nach moskau
Nach Moskau d‘après Les Trois Sœurs et les Paysans de Tchekov, mise en scène de Frank Castorf.
Confrontant Les trois sœurs et Les Paysans, Nach Moskau a un côté « bombe à fragmentation » des plus stimulants. À force de presser sur le citron des textes, Frank Castorf et sa bande font résonner jusqu’à l’explosion toute une série de questions terriblement d’actualité : l’attraction universelle des villes (rien que ça !), la question des migrants, celle de la paupérisation des classes moyennes, de la vulgarité fasciste, avec le personnage de Natacha comme inquiétante métaphore du berlusconisme… Ne parlons pas de la psychologie petite-bourgeoise, pulvérisée depuis longtemps. Virtuose, chargé, expressionniste, cette vision de Tchékhov ne marche pas à tous les coups, fait parfois long feu, l’écran vidéo – ironique cru – occulte parfois la scène, mais ça bouillonne.
Pour qui verrait pour la première fois sous cette forme Les trois sœurs, ce seraient les « vraies » Trois sœurs ; il serait bien étonné, et très intéressé, sans doute, pas une représentation « classique ». C’est le sort (et le fort) des chefs-d’œuvre : dans quelque sens qu’on les torde, et même si on oublie de les tordre, ils vous donnent toujours plus que ce que l’on espère.
Christine Friedel
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nach moskau
Le grain de sel de du Vignal :
Nous étions à la même représentation et nous trouvons notre consœur bien généreuse avec ce monument d’ennui qui dure plus de quatre heures( avec un court entracte). Le texte des Trois sœurs, on veut bien mais laminé, truffé par moments d’autres textes. Cela se veut » une confrontation de la classe des démunis avec la léthargie bourgeoise qui révèle un potentiel social-révolutionnaire » ( sic).Le tout sur la grande scène des Amandiers avec une sorte d’estrade en bois celle de la bourgeoisie, et , un peu plus loin une isba déconstruite ( celle des moujiks- où il ya un faux poèle- voulu comme faux , bien sûr- sur laquelle la nounou est assise et dont la cheminée de temps en temps émet quelques fumées. Merci pour la leçon de catéchisme politique teintée de brechtisme mal compris
Quant à l’incendie de la ville dans Les trois Sœurs, on voit les officiers arriver avec de gros tuyaux et répandre un peu d’eau sur la scène , tandis que sur l’écran, défilent des images des incendies qui ont ravagé la Russie cet été, comme si nous étions des brutes épaisse incapables de comprendre les choses autrement que par des images projetées.
La déconstruction, on veut bien mais on autrefois déjà beaucoup donné! Avec en prime, une sacrée dose de vidéo qui parasite tout, comme d’habitude et qui nous envoie presque en permanence dans la première partie, des grossissements de scènes et/ou de visages de scène intimes-voire très intimes- filmées par un cadreur qui suit pas à pas les comédiens sur le plateau.
Caviar sur le blini:Le surtitrage ( de bonne qualité) en grosses lettres s’imprime sur les images,pendant que les comédiens crient le texte. Mais le professeur parle en anglais-non traduit, comme un passage en russe, et seul Castorf sait pourquoi!
Il nous avait habitué à uen autre qualité de mise en scène quand il avait monté ,entre autres, Les Possédés. Certes, il y a de l’énergie comme le dit Christine Friedel, et alors ? Bon cela fait toujours plaisir de voir ces comédiens allemands qui ont une gestuelle et un jeu tout à fait remarquables mais c’est sans doute le seul vraiment bon point de spectacle. Avec peut-être la fin plusn habile où les trois sœurs se retrouvent seules après le départ de la batterie. Mais pas un gramme de véritable émotion.. On nous rétorquera sans doute que c’est exprès- comme le braillait à la sortie,un comédien spectateur connu à la fois par sa grande culture et son snobisme: moi, j’adore… Mais, dans ce cas, pourquoi ce dézinguage en règle de la merveilleuse pièce de Tchekov ? Avec des intentions que seuls les radars très performants de Christine Friedel ont pu détecter …
Que veut nous prouver Castorf ? Qu’il sait réaliser ce genre de petite provocation facile à base de déconstruction ( on connaît ses qualités de metteur en scène depuis longtemps mais ici ne comprend pas bien le scénario) et l’entreprise semble lui faire plus plaisir qu’au public qui subit cependant l’épreuve sans trop broncher ? Quel dommage que tout ne soit pas comme dans ces dernières scènes où le théâtre , débarrassé de toute cette technologie retrouve enfin ses droits, et où l’on retrouve enfin le vrai Castorf.
Il y a eu à l’entracte de nombreux départs -mérités -mais pas assez pour vider la salle. La démonstration est très solide sur le plan technique mais quel ennui, quelle déception devant une telle prétention, quel manque d’humour et de tendresse! Les Trois sœurs mise en scène par Volodia Serre la semaine dernière à l’Athénée jouait le parti pris de l’honnêteté et il n’y avait aucune tromperie sur la marchandise : un travail artisanal, juste, capable d’émouvoir un public qui ne connaît pas Les Trois Sœurs.
Mais à qui est destiné ce travail de couture et de rapiéçage de morceaux de textes, sans grand intérêt et qui n’a rien de très neuf, malgré les vieux oripeaux d’une certaine modernité que l’on a déjà vus un partout ?
Que l’on ne me fasse pas croire que le public de Nanterre et en particulier les étudiants de la fac puissent être fascinés par cette avant-garde poussiéreuse. Quel est le but de l’opération et son coût ? Bref, une après-midi perdue.
Philippe du Vignal