La passion corsetée

La Passion corsetée, de et avec Laurence Février.

  mmedechartreshorizonphotomargotsimmoney300x225.jpgLe corset a mauvaise presse, depuis que Paul Poiret s’était vanté d’en avoir délivré les femmes, mais certaines avaient pensé toutes seules à se débarrasser de ce symbole de l’oppression, respiratoire et symbolique, d’un sexe que l’objet rendait faible.
À l’opposé, Laurence Février a choisi d’y trouver un symbole de force. Ou plus exactement de tenue. Voilà une notion, pour ne pas dire un concept, qui commence à revenir en force, devant le relâchement du langage présidentiel, en particulier. Les temps sont durs ? Les temps sont mous.
Cette indispensable tenue, elle l’a trouvée dans La Princesse de Clèves, court roman devenu emblème de résistance à la vulgarité et à l’amnésie.
Madame de La Fayette, femme de cour très occupée et auteure peu prolixe, a atteint d’emblée la quintessence du roman d’analyse “à la française“, qui fait du sentiment non seulement le moteur de l’événement, mais l’événement lui-même. Il ne s’agit pas de sentiments mesurés : la Princesse, le Prince, le duc de Nemours hantent les sommets, frôlent les abîmes, sous les yeux d’une cour qui regarde tout, fait salon jusque dans les chambres de malades, partage la lecture d’une lettre tombée d’une poche et collectionne les portraits des “belles personnes“. En pleine lumière, comment tout dire de ses sentiments à l’être aimé, et tout cacher à la cour ?  On avait vu Marcel Bozonnet danser – très corseté, justement- et déclamer musicalement La Princesse de Clèves : toute la tenue nécessaire y était, et la grâce. Ce que l’adaptation de Laurence Février apporte – outre que chaque génération mérite d’entendre sa Princesse de Clèves -, c’est avec le passage à la scène,  la dramatisation du roman.  Et  le  découpage s’apparente aux actes de la tragédie. On n’est pas loin de Racine.
Mais la passion n’est pas que le sujet de l’affaire : elle en est le souffle, peut-être trop tôt, dès le prologue. Et c’est une passion au féminin : le spectacle ne s’achève pas sur l’épilogue désabusé d’une Princesse retirée et d’un Nemours oublieux mais sur les derniers mots de la Princesse…
Apothéose du sublime : elle choisit, libre.

Christine Friedel

Théâtre du Lucernaire 20h – 01 45 44 57 34


Archive pour novembre, 2010

Bach en balles

Bach en balles jonglerie musicale d’Éric Bellocq et Vincent de Lavenère
musique d’ Éric Bellocq.

bachenballes1.jpgIl y a quelques années Le Chant des balles venait illuminer la planète Cirque à travers un dialogue épuré entre Éric Bellocq, luthiste et Vincent de Lavenère, jongleur musical, tous deux virtuoses en leur domaine. Avec Bach en balles, la promesse  figurait d’emblée dans le titre, avec, pour  pari, au mieux  la traduction de Bach en balles, et au moins , son illustration.  Avec toute leur si plaisante complicité, le duo reste un cran en deçà de notre attente.
Le jeu musical est virtuose, la performance de cirque est peut-être, et c’est bien ainsi, de ce côté-ci du plateau: ces Suites pour luth de Bach sont réputées injouables telles qu’elles ont été écrites, mais Eric Bellocq nous démontre largement le contraire… Mais la dextérité dontne parvient pas à laisser la place à l’émotion musicale proprement dite. La jonglerie, experte, tout à la fois ludique et gracieuse,  nous laisse contemplative.  Dans ce  spectacle,  pourtant écrit sous forme de tableaux avec des habillages de lumière magnifiques qui les scandent, cette jonglerie finit par lasser et nous laisser en retrait par rapport à ce qui se joue sur le plateau. Même les ruptures musicales –
une chanson régionale et une musique extrême-orientale- n’y suffisent pas. Et comme le luthiste et le jongleur ne campent ni l’un ni l’autre un véritable personnage.. Il y là donc  là aussi un manque.
On l’aura compris, la promesse était peu trop grande pour ce spectacle encore jeune que nous avons pourtant eu plaisir à voir. Nous le conseillons à un public qui y viendrait sans à priori, pour découvrir des  artistes talentueux mais plongés dans des exercices de style; il aura pourtant l’assurance de vivre un bon moment…que l’on rêvait être plus à la hauteur de l’ambition.

 

Jérôme Robert


Compagnie Chant de Balles.

Spectacle vu au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers le 12 novembre 2010. ( Compagnie Chant de balles


Rêve d’automne

Rêve d’automne de Jon Fosse, texte français de Terje Sinding, mise en scène de Patrice Chéreau

  revesdautomne.jpg Chéreau est le grand invité du Louvre cette année, et parmi d’autres manifestations artistiques, met en scène cette pièce écrite en 1999 ; Jon Fosse est venu  voir cette mise en scène qui commence  dès l’entrée du Louvre, sous la Pyramide. Le public emprunte l’aile Denon, croise la Victoire de Samothrace, monte à l’étage des collections de peintures : David, Ingres, dont son Odalisque.
Dans le salon Denon, on a installé des gradins. Et la parquet de chêne fait office de scène avec des ouvertures sur les trois côtés et, si les toiles ont été décrochées pour l’occasion, celles des salles attenantes sont visibles. On aperçoit notamment au fond un tableau avec un enfant Jésus dans les bras de Marie et  un Saint-Sébastien martyr. Et il  y a juste deux bancs et  trois chaises, dont l’une  est renversée.  La scène d’ouverture, ou le prologue muet, est sublime : le fantôme de la grand-mère (Michelle Marquais) arpente les lieux d’un pas léger, vêtue d’une chemise de nuit aussi blanche que ses cheveux, un bouquet de fleurs.à la main. Elle se dirige vers les  légendes des tableaux que l’on a enlevés, et  dont on comprend qu’ils représentent des pierres tombales. La grand-mère dépose les fleurs  et se retire.
L’histoire, c’est celle de la rencontre entre un homme et une femme dans un cimetière un soir d’automne. Ils se sont connus autrefois et, le désir les fait vaciller, mais d’autres personnages, tous liés à la vie de l’Homme, hantent les lieux. Il y a des explications familiales entre l’Homme et ses parents, puis survient son ex-femme, alors qu’il n’a toujours pas présenté sa compagne à ses parents. Dans Rêve d’automne, on peut le deviner, il est autant question de désir que de mort.
Patrice Chéreau s’est emparé de l’espace symbolique que constitue cette salle du Musée du Louvre et a bien maîtrisé la temporalité éclatée de la pièce de Jon Fosse. La musique est sans doute l’aspect le plus étrange de cette mise en scène , dont les morceaux  entre kitsch et mélodrame, semblent sortir tout droit d’un mauvais film
et envahissent   le jeu des acteurs.
Mais l’Homme et la Femme, dans la mise en scène de Chéreau,ne sont pas vraiment convaincants.  Pascal Greggory exprime, lui,  son inquiétude par une posture voûtée et une gesticulation excessive de la tête et des mains. Et  il y a chez Valeria Bruni Tedeschi une désespoir qu’elle traduit  par un souffle court et
une voix un peu voilée qui parvient tout juste jusqu’à nous. Mais il n’y a pas vraiment d’évolution dans leur interprétation.   Ce sont plutôt les  interprètes des personnages secondaires qui semblent portent le texte :Bulle Ogier en  Mère au verbe dur et sonore, ou encore Bernard Verley en Père fragile  qui a une belle présence.
Malgré  ces réserves, on est heureux  de retrouver  l’écriture  singulière de Jon Fosse  que Chéreau a su bien mettre en valeur dans le cadre exceptionnel du salon Denon  qui mérite  aussi le détour… 

Davi Juca

Au Louvre jusqu’au 18 novembre à 20 heures 30 et ensuite au Théâtre de la Ville du 4 décembre au 25 janvier.

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Les trois Sœurs

Les trois Sœurs d’Anton Tchekov, mise en scène de Volodia Serre.

 

On a beau finir par connaître le texte presque par cœur, à chaque fois, c’est le plus souvent un véritable régal de retrouver les dialogues, comme quand on était enfant avec ces contes  dont on soeurs.jpgne se lassait jamais. Il y a là les quatre enfants Prozorov: Andreï qui rêve d’être professeur d’université et sa fiancée Natacha qui,  quelques années plus tard, sera mère de deux enfants, et  ses trois sœurs : Olga 28 ans , prof de collège, Macha, mariée à un professeur qui l’ a déçu et qu’elle  n’aime plus , et la jeune Irina, Verchinine le lieutenant-colonel de la garnison qui est devenu l’amant de Macha, et lrina  qui fête ses seize ans, Irina dont le lieutenant Touzenbach et  le capitaine Soliony sont tous deux amoureux…
« Si l’on savait, si l’on savait » dira simplement Olga à l’extrême fin de la pièce ,après la grande douleur des séparations et de la mort en duel de Touzenbach… On retrouve, comme dans La  Cerisaie ces petits propriétaires terriens, leur amis parasites, leur campagne où il vivent depuis longtemps mais qu’ils veulent toujours quitter pour Moscou , leurs rêves  inassouvis et leurs domestiques parfois âgés comme ici Anfissa ou dans La Cerisaie , le très vieux Firs que jouait magnifiquement  l’an passé Jean-Paul Roussillon, mort quelques mois plus tard.
La  première scène s’ouvre sur une scénographie un peu chargée: des espèces de fantômes de bouleaux en tiges de fer, et un grand mur , couvert de photos de famille, avec deux roues qui tournent, gadget pour dire sans doute le temps qui passe! Avec, au centre, une porte avec une vitre sans tain. Au loin, la table de repas et au milieu, un fauteuil: celui du père disparu. Tout cela n’est guère convaincant
et parasite un peu les déplacements des comédiens.et mieux vaut l’oublier le temps de la représentation.
Mais, heureusement, la mise en scène de Volodia Serre comme sa direction d’acteurs sont  précises et attachantes: pas de grands effets, pas de trouvailles comme les jeunes metteurs en scène en ont parfois. On ne comprend pas très bien pourquoi Macha se retrouve au premier balcon, une fois côté jardin et une autre fois côté cour ,éclairée par un projecteur. Les petits films amateurs (de la famille Serre, on suppose), avec les enfants jouant au bord de la mer qui sont projetés pendant  les changements de décor n’apportent pas grand chose… Pas grave, et à part ces quelques  scories, il faut le souligner ,c’est un très beau travail,en aucun cas prétentieux mais radicalement efficace : Volodia Serre sait dire les choses  avec simplicité et une apparente nonchalance, alors qu’on sent que tout est réglé au millimètre …
Ah! Le dernier acte particulièrement réussi avec cette catastrophe en chaîne: d’abord,le départ des officiers de la ville ( qui étaient les intellectuels de cette compagnie  en garnison, admirés et choyés dans cette bourgade), la mort brutale dans un duel avec son rival du lieutenant  Touzenbach et la séparation définitive entre Macha et Verchinine son amant: on peut vous assurer que , dans le public,l’émotion passait …
Volodia Serre  joue lui-même Andreï, frère  de ses trois sœurs Alexandrine (Olga) Joséphine ( Macha) et Léopoldine ( Irina) qui le sont aussi à la ville , comme on  dit…C’est  la première fois à notre connaissance que ces fameuses  trois sœurs et leur frère  le sont aussi dans la vie… Il y  avait eu autrefois Marina Vlady et Odile Versois, mais pas la troisième des sœurs Poliakov. Puisque cela lui était possible, Volodia Serre a bien eu raison de  tenter le coup: il y a ainsi une unité de voix et de sensibilité remarquables, d’autant que la différence d’âge est tout à fait plausible.Et les officiers aussi  sont tous très bien; autant citer tout le monde, puisque chaque comédien est exactement à la place convenable; mention spéciale à Juliette Delfau ( l’insupportable Natacha) et à David Geselson, tout à fait juste dans le rôle de Touzenbach,  à Jacques Alric dans le rôle du vieux  Féraponte, avec la canne et la barbe blanche qu’il a maintenant dans la vie.   Mention tout aussi spéciale  à Jacques Tessier (Tcheboutykine, le médecin militaire alcoolique au dernier degré, à Anthony Palioti ( Saliony, le capitaine en second), à Olivier Balazuc dans Verchinine , à Marc Voisin( Koulyguine) et aux officiers:  Carol  Cadilhac et François de Bauer, et enfin à Mireille Franchino qui fut l’une des clowns du Théâtre du Soleil et qui joue la vieille servante rabrouée et injuriée par Natacha.   Sans doute y-a-t-il eu des distributions plus marquantes mais, ce qui fait la qualité de cette mise en scène, c’est à la fois, la direction d’acteurs, le soin apporté à constituer chaque personnage et la grande unité de jeu:  et cela n’a pas de prix.
Il y a aussi , bien mise en valeur, cette notion du temps qui passe, dont Tchekov qui va bientôt mourir quand il écrit Les trois Sœurs est obsédé. Celui du passé, quand maman et papa  vivaient encore, celui que ne connaîtra pas Touzenbach dans vingt-cinq ans comme le lui fait remarquer fielleusement Soliony, les prédictions de de Verchinine sur la vie dans deux ou trois cents ans, etc…
Côté temps qui passe: il y a encore  quelques jours pour aller voir ces Trois Sœurs à l’Athénée mais il y a une longue tournée, n’hésitez pas si le spectacle passe près de chez vous.

Philippe du Vignal

 

Théâtre de l’Athénée jusqu’au 20 novembre et ensuite en tournée.

Amphitryon

Amphitryon d’Henrich von Kleist, texte français de Ruth Orthmann et d’Eloi Recoing , mise en scène de Bernard Sobel.

 sanstitre1.jpg Kleist, né en 1805,  a 28 ans  quand il écrit Amphitryon et  se suicide avec son amie cinq ans plus tard . C’est comment dire, d’après le génial scénario écrit par Plaute, une sorte de relecture plus tragique, plus existentielle de la pièce  de Molière . Le Roi de Thèbes est parti pour la guerre, et Jupiter est tombé fol amoureux de son épouse Alcmène ; il descendra donc sur terre pour passer, sans aucun scrupule, une nuit avec Alcmène sous l’apparence d’Amphitryon.
Mais la pièce de Kleist  est davantage centrée sur la destinée d’Alcmène, infidèle à son insu et donc innocente mais qui ne peut évidemment remonter le cours du temps. Et ce qu’elle a vécu a bien eu lieu comme Jupiter  le lui révélera à la fin. Elle aura eu, avec un autre que son mari, l’expérience de la jouissance érotique, et le plaisir d’avoir passé une nuit délicieuse en compagnie d’un homme qu’elle croyait être son mari.
Cela aura été pour eux une expérience douloureuse mais qui aura finalement donné plus de solidité à leur relation de couple . Puisqu’ils continueront à s’aimer mais moins bercés par l’illusion de la possession de l’autre. Dans un choix plus lucide, et réellement consenti, donc plus fort.. Kleist aborde aussi et surtout par le biais de cette fable la question métaphysique du « qu’est- ce que veut dire être moi » dans une mise en abyme  fascinante et vertigineuse du double à la fois pour Amphitryon/ Jupiter, et pour  Sosie/ Mercure. » Nous ne pouvons pas trancher, disait Kleist, « entre ce que nous appelons la vérité et ce qui nous apparaît ainsi ».
Thomas Mann admirait profondément cette pièce  assez peu jouée en France, trop longue mais  dont le thème reste tout à fait passionnant. Bernard Sobel qui a monté de façon remarquable, entre auteurs allemands, Lenz, Lessing ou Grabbe ne pouvait que s’intéresser à cette pièce. Disons tout de suite que rien n’est vraiment dans l’axe dans sa mise en scène. Lucio Fanti, qui a pourtant réalisé d’excellentes et belles scénographies, a conçu une toile où passent des nuages noirs, et où apparaissent deux ombres  d’arbres immenses et noires. La scène est ainsi réduite à une longue bande et,dans la dernière partie seulement, la toile se lèvera pour laisser apparaître la petite maison carrée d’Amphitryon et d’Alcmène, noire aussi évidemment!  Le tout dans une lumière sépulcrale imaginée par  Alain Poisson qu’on a connu mieux inspiré. Et la plupart des costumes sont aussi noirs ou gris sauf Alcmène vêtue d’une robe tunique blanche.
Quant à l’interprétation, on peut se demander pourquoi  Pascal Bongard (Jupiter) ne sait pas bien son texte, à tel point que l’on est obligé par moments de lui souffler ses répliques! Aurore Paris/ Alcmène-et ceci explique peut-être cela-ne semble pas très à l’aise. Il y a quand même une très belle scène entre les deux amants mais pour le reste quel ennui, quelle déception, et le spectacle n’en finit pas de finir ( deux heures vingt sans entracte ! et  le texte aurait pu être élagué sauf le respect que l’on doit à Kleist!). Sobel ne craint même pas d’utiliser des stéréotypes du théâtre contemporain: des courses dans la salle qu’on  éclaire- déjà raccourcie et dont les deux côtés sont vides de public  et le public prié de figurer le peuple de Thèbes…
On veut bien mais quand même… Réveillez vous Bernard Sobel! Alors à voir? Oui si vous avez envie de connaître le texte dont cette représentation ne vous apportera pas grand chose (et on peut le lire sans aller jusqu’à Bobigny… Sinon, ce n’est vraiment pas la peine, la vie est trop courte.

Philippe du Vignal


MC 93 de Bobigny jusqu’au 11 décembr
e

Funérailles d’hiver

Funérailles d’hiver d’Hanokh Levin, mise en scène de Laurent Pelly.

 funerailles.jpg Hanokh Levin, écrivain israélien plus de dix ans après sa disparition, est encore cordialement détesté dans son pays où ses pièces ont été soit censurées ou interrompues à cause de violentes disputes dans le public.; en France, plusieurs de ses quelque 33 pièces ont été montées en France, depuis Kroum l’ectoplasme en 2000, puis Yacobi et Leindestal, Schitz,… Levin, il faut dire , ne mâche pas ses mots quand il critique , dans nombre de ses pièces, la vie sociale et politique d’Israël, en particulier l’ occupation des territoires palestiniens. Ce qui le rendrait plutôt sympathique. Ses comédies  ont pour thème la vie d’un famille et d’un quartier, reflet de la condition humaine, un peu comme chez Goldoni à qui il fait parfois penser. C’est  tragi-comique, avec une bonne dose d’humour,  et la poésie n’y tarde jamais à rejoindre le quotidien de personnages souvent hauts en couleur,mais mal dans leur peau.  Levin, depuis ses cabarets politiques et foncièrement antimilitaristes ne fait pas dans le théâtralement correct: il dérange, et prend un malin plaisir à déranger et sa parole est souvent provocante, volubile et il n’hésite pas à employer des injures et des mots crus.     Funérailles d’hiver, c’est l’histoire d’une famille que le fils d’une vieille tante vient déranger en pleine nuit pour lui annoncer son décès et son enterrement le lendemain. Alors qu’ils s’apprêtent à fêter le mariage prévu depuis très longtemps de leur fils et de leur belle-fille… Et  toute la famille fera l’impossible pour s’en aller en pleine nuit sur une plage déserte pour échapper à cette malédiction… où bien entendu, le fils finira par les retrouver… La noce aura quand même lieu après mille péripéties. Il y a du Labiche chez Levin, avec une bonne touche d’ Eugène Ionesco, avec un  style bien à lui pour mettre en place le délire d’une famille en dénonçant la bêtise avec férocité. Reste à savoir ce que l’on peut faire avec ce genre de comédie où passent et repassent quatorze personnages, dans un tourbillon infernal,  qui  est mise en scène avec précision par Laurent Pelly.
Cela dit, l’on se demande pourquoi il fait sans arrêt surjouer ses comédiens, en particulier Christine Murillo, dans une scénographie parfois inutile, comme cet escalier du début qui doit servir au maximum une quinzaine de minutes, ou ce long mur de plage. La pièce de Levin a-t-elle besoin de tout cette construction? Sans  doute pas et ,de toute façon, la pièce de Levin aurait été plus solide si l’on avait commencé par retirer une bonne demi-heure de cette histoire qui traîne en longueur et  la seconde partie, en particulier, n’en finit pas. C’est parfois drôle, reconnaissons-le , même quand c’est vulgaire à souhait, et c’est vrai qu’une partie du public rit,  comme ma voisine qui s’esclaffait à chaque réplique, mais le reste de la salle restait de marbre ou presque, comme si elle se sentait finalement peu concernée.
Laurent Pelly dit qu » Hanokh Levin dresse une galerie de portraits formidables, épingle l’individualisme et l’égoïsme absolu » . On veut bien mais ce n’est pas évident , du moins dans sa mise en scène , et cette histoire de famille nous a paru  longuette, et passé le début de ces deux heures, profondément ennuyeuse: les effets se répètent et on a connu Laurent Pelly mieux inspiré et plus novateur. Quant au langage d’Hanokh Levin, il ne nous a pas  semblé d’une si grande drôlerie que cela. Sans doute la grande salle Renaud-Barrault n’est-elle pas non plus  idéale pour ce genre de pièce…
Alors à voir? Si vous êtes un passionné de Levin, peut-être. Sinon, ni la pièce ni la mise en scène ne valent vraiment le déplacement. Même en ce mois de novembre pluvieux et triste…

Philippe du Vignal

Théâtre du Rond-Point jusqu’au 11 décembre.

Le Terrier

Le Terrier, de Franz Kafka, mise en scène Denis Plassard

 leterrierphoto1.jpg  À l’heure de la chasse à l’homme, de l’expulsion continue des sans-papiers hors du territoire ou de l’éviction des Roms loin de nos frontières, le chorégraphe Denis Plassard a été bien inspiré de mettre en scène Le Terrier de Franz Kafka avec sa compagnie Propos. À moins que ce ne soit pas vraiment le fruit du hasard ?

  Dans ce récit de 1923, l’écrivain praguois fait parler un être mi-animal mi-humain qui, après s’être senti rejeté par la société, s’est retranché dans un terrier pour se prémunir du danger, soit ici l’attaque d’un ennemi éventuel. Petit à petit, sa stratégie de protection s’est accrue, tant d’un point de vue matériel avec une galerie agencée comme un labyrinthe piégé, que d’un point de vue mental. L’animal est devenu en effet la proie de sa propre obsession qu’il développe jusqu’au délire, n’ayant plus pour but que l’éradication de l’intrus. Il apparait alors comme l’archétype de l’être dévoré par la peur, rempli de sa haine de l’autre, cultivant méfiance et suspicion jusqu’à devenir complètement paranoïaque. Contreparties de cette altération de l’esprit, la solitude et l’esseulement qui renforcent et alimentent cette spirale. Le soliloque montre bien la force d’un tel discours qui, en apparence, est extrêmement logique, cohérent, énoncé dans un langage soutenu. Un paradoxe qui n’est pas sans engendrer certaines dérives perverses…

  Pour illustrer ce propos, Denis Plassard a imaginé une scénographie militaire, déroulant à l’extrême le lexique guerrier que le texte contient en germe. Dans un décor glauque et cauchemardesque, on entend des gouttes d’eau tomber du plafond dans des gamelles en ferraille. Des jeux de lumière phosphorescente renforcent cette atmosphère inquiétante. Un vieux canapé gris fera à l’occasion office de barricade pour l’exterminateur qui se prépare à la défense (ou l’attaque?). Derrière, un échafaudage en ferraille à escalader pour s’extraire ou revenir dans ce qui n’est finalement qu’un bunker.
Pour éviter la monotonie du monologue, Denis Plassard a choisi d’exposer un couple, un homme et une femme. Seule celle-ci s’exprime, lui apparait plutôt comme son double fantomatique. Tous deux revêtus de costumes trois-pièces gris sombre et de rangers se soumettent en bons soldats à un entraînement à la rigueur militaire. Avec une remarquable souplesse, ces véritables acrobates passent leur temps à escalader, ramper, chevaucher, se contorsionner dans cette place-forte de citadelle. Une chorégraphie incessante qui exploite astucieusement et dans son intégralité l’espace scénique.
Grâce à un jeu tout en tension, Denis Plassard et Natalie Royer convainquent et offrent une représentation aussi spectrale et glaçante que magistrale.

Barbara Petit

Au Théâtre 95 de Cergy-Pontoise les 10, 12 et 13 novembre. En tournée en novembre  le 16 au Théâtre de Chartres (28), le 14 à l’Espace Lucien Jean de Marly-la-Ville, le 26 au Théâtre Paul Eluard de Bezons.

 

 

L’Illusion comique

L’Illusion comique de Pierre Corneille, mise en scène d’Elizabeth Chailloux.

 

  L’Illusion comique fut créée en I638, l’année de la naissance de Molière et de Louix XIV dans un Paris qui fait encore  rêver. L’intitulé de la pièce est déjà plein de saveur:  « A Paris, chez François Targa, au premier pillier de la grand’salle du Palais, devant la Chapelle, au Soleil d’or, MDCXXXIX,  avec privilège du Roy ». Et c’est sans doute la pièce de Corneille que tous les gens de théâtre admirent le plus. Comme le disait l’auteur,: « Voici un étrange monstre… Le premier acte n’est qu’un prologue, les trois suivants sont une comédie imparfaite, le dernier est une tragédie, et tout cela cousu ensemble fait une comédie. Qu’on nomme l’invention bizarre et extravagante tant qu’on voudra, elle est nouvelle » .
Il y a dans ce théâtre dans le théâtre toute la magie de la machinerie du théâtre avec des costumes et des lumières dont on peut user avec le plus grand bonheur, mais surtout, comme le remarque Elizabeth Chailloux un langue  » à la fois étrange et poétique, concrète et poétique qui, presque quatre siècles après, nous est encore, à quelques exceptions près, tout à fait compréhensible. C’est l’histoire très compliquée et impossible à résumer en quelques lignes d’un jeune homme Clindor qui a volé un peu d’argent à son père pour aller vivre sa vie: rien de plus fréquent…
Et Clindor , au milieu de personnages hauts en couleurs comme ce Matamor, ancien combattant, un peu allumé avide de raconter ses illustres combats issus de sa seule imagination, va bien sûr tomber amoureux d’Isabelle , mais n’entend pas pour cela renoncer à d’autres conquêtes féminines. Lyse se sacrifiera pour tenter de la sauver, Rosine, elle  se fait tuer pour l’avoir aimé, tandis qu’Isabelle préfère renoncer à vivre plutôt de de supporter de lui survivre.
Mais tout cela n’est qu’un rêve imaginé et concrétisé par le magicien Alcandre et le père de Clindor retrouvra son fils… devenu comédien. La pièce finit par une belle apologie du théâtre: » Cessez de vous en plaindre, dit Alcandre:  » A présent le théâtre est en un point si haut que chacun l’idolâtre Et ce que votre temps voyait avec mépris/ Est aujourd’hui l’amour de tous les bons esprits ».
La langue de Corneille est baroque et luxuriante  à souhait, dès qu’on sait l’apprivoiser ; il y a une tirade très drôle, presque surréaliste  où une maison est évoquée avec 39 éléments mis bout à bout: ardoises, gouttières, etc.. Et Corneille sait jouer des mots comme personne: Ah! Que je t’aimerais, s’il ne fallait qu’aimer/ Et que tu me plairais, s’il ne fallait que plaire ». Mais il faudrait tout citer:  » Je te donne le choix de trois ou quatre morts », menace Matamore. Et il évoque tout à la fois le Mexique, la Transylvanie, l’Afrique, la Chine, l’Egypte mais aussi l’Islande et Damas.
Reste à savoir comment mettre en scène cette pièce étrange,pas très souvent montée à cause d’une nombreuse distribution dont Strehler avait donné une magnifique interprétation qui est restée dans toutes les mémoires ,Mais ne jouons pas les dinosaures !  Elizabeth Chailloux s’est emparée de la pièce et a plutôt réussi son coup. Un plateau nu avec quelques projections d’images pour figurer la grotte du magicien Alcandre, et des rideaux  coulissants transparents noirs imaginés par Yves Collet qui a aussi créé les lumière: elles,   moins convaincantes que sa scénographie ; elles ont en effet tendance à aller vers la pénombre, ou à créer des zones d’ombre, ce qui ne met guère en valeur les comédiens.
La direction d’acteurs est aussi au rendez-vous et  le rythme est exemplaire: pas de temps mort pas d’esbrouffe: un solide travail d’excellent artisan du théâtre, et le public, très divers quant aux tranches d’âge, était particulièrement élogieux; seul point noir, parfois très noir: nombre de comédiens par ailleurs très justes: en particulier Frédéri Cherbeuf, Jean-Charles Delaume , Malik Faraoun- mais Vitez n’aurait guère apprécié que cela se fasse dans le théâtre qui fut le sien et qui porte désormais son nom- les alexandrins ne  font pas toujours- et ce toujours est un euphémisme- les six pieds requis. C’est vraiment dommage parce que cela nuit à la compréhension , comme à la musicalité du texte de Corneille toujours aussi étonnant de jeunesse…
Alors à voir? Oui, pour le texte et la mise en scène d’Elizabeth Chailloux, malgré ce défaut de diction quand même assez embêtant quand il s’agit du grand Corneille…

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre des Quartiers d’Ivry jusqu’au  1er décembre.

La 3e Nuit du Jazz

La Troisième Nuit du Jazz à l’Apostrophe.

Depuis plusieurs années, le festival Jazz au fil de l’Oise fait escale à la scène nationale de Cergy-Pontoise. Pour cette 3e nuit du jazz, le Théâtre des Louvrais accueillait des artistes d’envergure internationale. D’abord le duo formé par le contrebassiste Eddie Gomez, légende vivante du jazz qui a fait partie du trio de Bill Evans, et le pianiste brésilien Cesarius Alvim. Vingt ans après leur première rencontre, ceux-ci se sont retrouvés pour un nouvel opus, Forever, qu’ils venaient faire partager au public. Envoûtant et relaxant.
En seconde partie, le Sky Trio, composé de l’infatigable septuagénaire Charles Lloyd, le saxophoniste de Memphis, au sax alto et soprano, à la flûte, au piano, au taragato et aux percussions, accompagné de Reuben Rogers à la contrebasse et du merveilleux Eric Harland à la batterie et aux percussions.
Deux moments très différents mais aussi passionnés et haletants l’un que l’autre. Le rendez-vous de musiciens d’exception pour une nuit enfiévrée sous le signe de la liberté et de la sensibilité musicale. Avis aux amateurs.

 

Barbara Petit

À L’apostrophe – Scène Nationale de Cergy-Pontoise le 12 novembre dans le cadre de la 15e édition du Festival Jazz au fil de l’Oise (du 5 novembre au 5 décembre).  www.jafo95.com.

 

Sahel

Sahel  de Franco Catanzariti, mise en scène d’André Perrier.

 


sahel600308150759std.gifSahel, est le fruit d’une longue réflexion par l’auteur franco-ontarien Franco Catanzariti . Visiblement très ému par son séjour au Ghana et son voyage  en Afrique de l’ouest, il a voulu faire comprendre  aux Canadiens  la situation qui sévit dans la région du Sahel, ce territoire situé entre la zone saharienne au Nord et les domaines soudaniens au Sud. Très aride, il subit des crises de famine les plus aigües du continent.
Pour donner vie à cette situation, l’auteur nous présente deux « personnages » : une mère et sa fille, appartenant à une ethnie nomade, les Woodabés.  Nous suivons leurs errances à travers le désert à la recherche de l’eau et de la nourriture. Nous les observons  alors qu’ils s’affaiblissent, mâchent les épines, rêvent d’une autre vie et  meurent de faim, tout doucement. Pour ne pas s’embourber dans un réalisme réducteur, les concepteurs du spectacle font incarner ces deux voix  par des  marionnettes .
Au départ, cette  manipulation conçue par Annie Durocher,  est magnifique. Les visages de ces petits êtres fragiles reflètent des expressions quasi humaines tant elles sont délicates et fines. La souplesse de ces corps émaciés et la délicatesse de leurs  gestes les rendent presque vivants. Les deux  manipulateurs, qui ne se dissimulent pas derrière des costumes noirs,  comme ceux du théâtre Bunraku, sont toujours très présents, prêts à intervenir, à montrer leur solidarité, à  caresser  ces moribonds,  à exprimer leur impuissance, en espérant apporter à ces créatures un peu de réconfort avant que  l’inévitable n’arrive.
Dans cet échange émotionnel, les marionnettes semblent intérioriser la force de ces êtres humains  et deviennent de plus en plus  autonomes dans ces moments de déchéance progressive. Toutefois, assez rapidement un malaise s’installe: on se rend compte que l’œuvre et la mise en scène reposent sur un profond contresens qui devient, au fur et à mesure, presque insupportable.Mourir de faim n’est  pas une expérience poétique. Pourtant, c’est la beauté poétique du spectacle qui nous accapare.
La mise en scène d’André Perrier et  la  conception esthétique  du scénographe,  le paysage sonore: tout est aussi impeccable que le jeu de lumières qui évoque une ambiance de sable brûlant et de bestiaux fantômatiques qui émergent derrière les nuages de poussière. Les corps squelettiques qui errent parmi les dunes sculptées dans le sable font ressentir le rapport difficile avec la terre, rendu encore plus « magique » par les souvenirs d’un passé nostalgique ou bien les rêves de la petite  fille qui entrevoit un avenir meilleur pour sa maman. Mais il n’existe aucun rapport entre la beauté du spectacle et l’immense souffrance qui ronge ces deux créatures évoquées devant nous. À quoi pensait l’équipe artistique?  À quoi pensait l’auteur ? Peut-être à une  forme d’aliénation du réel pour aiguiser notre sens critique… Mais pour cela il aurait fallu éviter cette esthétique du beau et de l’harmonieux.  Il fallait une esthétique d’étrangeté,  de rupture, une représentation visuelle qui rendent  mal à l’aise pour que la souffrance de ces créatures frappe davantage.  La contradiction entre la forme et le contenu était totale ici. On n’était ni ému, ni troublé ni même un  peu triste.  On est frappé par la beauté du spectacle, par la vraisemblance des marionnettes et des formes sculptées,  la couleur des sables et les superbes voix chantantes qui donnaient des frissons et un  magnifique paysage sonore .   Mais rien de tragique dans tout cela. Apparemment, mourir de faim semblait équivaloir  à une expérience du beau! D’autres artistes  ne seraient sans doute pas d’accord…

Alvina Ruprecht


Théâtre de la Vielle 17 à Ottawa.
Sahel continue à la Nouvelle Scène jusqu’au 20 novembre. tel 631-241-27 27

 

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