Rêves d’automne
Rêves d’automne de Jon Fosse, traduit du norvégien par Terje Sending, mise en scène de Patrice Chéreau.
Après les avant-premières au Musée du Louvre que nous n’avions pu voir et dont vous avait rendu compte dans ces colonnes Davi Juca(1), nous attendions avec impatience la mise en scène de Patrice Chéreau. Celle de René Loyon, en partie à cause d’un décor assez peu efficace n’était pas du tout convaincante; mais celle de David Géry au Théâtre de l’Athénée, il y a juste deux ans, possédait une force et une beauté indéniable avec des acteurs de premier ordre… . Il y a en France, les partisans de Jon Fosse et ceux que ses textes ennuient profondément, pourtant montés par des metteurs aussi expérimentés que Claude Régy ou Jacques Lassalle…
La tâche n’est pas aisée: comment en effet faire vivre ces phrases banales sans intérêt immédiat mais qui nous disent le plus intime de nous, un peu comme chez Tchekov ou Ibsen auquel on pense bien sûr en entendant les dialogues de l’auteur norvégien. Mais il y faut une précision d’orfèvre et une grande sensibilité chez le metteur en scène, et une faculté d’écoute du public, en même temps qu’un plateau approprié: cela fait quand même de nombreux paramètres à prendre en compte. L’histoire est simple; il s’agit d’un homme et d’une femme qui se retrouvent dans un cimetière. Ils ont vécu ensemble autrefois, puis se sont perdus de vue mais ce n’est sûrement pas innocent que ces retrouvailles aient lieu dans un cimetière, où il doit venir enterrer sa grand-mère. C’est elle, vieille Ophélia, qui, dès le début, un bouquet de fleurs à la main, en chemise de nuit blanche immaculée et robe de chambre grise, erre d’une salle à l’autre, en silence- magnifiquement interprété par Michelle Marquais,fantôme parmi les fantômes du musée.I
L’Homme y retrouve ses parents qu’il n’avait pas vus depuis des années. Il y a aussi son ex-épouse ( la seule qui porte un prénom: Gry ( très bien jouée par Marie Bunel) qui a peur de perdre leur seul enfant qui est entre la vie et la mort à l’hôpital. Plus tard, L’Homme retrouvera encore sa mère pour l’enterrement de son père ( Bernard Verley) et entre temps, leur jeune fils de dix neuf ans lui aussi sera mort. Et, à la fin, absolument sublime, l’on peut voir les corps des trois hommes :père, fils et petit- fils étendus en ligne , tandis que les trois femmes quittent lentement la salle de musée.
Chéreau a en effet préféré concrétiser ce cimetière par une salle de musée ( et la pièce a déjà été présentée en avant-première au salon Denon du Louvre. voir l’article de Davi Juca dans Le Théâtre du Blog) . Richard Peduzzi, vieux complice fidèle de Chéreau depuis quelque quarante ans au théâtre comme au cinéma et qui a su donner une dynamique exemplaire à l’ecole Nationale des Arts Décoratifs a réalisé une magnifique et très impressionnante scénographie.
Imaginez une salle au parquet de chêne qui arrive jusqu’au premier rang du public, aux très hauts murs rouge foncé, avec des entrées aux cadres noirs donnant sur d’autres salles qu’on entrevoit seulement- mais où l’on peut aller après le spectacle, comme des visiteurs de musée.Il y a là notamment La Chute d’Icare en deux exemplaires dont l’un est déposé en bas d’un mur. Dans la salle où a lieu l’action, les tableaux ont été décrochés et ne restent que les cartels où l’on peut lire le nom des défunts comme on les lit sur les tombes dans le texte original de Jon Fosse; les tableaux représentant des scène mythologiques ou d’histoire romaine sont haut placés, un peu comme au Musée de Chantilly dont l’accrochage n’a pas bougé sur ordre testamentaire du duc d’Aumale, et on les devine plus qu’on ne les voit vraiment..
Il y a surtout des batailles et des scènes de mort ( et ce thème n’est pas un hasard chez Chéreau hanté par la disparition de plusieurs de ses proches et lui-même fils de peintres: La mort de Sénèque de Luca Giordano, La mort de Roncevaux d’Achille Etna Michallon, ou des paysages assez mélancoliques comme ceux que peignait Théodore Carelle d’Aligny, cet excellent paysagiste du 19 ème ou encore Charles Le Brun. Les tableaux ne sont en rien des copies, nous a dit Richard Peduzzi mais ils sont encore plus vrais que nature dans cet étonnant espace théâtral.
Il n’y a pas -mais on pourrait la deviner- cette odeur prenante d’encaustique des anciens musées un peu oubliés des grandes villes de province quand on était encore enfant. Il y a aussi une lumière zénithale un peu froide et triste comme souvent en novembre. La mise en scène de Patrice Chéreau est exemplaire de finesse et de beauté pure, comme dans ces scènes d’amour entre elle et lui ( Pascal Greggory), même si on entend souvent mal Valéria Bruni-Tedeschi, comme cette autre scène où Bulle Ogier, formidable de force et de vérité ( la Mère ) gifle son fils qu’elle prend encore pour un gamin, ou bavarde avec la nouvelle épouse de son fils…
Qui est mort? Qui va mourir? se demande-t-il dans cette pièce hantée par le désir sexuel et par la mort que l’on essaye ,en vain bien sûr, d’apprivoiser . Ce que rend très bien aussi Chéreau et qui est un des thèmes majeurs de Rêves d’automne, c’est l’idée de transmission et d’unité entre les morts et les vivants chère à l’écrivain orthodoxe Olivier Clément.
Il sait dire, comme peu de metteurs en scène, son obsession du temps (il avait déjà monté Le Temps et la chambre de Botho Strauss..) et de la mémoire, obsession qui est aussi celle de Jon Fosse. Il n’était pas revenu au Théâtre de la Ville depuis Peer Gynt il y a presque trente ans., et l’on sent le plaisir qu’il a eu à disposer d’un aussi beau plateau. Mais, eh! Oui, il y a un mais. Même si les lumières de Dominique Bruguière sont, comme d’habitude de toute beauté, même si la direction d’acteurs est de premier ordre, on est obligé de dire que ce n’est pas le type de salle vraiment adaptée à l’univers intimiste de Jon Fosse. Et comme Patrice Chéreau traite nombre de scènes un peu comme un cinéaste qu’il est surtout devenu, mieux vaut être dans les premiers rangs si l’on veut partager l’univers de ces êtres déchirés. Mais pour les spectateurs du milieu et du fond de salle, l’esthétique de la mise en scène plombe souvent le dialogue et même le sens de la pièce. Et c’est d’autant plus dommage que c’est vraiment une mise en scène d’une rare qualité où Chéreau comme l’écrivait déjà Freud au début du 20 ème siècle, semble nous conseiller de renoncer d’une certaine façon à l’amour, de choisir la mort et de nous familiariser avec la mort. Ce qui ne veut pas dire du tout que la mise en scène de Chéreau soit sinistre ,mais plutôt douce et apaisante, et ,même par moments, ludique…
Alors à voir? Oui, bien sûr, que vous connaissiez Jon Fosse ou pas, malgré ces réserves mais conseil d’ami: faites preuve d’exigence et vraiment insistez pour avoir des places dans les premiers rangs et de préférence au centre… Vous avez le temps ,cela se joue jusqu’à la fin janvier…
Philippe du Vignal
(1)http://theatredublog.unblog.fr/2010/11/16/reve-dautomne/
Théâtre de la Ville jusqu’au 25 janvier.
Ensuite au Grand T de Nantes du 2 au 11 février; au de Singel d’Anvers le 1er et 18 février; au Théâtre du Nord de Lille du 8 au 18 mars; au Stadsschouwburg d’Amsterdam du 24 au 26 mars; au Piccolo Teatro de Milan du 1 er au 11 avril; à la Scène nationale de Poitiers du 3 au 26 mai; au Théâtre national de Bretagne à Rennes du 11 au 20 mai; au Wiener Festwochen de Vienne du 26 au 29 mai et enfin, au Théâtre national de la Criée à Marseille du 6 au 11 juin.