Les Peintres au charbon
Les Peintres au charbon, de Lee Hall, adaptation et mise en scène Marion Bierry
Le plus artiste des deux n’est pas celui qu’on pense …
Barbara Petit, dans Le Théâtre du Blog, en juin dernier, avait repéré la parution de cette très belle pièce de Lee Hall, traduite avec justesse et efficacité par Fabrique Melquiot, parue aux éditions de l’Arche(1) . Elle en a rendu compte avec enthousiasme, et souhaitait que des metteurs en scène s’en emparent rapidement. C’est chose faite. Voici la pièce visible à Paris, à l’invitation du Théâtre Artistic Athévains, après une création au Théâtre du Passage de Neuchâtel en Suisse, puis une tournée.
Marion Bierry, qui a adapté et mis en scène le texte, a supprimé l’un des personnages et enlevé des intertitres prévus par l’auteur sur le monde du travail dans la mine. De fait, la mise en scène manque un peu de contrepoints, de double-fond suggestif, de moments contemplatifs. Mais elle a su rendre l’essentiel : la sensibilité, la justesse et l’empathie de ce récit initiatique. Tous les personnages sont très attachants, la distribution est excellente.
Ce qui n’est pas une mince affaire: cette histoire véridique repose sur le face à face de deux mondes faits pour ne jamais se côtoyer, deux planètes dont il s’agit d’évoquer la grande distance et le croisement improbable dans les années trente. D’un côté, des mineurs de fond, de l’autre des esthètes et une richissime collectionneuse. Rendre ces personnages porteurs de leur histoire sociale, immédiatement, sans jamais les caricaturer, exige une très fine direction d’acteur. Marion Bierry y a parfaitement réussi. Les comédiens trouvent toujours le ton juste, celui d’un jeu à la fois très personnel et choral, pour raconter l’itinéraire du club de « sensibilisation artistique » des mineurs d’Ashington.
Au long de cette aventure, toutes les perspectives de départ seront changées. On verra comment l’enseignant Lyons, interprété par Thomas Cousseau, élégant, sincère et fervent, prend conscience de sa condescendance sociale et, finalement, de son académisme. Comment l’ouvrier le plus doué: Oliver, (Robert Bouvier) découvre avec exaltation et douleur son talent et ses limites. Il porte merveilleusement le monologue dans lequel, bouleversé, il réalise qu’il a peint toute la nuit. Un homme neuf devant son œuvre : Le Déluge.
Comment Susan, (Carine Martin) , fait entrer le désir et la beauté dans ce monde d’hommes voués au charbon et à la noirceur. Comment la ravissante et subtile mécène, Helen, (Odile Roire), vérifie une fois de plus que l’argent ne peut pas tout et que la force de l’artiste n’est pas à vendre. Comment le militant socialiste, Harry, (Eric Verdun,) questionneur sceptique, approche petit à petit du grand « secret » des rapports de la forme et du sens. Comment Jimmy, (Bernard Ballet), le rugueux au cœur tendre, courageux compagnon, celui sur qui on peut compter, grand amoureux des fleurs et des chiens, en vient à l’abstraction. Comment le P’tit gars, (Arthur Vlad), reconnaît sa colère et sa jeunesse chez Picasso. Comment George, (Jacques Michel), maintient solide la cohésion du groupe et défend la tradition, avec variations personnelles s’il vous plait, tout comme dans l’art chinois (qui est vraiment bien, dixit les autres, « y’a pas de snobs là-dedans, juste des choses simples, un arbre, un oiseau, un ruisseau, quelqu’un qui passe sur un pont …).
C’est la vertu du spectacle, comme du texte: les questions existentielles sont posées avec la candeur, « droit au but », des mots d’enfants. Que signifie « être artiste », qui peut se dire « artiste », à quoi ça sert, comment s’évalue le prix d’une œuvre, quels sont les effets de l’irruption de la beauté dans la vie?
La confrontation des milieux sociaux donne lieu à des décalages pleins d’humour qui tirent le dialogue vers la comédie, mais jamais artificiellement. Le ton reste tendre, comme dans le scénario qui a rendu célèbre Lee Hall, Billy Elliot, variation, côté danse, sur le même sujet. Clarté de la vision et absence de prétention, comme dit le professeur, sont deux grandes qualités. Ici présentes pour la joie du spectateur. Pour finir et vous donner envie de voir Les Peintres au charbon et de communier avec eux devant le génie de Van Gogh, leur peintre favori: une phrase d’Oliver qui constate, tout simplement : « L’art rend possible des choses qui ne l’étaient pas ».
Evelyne Loew
Théâtre Artistic Athévains, Paris, jusqu’au 22 décembre, puis en tournée.
(1)http://theatredublog.unblog.fr/2010/06/11/les-peintres-au-charbon