Quel musée pour le spectacle vivant ?
Colloque international interdisciplinaire: » Quel musée pour le spectacle vivant? »
Pourquoi n’y-a-t-il pas en France de musée du théâtre ? Nous avons des bibliothèques-musées (Comédie-Française, Opéra), un musée du costume à Moulins, un musée de la marionnette à Lyon, mais pas de Maison du théâtre qui donnerait à voir et à comprendre l’histoire du théâtre et des spectacles en France dans un contexte élargi et nécessaire du théâtre européen et mondial, puisque c’est un art voyageur, nomade par excellence. Pourquoi donc les artistes de théâtre en France sont-ils les seuls avec ceux de la danse, à ne pas avoir un contact direct avec l’histoire de leur art ?
C’est cette question – complétée par celle du comment inventer aujourd’hui un tel musée ? – qui a été au centre du colloque international qui réunissait les 21 et 22 octobre derniers près de quarante intervenants de plus de dix nationalités différentes à l’I.N.A et à la BnF pour deux journées de travail bien remplies.
La question de la nécessité de ce musée a d’abord été posée, au cours d’une première table ronde, à des directeurs de théâtre nationaux, représentant trois générations différentes qui ont, chacun à leur façon, appelé de leurs vœux la réalisation de ce que d’aucuns nomment le « serpent de mer du théâtre français » : un lieu à même d’offrir aux professionnels et au public la mémoire des métiers, des styles, des utopies, la continuité d’une histoire dont l’absence risque d’handicaper la création, et de contrer le processus de démocratisation théâtrale. Le désir ne venait donc pas seulement des chercheurs, mai s aussi des praticiens.
On a commencé par dresser » l’état des lieux « en France. Il fallait rappeler les tentatives, les échecs, les expériences oubliées ou peu connues, et le silence des institutions sur ce sujet pourtant brûlant que … Les conservateurs français ont décrit le fonctionnement de leurs établissements quant à la conservation et d’expositions temporaires pour leurs très riches collections.
Au cours de la session suivante, intitulée « Regards d’ailleurs », on a pu s’étonner du nombre et s’émerveiller de la qualité des musées du théâtre en Europe dont ont parlé les étrangers invités. Les Russes de Moscou et de Saint-Pétersbourg ont décliné les différentes modalités données depuis le début du XXème siècle: musée généraliste issu de la collection raisonnée d’un mécène, ou à l’intérieur d’un théâtre en activité, ou encore dédié à une personnalité théâtrale – metteur en scène ou acteur… La fermeture de certains musées ,comme celui de Londres dont il y a quelques années la communauté théâtrale s’était alarmée, s’est soldée par l’ouverture d’une section Arts du du spectacle à l’intérieur du musée Victoria and Albert, ce dont la conservatrice se félicitait, en indiquant les avantages de cette situation nouvelle.
On a pu ainsi établir la typologie des musées du théâtre aujourd’hui, à travers le panorama illustré qu’ont dressé les intervenants venus d’Angleterre, de Russie , de Suède, d’Autriche, de Grèce, d’Ukraine ou de Monaco, chacun présentant la variété des collections, les différentes manières de les mettre en valeur et en scène, le fonctionnement de « leur » musée, entre exposition permanente et expositions temporaires , et la place qu’il pouvait tenir dans la vie théâtrale contemporaine , en tant que lieu de rencontre actif (débats , manifestations, visites) entre le passé et le présent – en indiquant aussi les réussites, les obstacles et les manques. En découvrant des lieux inconnus comme le merveilleux musée de Kiev, chacun pouvait mettre « son » musée en perspective, mais aussi considérer le sien sous un autre point de vue, permis par la large farandole internationale des cas étudiés. L’exemple de celui du cirque à Sarasota en Floride a opportunément rappelé que tout art de la scène devait être présenté dans son interdépendance avec les autres .
La dernière partie du colloque a traité de l’imaginaire contemporain d’un tel musée, de son désir et de son rêve. Dans cette section prospective, bénéficiant du concours d’autres disciplines comme l’anthropologie, la muséologie ou les sciences de l’information et de la communication, on s’est interrogé sur l’opportunité, la pertinence de sa création aujourd’hui, en proposant de dépasser les apories et les clichés persistants liés au caractère éphémère de la performance, à l’impossibilité de restituer la totalité de l’évènement spectaculaire, ou de sélectionner la bonne information pour tenter d’en rendre compte… L’utilisation possible des nouvelles technologies informatiques, a aussi été évoquée: l’expérience des musées en ligne (celui du Piccolo Teatro ou du musée des Arts du spectacle de Catalogne), sur la création de musées du théâtre qui sont acytuellemtconcevoir (Canada). Il s’agissait du premier colloque organisé en France sur ce sujet. Les différentes interventions et les questions traitées ont fait apparaître la nécessité, de prendre en compte toutes les étapes et dimensions du spectacle (on a d’ailleurs évoqué la possibilité du musée d’un seul spectacle à partir de l’ expérience de Saint-Petersbourg et de Monaco où des salles entières sont dédiées à un spectacle légendaire) et de veiller à intégrer, voire à créer des archives sur les réactions du public, sur les modalités de sa co-présence, sur la mémoire d’un fait scénique qui se transmet à travers lui.
Il semble que le musée devrait exister à l’intérieur d’une structure élargie qui engloberait à la fois la formation des artistes à tous les niveaux – formation continue y compris -, la recherche et la création: ainsi, les processus de l’éducation, du vivant et du présent contamineraient cette « Maison du passé », pour en faire un lieu authentique de connaissance et de ressourcement destiné aux professionnels, aux amateurs, et au public en général. La mise en réseau des richesses européennes serait souhaitable; l’histoire du théâtre ne peut en effet être pensée dans un cadre étroit. Mais de nombreuses questions restent à traiter et il faudrait aussi étudier la vie des musées que l’on n’a pas encore évoqués. Le travail continue :une publication sans doute, et puis d’autres rencontres, colloques, et ateliers. A suivre donc, de près…
Béatrice Picon-Vallin
Colloque international interdiciplinaire organisé par Béatrice Picon-Vallin et Martial Poirson, avec la collaboration de Joël Huthwol.
Partenaires : BnF, ARIAS/ CNRS, ministère de la Culture et de la Communication, Festival International Tchekhov Moscou, LIRE/Université de Grenoble, Année France-Russie 2010, etc…
http://www.arias.cnrs.fr/colloques/Prog_Quel_musee_pour_le_spectacle_vivant.pdf