Docteur Faustus
Docteur Faustus, de Christopher Marlowe, traduction Jean-Louis Backès, mise en scène Victor Gauthier-Martin
Si l’on cherche le personnage moderne, c’est lui, Faust, personnage historique né à la Renaissance, entré aussitôt dans la légende, grâce à Christopher Marlowe, entre autres. Un homme comme ça ne peut apparaître que dans un monde en pleine interrogation sur lui-même, en plein défi. Il ne faut pas oublier que les “lumières“ de la Renaissance brillent sur un monde particulièrement fasciné par le savoir et par la magie ; jamais il n’y eut un tel bond en avant de la science et tant de procès en sorcellerie. Faust est le prototype du “savant fou“, toujours frustré de ne pas atteindre le fond du savoir – mais quel fond - ? Il est aussi le modèle du “trader“, cherchant la puissance dans la fabrication perpétuelle d’un or virtuel. Quand il vend son âme, il s’arrange pour ne pas payer. À moins qu’il ne soit que le terrain de jeu d’un bras de fer entre Dieu et le Diable, Dieu tenant par principe à récupérer une âme, sans être trop regardant sur ce qu’elle vaut, Lucifer restant, quand même, “porteur de lumière“. La représentation prend soin de ne pas trancher.
C’est ce qui fait la réussite du Docteur Faustus : Victor Gauthier-Martin a placé son Faust dans un XXIe siècle fantasmé depuis longtemps par la science-fiction. Il joue avec les images – une espèce de fauteuil de dentiste, avec ce que cela comporte de confort hautement technologique et de peur –, et avec l’efficacité de cette même technologie : micro-caméras, écrans et pixels, incrustations d’images…, brouillent les limites entre le virtuel et le réel.
Il a surtout choisi, au milieu d’une bande de bons jeunes comédiens, le Faust idéal. Philippe Demarle fait partie de ces quelques acteurs capables de garder une jeunesse éternelle et d’incarner en même temps l’extrême vieillesse. Fin, agile, un coup éclairé par la blondeur de l’enfance, un coup pâli par les ans, il nous donne un Faust sans âge, ou qui les a tous, selon son désir. Le projet faustien n’est pas d’échapper au temps, mais de s’en libérer. Ce n’est pas tout à fait la même chose, nous est-il suggéré avec une ironie subtile. On est là bien au-dessus de la boutade sur notre société “jeuniste“ où l’on voudrait « vivre vieux et mourir jeune » : la liberté, c’est autre chose. Tiens, on aurait envie de l’écrire avec une majuscule.
Et pourtant c’est une liberté sans illusions : la chair est triste, et Faust a testé toutes les machines…
Christine Friedel
A voir au Théâtre de la Ville -Théâtre des Abbesses du 8 au 18 décembre