Dämonen
Dämonen Démons de Lars Norén, traduction en allemand d’Angelika Gundlach, mise en scène de Thomas Ostermeier.
Lars Norén, 66 ans est sans aucun doute le dramaturge suédois le plus connu en France, avec des pièces comme Guerre, La Force de tuer, Kliniken, La Veillée, Munich-Athènes. Sur les quelque dizaines qu’il a écrites. Dämonen ( 1983) est une sorte de tranche de vie: un couple, Frank 38 ans- l’âge qu’avait Norén quand il écrivit sa pièce- et Katarina vivent ensemble depuis longtemps mais le couple a quelques difficultés relationnelles dans leur vie quotidienne. Les reproches et les injures se mettent à pleuvoir. Et cela passe, on le sait bien, par des détails qui, accumulés au fil des années, deviennent une bulle prête à exploser avec violence. Un soir, Quand Frank rentre, Katarina est en train de prendre une douche et elle casse un verre, et le verre cassé s’éparpille partout sur le carrelage. Ce qui excède Frank qui lui rappelle qu’elle avait déjà cassé la plaque de verre du bac à légumes du réfrigérateur il y a quelques années, de celles que l’on ne trouve jamais à acheter. Elle, de son côté, a un peu de mal à accepter que l’urne contenant les cendres de la mère de Frank soit toujours dans le couloir…
L’escalade verbale va commencer du genre: « Ne me regarde pas avec tes petits yeux ridés de cochon ». ou « Ta pute italienne que tu as baisée à Orly » Qui peur de Virginia Woolf ? que nous avions vu jeudi a, vingt ans plus tard, évidement inspiré Lars Norén. … D’autant plus que Frank propose à ses voisins du dessous Jenna et Tomas un jeune couple comme eux mais qui ont deux enfants, dont un bébé Wolfgang qui est malade, de venir prendre un verre. Jenna, un peu enveloppée, mère de famille, est un peu l’antithèse de Katarina qui a quelque chose de la Vénus de Boticelli. Ils se mettent à boire tous les quatre et dans ce huis-clos, la machine à produire de la cruauté mais aussi à révéler la vérité de chacun des personnages est programmée de façon irréversible.
Complices et victimes à la fois, Katarina, très séduisante, et Frank mènent le bal, visiblement assoiffés d’échapper à un quotidien qu’ils ne supportent plus, incapables aussi sans doute de ne plus s’aimer. Jamais sans toi, plus jamais avec toi…: « Ou je te tue ou tu me tues, ou on se sépare ou continue comme çà. Choisis, dit Frank, tout en sachant qu’il n’y a pas de vraie réponse. Et on pouvait s’y attendre: elle se met à draguer Tomas qui ne résiste gère à ses avances. Et comme dans la pièce d’Edward Albee, l’autre couple va vite être contaminé par ce déluge de violence verbale, où l’attirance sexuelle n’est jamais vraiment avouée mais sans arrêt présente. Et Frank a visiblement des penchants homosexuels et se met à draguer Tomas de façon très physique. Dans un moment de grande violence et déjà très imbibé, il versera les cendres de sa mère sur Katerina, pour ensuite passer l’aspirateur et les remettre dans l’urne…
Ce qui n’empêchera pas Frank, à la fin de partir avec Jenna qui un besoin irrépressible d’amour: « Tomas ne m’a jamais aimé; c’est pour cela que je tombe enceinte tout le temps « . Thomas Ostermeier a repris un dispositif scénographique comparable à celui de Maison de Poupée soit une vaste tournette avec, d’un côté, un appartement contemporain avec table basse, fauteuils et de l’autre côté, séparé par un box en verre où est placé un vélo d’entraînement, une petite cuisine, le lit d’une chambre et une douche avec lavabo.
Le directeur de la Schaubühne a placé deux projecteurs vidéo qui retransmettent certaines scènes sur les murs de l’appartement, surtout quand elles se passent de l’autre côté. C’est techniquement de grande qualité mais comme d’habitude, cette vidéo- véritable manie du siècle que nous avons souvent dénoncée- ne fonctionne pas très bien; et voir de gros plans de visages ou Frank pisser dans le lavabo quand les trois autres personnages continuent à discuter dans le salon tient de la provocation de potache et n’apportent strictement rien au spectacle.
Mais avec une pièce mineure, Thomas Ostermeier a réalisé une mise en scène exemplaire, notamment dans sa direction d’acteurs; on connaissait déjà Lars Eidinger (Frank) qui avait déjà joué dans son Hamlet mais Brigitte Hobmeier, Eva Meckbach et Timan Straub sont d’une vérité et ont une qualité de jeu tout à fait exceptionnelle. Ce qui frappe le plus, c’est la simplicité apparente de leur interprétation et l’unité de jeu du quatuor.
Alors à voir? Même si la pièce beaucoup trop longue, (deux heure vingt cinq sans entracte) sur un thème très proche, n’a pas la force d’écriture de Qui a peur de Virginia Woolf? et si elle n’offre guère d’émotion, on est quand même séduit par la mise en scène de Thomas Ostermeier. A vous de choisir. Apprentis comédiens, courez y, vous verrez une direction d’acteurs d’une rare qualité.
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Odéon, Paris (VIème) jusqu’au 11 décembre.