honnêteté intellectuelle », mais par souci artistique.
Étant un habitué de ce blog, je maintiens enfin que le souci de relecture n’est pas un luxe par respect pour les lecteurs, mais je note avec réjouissance que j’ai pu profiter d’une réponse relue et vous en remercie sincèrement.
Très cordialement
Benjamin
Désolé, 1) J’assume totalement ce que j’écris, et en général, je sais de quoi je parle. Relisez bien ce qui a paru à ce sujet, et ce que nous ont appris nombre de profs de Sorbonne et non des moindres dont Antoine Adam, Gérald Antoine,etc…Vous confondez pieds et syllabes, ce qui n’est évidemment pas la même chose, m ce n’est pas bien grave mais balayez aussi devant votre porte avant de vous enflammer.
2) J’ai vu et entendu de vive voix les spectacles du TNP, comme de la Comédie Française par dizaines, j’ai aussi entendu l’intégrale de l’Ecole des Femmes mise en scène par Louis Jouvet et je ne suis pas dupe: je sais tout à fait qu’il y a des ellisions . Une scène reste une scène, et non un salon de lecture…J’ai aussi assisté à des spectacles d’Eugène Green et même si je ne suis pas tout à fait d’accord avec ses mises en scènes, la rigueur dont il faisait preuve est évidemment respectable Mais ce qui est souvent très supportable quand il s’agit d’une pièce comique, l’est beaucoup moins quand c’est une tragédie, surtout chez Racine: j’ai aussi, ce qui n’est pas votre cas, entendu souvent Vitez puis Madeleine Marion et Pierre Vial, grands pédagogues en la matière, le dire aux élèves de Chaillot, et il ne s’agissait nullement d’une coquetterie comme vous le prétendez légèrement.
Ce ne sont pas des « mécanismes géologiques » mais une musique du vers, une contrainte qui ne doit pas bien sûr être appliquée à la lettre mais qui favorise au contraire le charme de la langue de Racine, Corneille, etc… mais, en général, ce qui se passe et vous le savez très bien si vous avez fréquenté un cours de théâtre quel qu’il soit: un petit laxisme en entraîne un autre, et l’on aboutit comme il y a une trentaine d’années à une sorte de prose versifiée sans grand intérêt.. qui nuit le plus souvent au sens . Pourquoi en effet,écrire alors en alexandrins? Ce n’est en aucun cas une prétention comme vous l’avancez un peu vite, mais une exigence et mieux vaut ne pas confondre les deux. Et nombre de jeunes metteurs en scène ne s’y sont pas trompés. Faites l’expérience si vous avez un peu d’honnêteté intellectuelle, prenez une quinzaine de vers, ne respectez pas trop les six pieds , puis , sans appuyez les choses, dites la en respectant les vers, celà m’étonnerait beaucoup que vos auditeurs ne voient pas la différence. Cherchez alors l’erreur…
Cordialement
Philippe du Vignal
Cher Monsieur,
Je n’ai pas vu la pièce que vous évoquez, mais je me permets de commenter votre critique…
1) Lorsqu’on regrette un manque de rigueur, la moindre des choses est de balayer devant sa porte en relisant ce que l’on écrit
2) Les alexandrins ne font pas six, mais douze pieds. Je veux bien mettre cela encore sur la regrettable non-relecture.
3) Comme beaucoup, vous avez tort d’invoquer la tradition des « douze pieds ». Comme le confirmeront de grands maîtres d’art dramatique liés à cette tradition, la « tradition » était au contraire farouchement opposée à ce carcan des douze pieds, ou plutôt ne l’imaginait pas. Et, contrairement à ce que l’on prétend souvent, la manie de dire impérativement les douze pieds n’est pas une tradition qui se perd, mais une coquetterie récente et souvent imputable à une prétention. Comme si dire des alexandrins se résumait à savoir compter jusqu’à 12.
Il suffit pour le constater d’écouter ou de voir de vieux enregistrements de la Comédie-Française ou du TNP. Ecoutez Gérard Philipe dans Le Cid du « vieux Corneille » justement, et vous entendrez de nombreuses ellisions. Quant à savoir ce qu’en auraient pensé les auteurs, nous avons également un élément de réponse : Edmond Rostand a écrit Cyrano de Bergerac pour Coquelin, et l’on peut écouter des enregistrements de cette version initiale. Une mise en scène forcément en phase avec les exigences de l’auteur. Là encore, aucun souci des « douze pieds ».
J’ai découvert cette vérité grâce à un cours d’art dramatique il y a quelques mois, et j’ai regretté que l’on nous ait tant menti, dans les critiques, en cours de français ou de théâtre ou en d’autres circonstances. Manque de rigueur sur l’histoire de notre art, sans doute, plus imputable à nos pères qu’à nous-mêmes d’ailleurs. Pourrait-on demander le rétablissement de la vérité sur cette question, et que l’on arrête d’invoquer la tradition et le soi-disant « respect des textes » (les douze pieds sont pour l’écrit, et Jean-Laurent Cochet, en reprenant Louis Jouvet et tant d’autres, répètent que la beauté d’un texte n’apparaît que quand on oublie de mettre en valeur cette beauté, quand on fait attention à la spontanéité du verbe plus qu’à son style. J’aime entendre et voir l’eau couler d’une source. Cela perdrait de son charme si je voyais les mécanismes géologiques qui sont à l’oeuvre.)