Archives et création en danse
Archives et création en danse. Conférence et exposition du Centre contemporain de la danse de Bruxelles à l’occasion de son 20 ème anniversaire.
Créé par les Editions Contredanse, ce Centre de documentation rassemble à la fois des documents liés à la création chorégraphique, à la,pensée théorique comme aux pratiques en dans contemporaine européenne surtout. L’exposition temporaire met en valeur de nombreux documents relatifs à l’improvisation comme à la composition mais aussi à tout ce qui touche à la transmission comme à l’analyse du mouvement et aux techniques relatives au corps. Il y a au premier étage une riche bibliothèque avec de nombreux programmes de compagnie de danse: les ballets du marquis de Cuevas,les ballets Roland Petit, etc.. Mais aussi au rez-de chaussée une collection impressionnante de photos de compagnies belges ( Le Plan K/ Frédéric Flamand, Patricia Kuypers, ) mais aussi d’autres pays. Egalement au rez de chausse, toute une grande table avec des écrits théoriques qui, depuis quelque vingt ans ont largement influencé la danse contemporaine: entre autres Dominique Dupuy, qui introduisit Cunningham en France, Laurence Louppe, critique et théoricienne de la danse,etc… Dans cette même salle on peut aussi entendre au casque des émissions de radio consacrées à des chorégraphes contemporains, où Patricia Kuypers explique très bien que les chorégraphes belges ont dû aller chercher leurs références à l’étranger, en France et en Allemagne surtout, puisqu’il n’y avait pas de tradition dans leur pays. Juste retour des choses, le public belge a été beaucoup plus vite très ouvert à la création la plus contemporaine. mais les aides financières des institutions wallones comme flamandes n’ont pas toujours suivi alors que Bruxelles est depuis longtemps une capitale européenne… Si bien que si la formation classique existe, la formation en danse contemporaine est encore à la traîne. On peut aussi voir ,dans cette même salle , sur de petits écrans, malheureusement pas trop légendés des extraits de ballets contemporains; Pina Bausch bien sûr, mais aussi Cunningham, Trisha Brown, Karol Armitage, et surtout la célébrissime Table verte du grand Kurt Voos (1932)et un solo de Martha Graham (1929). Mieux vaut quand même avoir les clés, et connaître ces chorégraphes mais ce peut être aussi une initiation malgré le manque de son et la juxtaposition des écrans, ce qui brouille la perception.
Cette exposition invite à un voyage dans la mémoire de la danse et nous incite à nous poser la grande question de l’enregistrement de la chorégraphie et à se demander aussi comment des archives conséquentes peuvent nourrir ou du moins aider à nourrir par la réflexion qu’elle engendre, la pratique artistique et la création chorégraphique contemporaine.
Et de ce côté-là, l’exposition est du genre réussi. Contredanse avait invité pour cette anniversaire: Laurence Louppe , historienne de la danse qui, malade n’a pu venir, Peter Hulton ,auteur de nombreux documentaires sur la danse, Olga de Soto chorégraphe belge et chercheuse, ainsi que Daniel Dobbels, chorégraphe, danseur et critique de danse.
Peter Hulton a bien montré que toutes les nouvelles technologies d’enregistrement ( avec notamment des extraits de films sur le travail de Steve Paxton , Dominique Dupuy ou Carlotta Ikeda) pouvaient être tout fait profitables aux créateurs. Les archives , dit-il ont quelque chose à voir avec la notion de temps mais forcément subjectives ne peuvent concerner de près que ceux qui sont intéressés par ce type de matériel artistique à un moment précis de leur parcours.
La démarche d’Olga de Soto est des plus singulières, puisqu’elle a entrepris de retrouver ( après un énorme travail d’investigation) des spectateurs qui avaient assisté à la création le 25 juin 1946 du ballet culte, souvent repris depuis, Le Jeune Homme et la mort, argument de Jean Cocteau, chorégraphie de Roland Petit sur une musique de Jean-Sébastien Bach avec Jean Babilée et Nathalie Philippart. Et Olga de Soto a entrepris d’en tirer un film. Démarche exceptionnelle et particulièrement émouvante: des gens maintenant souvent très âgés mais lucides décrivent avec précision et calme les images de ce ballet qui les ont frappés, quelque 64 ans après! Ils nous disent leur émotion et leur plaisir à être allé voir ce ballet dans un Paris qui venait d’être libéré et où ils avaient été privés de nombreux spectacles pendant cinq ans.
Peu de documents écrits ou imprimés, Cocteau disparu depuis longtemps déjà, Nathalie Philippart décédée en 2007, Roland Petit lui encore vivant mais restent-ils beaucoup de ceux qui ont vu le spectacle à l’époque… ? C’est tout l’enjeu du film d’Olga de Soto: la mémoire, l’enregistrement de la mémoire mais aussi la perception visuelle d’un spectacle Daniel Dobbels, lui a pris en exemple des photos de créatrices de ballet : il nous ainsi montré Isadora Duncan entre deux colonnes du Parthénon photographiée par Steichen vers 1920. Cette œuvre bien connue , dit-il, a-t-elle valeur d’archive, ou bien a-t-elle rejoint , au delà du témoignage temporel, le statut d’œuvre d’art? En quoi une archive, quelque soit son support, peut-elle intéresser un jeune chorégraphe contemporain? Quel peut être son sens actuel, comme les photos de Martha Graham, Isadora Duncan, Mary Wigman qui toutes ont fortement contribué à la création d’une danse contemporaine au début du 20 ème siècle?
Qu’est- ce au fond qu’une archive sinon un bref témoignage, souvent un peu énigmatique, comme ces photos, qui nous échappe en partie, même si sa valeur continue à rester inestimable, puisqu’elle fait désormais partie de notre mémoire collective. Mais Daniel Dobbels a posé les bonnes questions et , dans une dernière approche des difficultés que pose la constitution d’archives, citant Derrida, il met aussi en garde contre cette tentation du film d’archive qui peut ne rien dire ou si peu de la création artistique … « Comme un double hanté par une création qui n’en finit pas de se jouer de lui »…
Philippe du Vignal
Exposition : Le centre de documentation sur la danse a 20 ans/ Contredanse à La Bellone 46 rue de Flandre 1000 Bruxelles T: 32 (0)n 2550 13 00