PHILIPPE AVRON

 PHILIPPE AVRON

20080121philippeavronmonamiroger.jpg   Nous avions par hasard eu le bonheur d’assister à la dernière représentation de Philippe Avron, artiste d’exception, humaniste amoureux de la poésie comme il en existe si peu, le 20 juillet 2010 au Théâtre des Halles d’Avignon.
Jean-Gabriel Carasso, vieux compagnon de route qui a filmé ses derniers instants sur scène*, a organisé avec ses amis, une émouvante soirée au Théâtre du Soleil qui nous a reçus avec une simple munificence.
« Montaigne a dit : tous les jours mènent à la mort, le dernier y arrive”.      Philippe Avron nous promène dans ses amours littéraires, dans son enfance auprès de son grand-père sur la plage de Calais, nous parle de son père qui lui avait laissé pour tout héritage ce volume de Montaigne qu’il tient en main.
Fragile, fatigué, émouvant, parfois malicieux, ce  très grand et  très bel acteur était une personne généreuse qui se donnait sans compter au public qui se pressait aux portes. Philippe Avron ,après le jour de relâche prévu le lendemain, n’avait  pu jouer la semaine suivante.  Mort quelques jours plus tard , il  a été enterré dans le Vexin, auprès de Jacques Lecoq, son grand ami.

Plusieurs centaines de personnes étaient arrivées dans la grande nef du Théâtre du Soleil et l’ on y croisait  des compagnons de route:  Sonia Debauvais, Roland Monod, Jacques Téphany, Jean Digne, Bernard Grosjean, Catherine Tasca et bien d’autres. Après un  apéritif, on nous convie à l’intérieur du théâtre pour voir un montage de photos collectées par Carasso. On peut ainsi embrasser toute la carrière de Philippe Avron depuis  ses débuts avec Jean Vilar  (L’avare et L’Alcalde de Zalamea entre autres) et  Le Cercle de craie caucasien et Dom Juan avec Benno Besson (qui le distribua dans le rôle titre puis dans Sganarelle ).
Il y avait aussi ses inénarrables duos avec Claude Évrard, puis tous ses solos de Dom Juan 2000 (que j’avais invité au Théâtre 71 pour un cachet bien modeste ; il se donnait sans compter, avec un vrai plaisir dans les animations scolaires), jusqu’à cette ultime représentation d’Avignon.
Puis il y eut un film sur un numéro de trapèze exécuté en 1969 pour le Gala de l’Union, par un tout jeune Philippe, comme toujours malicieux et souriant, mais pas très rassuré, sans filet avec sa jolie partenaire. À la sortie, on nous a distribué un joli petit livret conçu par Philippe Avron en juillet 1997, Le comédien et ses métamorphoses illustré par la Maison Jean Vilar.  Il  était encore  parmi nous .

Edith Rappoport

Théâtre du Soleil

*Le savoureux livret du spectacle est en vente en tapuscrit et  Jean-Gabriel Carasso prépare un DVD. »


Archive pour 14 décembre, 2010

MELTING POT BALAGAN

MELTING POT BALAGAN David Bursztein et son orchestre MC 93 de Bobigny

 

Life is not a picnic,

 David Burstein, acteur chez Georges Lavaudant, Laurent Pelly et Wladyslaw Znorko entre autres, a créé en 1995 un collectif de musiciens de haut niveau qui propose des soirées dézonées. Nous avons découvert cet étrange concert grâce à Irina Vavilova, complice de toujours de Znorko.
Un grand orchestre de jazz de  douze musiciens, de sublimes morceaux classiques interprétés par Macha Tchouvakyna violoniste et Artyom Avetisian pianiste, tous deux superbes. Et cerise sur le gâteau,  un groupe de très jeunes musiciens de 5 à 16 ans menés par leur Babouchka, venus d’une lointaine république, et David Bursztein menant la danse, chantant, présentant les artistes pendant que le fumet d’un bortsch préparé sur scène qui alléchait nos narines se dégustait à la fin du spectacle. On aimerait voir plus souvent de telles soirées, au lieu de nos froides soirées institutionnelles qui ont perdu leur sens.

 Edith Rappoport

 

Concert de Maria Tchouvakyna et Artyom Avetysian  le 17 décembre à l’Église Saint Pierre de Montmartre, au programme Mozart, Tchaïkowsky etc, tél : 06 40 11 18 47

LE DOMOVOÏ

LE DOMOVOÏ

Texte et interprétation de Georges Perla, mise en scène Orit Mizrahi,

Georges Perla avait présenté il y a plusieurs années, un spectacle attachant à Dunois, il refait son apparition avec cet étrange Domovoï, inspiré d’un conte russe.
Fiodor, le naïf du village pour ne pas l’appeler l’idiot, se réveille sur son poêle glacé, la bise balaye la plaine, les isbas ont été démontées par les paysans qui sont allés chercher refuge ailleurs.
Ne sachant comment rallumer le feu poussé par le Domovoï, l’esprit du foyer, Fiodor part à la recherche des villageois partis au- delà des contrées habitées avec la Domivka, femme du Domovoï.
Georges Perla et ses deux complices musiciens ont une forte présence dans un univers plastique de Stéphane Wolfer et Abdul Alafrez le magicien, qui nous plonge dans les beaux livres de contes russes de notre enfance.

Edith Rappoport

Théâtre Dunois jusqu’au 19 décembre tél. 01 45 84 72 00

Gabriel Monnet

Gabriel Monnet, 1921-2010.monnet.jpg

 

     Il est décédé brutalement  ce dimanche 12 décembre au matin, Gabriel Monnet – beaucoup d’entre nous l’appelaient amicalement « Gaby » – était bienveillant, toujours présent, plein d’humour et d’élan, à presque quatre vingt dix ans, pour intervenir, lire, soutenir, encourager. Il devait se produire cette semaine dans un spectacle mis en scène par Georges Lavaudant.
Gabriel Monnet, généreux partageur, aura rayonné comme comédien, metteur en scène et animateur, menant à bien trois grands projets novateurs de service public en province. Il fut un rassembleur d’équipes, d’artistes. Il sut créer, organiser, dynamiser des réseaux de spectateurs enthousiastes. En témoignent les liens d’amitié restés vifs tout au long de sa vie avec ses coéquipiers, ses comédiens, les amis qu’il s’était faits dans tous les lieux qu’il a dirigés. Il a pris à bras le corps le projet de la décentralisation, inscrivant cette utopie dans la réalité, à travers des difficultés de toutes sortes, n’hésitant pas à dire non aux politiques quand il le fallait. Il savait s’engager à fond sur ses « oui » et ne pas tergiverser sur ses « non ». Initié au théâtre par son père, comédien, il participe tout jeune à la Résistance du maquis du Vercors.
Il restera fidèle à cet esprit, préférant la droiture des actes et des paroles au confort de la notabilité. A la Libération, il est formateur d’art dramatique pour « Peuple et Culture » à Annecy. Jean Dasté, envoyé par Jeanne Laurent en mission pour créer le premier Centre Dramatique National initialement prévu à Grenoble, sympathise immédiatement avec Gaby, jeune relais dynamique qui organise la venue du public d’Annecy et met en scène des spectacles.
C’est à ce moment-là que Gabriel Monnet rencontre Michel Vinaver, jeune auteur, qui écrit pour lui Les Coréens. En 1957 Monnet rejoint la troupe de Jean Dasté qui, entre temps, a trouvé son point d’ancrage à Saint Etienne. Il y reste jusqu’en 1961, comme acteur, metteur en scène et animateur. En 1961 il répond à la proposition de diriger le théâtre de Bourges et d’inventer la première Maison de la Culture. Elle sera ouverte en avril 64, inaugurée par le Général de Gaulle et André Malraux dont le discours prononcé à cette occasion est resté célèbre.
Ecoutons Gabriel Monnet :«Durant l’hiver 1960, un journaliste ami venu voir Oncle Vania que j’avais mis en scène chez Jean Dasté à Saint Etienne m’avait demandé : Que vas-tu faire à Bourges ? Il n’y a rien … J’y vais parce qu’on me dit qu’il n’y a rien …A Bourges, nous avons commencé en 1961. Commencé quoi ? Recommencé seulement à vivre selon nous-mêmes, à raviver parmi nous un regard attentif : appelons cela le Théâtre.Cette année-là, personne, je dis bien personne – y compris parmi ceux qui gardaient la mémoire des expériences culturelles de 1936 à Paris – ne savait à quoi pouvait ressembler une « maison de la culture ». Concept ? Edifice ? Institution ? Moi-même je n’en avais aucune idée.
Pierre Potier, devenu conseiller municipal, m’avait d’abord offert de succéder au gérant du théâtre municipal parti à la retraite. J’avais refusé, soulignant que mon métier ne voulait pas un bureau mais une scène. L’ami Pierre se débrouilla pour convaincre le Maire d’expérimenter les chances d’une troupe professionnelle placée sous ma direction. Si tout marchait bien on pourrait installer la troupe dans l’édifice en briques rouges qui se dressait, vide et inachevé, au centre la ville … Cette construction était au-dedans un « théâtre » aux proportions aberrantes : de vertigineux gradins dévalaient sur une scène étroite, sans cintres ni coulisses … je conditionnais notre venue à la promesse que l’édifice serait rendu praticable.
C’est à la Comédie de Saint Etienne où je travaillais auprès de Jean Dasté que l’avenir se mit à clignoter. J’avais confié l’étude de notre problème à Bernard Floriet, directeur technique de la Compagnie. C’est lui qui eut l’idée décisive (elle eut des conséquences partout) de couper l’espace en deux dans le sens de la hauteur et de dégager ainsi deux salles, une grande et une petite, offrant du même coup les possibilités d’un travail théâtral diversifié …
Je voulais que le théâtre cessât d’être une clôture, un envers des murs, un lieu séparé de tous les autres. Je le rêvais ouvert le jour comme le soir, environné de lieux également ouverts, destinés aux disciplines dont il fait son pain : littérature, arts plastiques, musique, animées par leurs spécialistes, équipé de machines nées de lui : le cinéma, la vidéo. Je rêvais d’un lieu théâtral puissant, déplié, visiblement relié à tout ce qui est susceptible d’alimenter, de relancer sa perpétuelle exploration des conduites et des langages des hommes …
Je pensais, je disais que nous n’étions que les habitants d’une maison trouvée, les ouvriers d’une transition … qu’il fallait inventer d’autres maisons ouvertes de la peinture, de la littérature, de la musique, du cinéma, qu’il fallait même imaginer des « maisons sans murs », des villes de la culture, les villes elles-mêmes, comme autant de capitales structurées par la rencontre quotidienne des disciplines humaines des artistes, des savants, des travailleurs, des rêveurs, des citoyens, petits et grands …»*

En 1969, il quitte Bourges, en solidarité avec son équipe. Avec une grande partie de ses collaborateurs qui le suivent, il fonde le Théâtre de Nice qui deviendra Centre Dramatique National. Nouvelles amitiés, nouvelle construction, nouvelles luttes. Départ en 1975 suite à des désaccords avec le Maire de Nice. Il revient à Grenoble où il dirige le Centre Dramatique National des Alpes. Il propose à Georges Lavaudant, jeune metteur en scène, la codirection puis lui passe le relais en 1981. Depuis, il poursuivait le jeu, les lectures en public, l’écriture, la mise en scène. Il cultivait son jardin et ses amitiés. Il aura mis en scène Tchekhov, Sophocle, Molière, Shakespeare, Pirandello, les plus grands, et créé des auteurs de son temps : Jacques Audiberti, Serge Valletti.
Il a joué sous la direction de Jean Dasté, Georges Lavaudant, Bruno Boëglin, Jacques Nichet.
Ses obsèques ont eu  lieu  ce mercredi, à 15 heures, dans l’église de son village à Saint-Bauzille-de-Montmel près de Montpellier. Toutes nos amitiés à sa fidèle compagne Monnette, à sa famille, ses amis, à tous ceux, nombreux, qui ont travaillé avec lui. Pensons aussi à lui avec reconnaissance et faisons vivre son esprit.
Des hommages auront certainement lieu. Informations: Association Double-Cœur à Bourges.

Evelyne Loew

*Texte de Gabriel Monnet cité dans le livre de Georges Patitucci, Au cœur de la ville, au cœur du temps, éditions Double-Cœur.

Divine Party

Divine Party, musique, mise en scène et scénographie d’ Alexis  Forestier.

   divineparty2.jpgChronologiquement, tout commence en cette intégrale par l’Enfer. C’est un rappel du premier volet de la Divine Comédie de Dante, qu’ Alexis Forestier, revisite tambour battant en créant son Inferno party à lui : « Au milieu du chemin de notre vie/ je me retrouvais dans une forêt obscure/ car la voie était perdue ». Cette forêt obscure reflète l’image du monde temporel qui n’a pas reçu la lumière divine, une allégorie de la chute et de l’échec de l’homme. Sur le plateau, des appareils électroniques diffuseurs de sons et de musiques ordonnancent l’espace entre écrans blancs, cadres transparents et figures géométriques diverses dont les fameux cercles de l’enfer qui se balancent étrangement dans les hauteurs scéniques.
À jardin, sur un panneau rectangulaire, la Divine Comédie est projetée en français, une parole magistrale déclamée en italien par la comédienne Cécile Saint-Paul, pleine de dignité, panache et réserve, à la fois. À cour, sur un panneau ovale, sont projetés de courts extraits de poèmes et de récits de Kafka que profère et chante cette fois, en allemand le concepteur talentueux Alexis Forestier. Les appareils électroniques sur roulettes,figurent la barque qui peut s’aventurer sur le Styx et dont le passeur est porteur d’une rame qui fouille dans les profondeurs caverneuses des dessous infernaux.
L’Enfer, situé au centre de la Terre, est forcément souterrain ; il renvoie les images d’un monde nocturne sans lumières, un gouffre fait de tourments, décidément nuisible aux vivants. Il s’agit de lieux énigmatiques dans lesquels se vautrent, dans la boue et la fange, les âmes perdues, les ombres éternelles que le promeneur écarte violemment des abords de sa barque.
L’épopée du poète est vertigineuse dans cette errance sylvestre sans fin  où le voyageur rencontre fantômes, silhouettes lugubres et formes évanescentes insaisissables. Les sons émis et les musiques, les refrains de ritournelles et de chansons énigmatiques, les solos déployés des deux chanteurs inspirés au milieu de morceaux de rock aux rythmes « endiablés », participent de l’envoûtement du spectateur. Faut-il quitter l’Enfer pour le Purgatoire ?
Purgatory party
nous y invite. L’ascension vers la montagne éternelle perdure, scandée de haltes douloureuses et de restes de souffrance. C’est un espoir pour les défunts coupables et respectueux de l’ordre divin enfreint. L’espace du Purgatoire apparaît comme une réserve, propice à l’appel du Paradis. Un tel moment d’expiation n’édulcore pas les visions « terrifiques » de l’Enfer, et les scènes désordonnées sur le plateau se multiplient, entre théâtre d’ombres, actes simulés de violence, improvisations de solistes acrobates : le chaos est remarquablement agencé dans ses bruits et ses fureurs.
C’est le temps du rêve et du songe qui travaille à la réconciliation de l’âme. L’épreuve s’accomplit loin des déchirements fantastiques de l’Enfer et des blessures de la vie humaine, une expérience attirée par l’envol vers la matérialité lumineuse de l’âme.
L’enclos et l’espace limités de la forêt tant enviée en forme de jardin seront-ils atteints ? Peut-on enfin parler de Paradise party ? L’amour désormais, en la personne de Béatrice, et non plus en celle de Virgile, figure de la poésie, accompagne le poète. Le Paradis semble dévasté par tous les obstacles rencontrés puis sublimés, une place dénudée et exposée aux projecteurs, des lumières extrêmes dont l’éblouissement constitue un nouveau danger pour le poète égaré et aveuglé face à une danse de flammes inattendues.
La pureté devient vertige dans sa splendeur céleste immatérielle : c’est un autre royaume des ombres – lumineuses, immaculées, divines et choisies – mais des ombres encore. « Les forces de l’homme ne sont pas conçues comme un orchestre. Ici au contraire tous les instruments doivent jouer, continuellement et de toutes leurs forces. Cela n’est d’ailleurs pas destiné à des oreilles humaines et la durée d’une soirée de concert… »
Tous les interprètes, musiciens, comédiens et chanteurs dont Julien Boudart et Antonin Rayon, s’en donnent à cœur joie dans cet Éden improbable, le temps d’une représentation. Un spectacle capharnaüm et tonitruant d’exigence et de qualité qui sonne durablement en chacun dans l’attente d’un paradis bien mérité.

Véronique Hotte

Théâtre de l’Échangeur, 59 avenue du Général de Gaulle 93170  Bagnolet. Réservations : 01 43 62 71 20. Intégrales (19h30) les 17,18, 20 décembre 2010, (17h) le 19 décembre. 1er et 2nd Volets (20h30), le 14 décembre. 3 ème Volet (20h30), le 16 décembre.

Sans la gaieté sans les amours tristement vous passez vos jours

Sans la gaieté sans les amours tristement vous passez vos jours,  d’après l’œuvre d’Henry Monnier, mise en scène de Patrice Bigel.

 

sanslagaite183.jpg C’est en tombant par hasard sur les morceaux choisis d’une édition de 1935 que nous avons découvert Henry Monnier ( 1799-1877), dit Patrice Bigel. Plus connu pour ce personnage de Monsieur Prudhomme le bourgeois parisien du milieu du 19ème siècle, à la fois bête et arrogant, (Monnier jouera plus de cent fois à l’Odéon) et par ses caricatures éditées en lithographies et et exposées dans la merveilleuse salle de cette ancienne tannerie/ maroquinerie, au beau plafond de briques, avec une foule de belles plantes vertes, et des bustes de plâtre installés sur une longue étagère, au dessus de la salle de spectacle.
Monnier, caricaturiste a écrit aussi des dizaines de petites pièces et qu’il a été acteur. Pas d’intrigues mais des dialogues ou monologues où il a capté, comme enregistré sur un magnétophone, ce qu’il entendait dans les cafés ou dans la rue. Ce sont des monuments de bêtise affligeante , d’opinions toutes faites , de banalités, de lieux communs qui n’ont sans doute rien à envier à ce que l’on peut entendre dans le métro quand les gens hurlent dans leur téléphone portable.
Bien entendu, au premier degré, cela n’a pas grand intérêt mais cette cascade de petites phrases à la limite de l’absurde, où le langage est parfois malmené, voire torturé, parce que ses personnages ne savent pas parler correctement, et qu’ils parlent pour parler, pour échapper à leur solitude et à leur mal-être, peut devenir savoureuse. Les textes sont d’une valeur très inégale. Mais, comme le remarquait Baudelaire que cite André Gide dans sa préface aux Morceaux choisis d’Henry Monnier: « C’est la froideur, la limpidité du miroir qui ne pense pas et qui se contente de réfléchir les passants ».
Mais Guitry avait  aussi beaucoup d’admiration pour Monnier et a même écrit une pièce sur lui.  Patrice Bigel a choisi  de faire travailler des petites scènes de Monnier  tirées de scène populaires comme l’esprit des campagnes, ou l’Eglise française tirées des Bas fonds de la société par quatre jeunes comédiens issus de son laboratoire de Choisy-le-Roi sur le mode ludique et pas vraiment réaliste. Il y a juste une scène nue avec des parois  et des praticables bleu foncé très intelligemment conçus par Jean-Charles Clair, que les acteurs font coulisser entre chaque scène, avec des musiques diverses ( Chopin, Phil Glass,etc…).     Les scènes n’ont pas toutes un intérêt immédiat et sont souvent connotées dans une époque qui n’est évidemment plus du tout la nôtre et quelques mots disparus de notre vocabulaire auraient gagnés à être traduits. Les quatres jeunes comédiens: Matthieu Beaudin, Mara Bjlejac, Sophie Chauvet et Karl-Ludweig Franciscu se tirent assez bien de cette mise en abyme que Patrice Bigel a, comme d’habitude, orchestré avec beaucoup d’intelligence et de  précision. Le spectacle est encore brut de décoffrage ( les acteurs surtout les filles parlent beaucoup trop fortpour cette petite salle, les interludes sont parfois inutilement longs, ce qui casse le rythme). Et le grand et bel espace de jeu toute en longueur  parait parfois un peu vide mais cela devrait se bonifier.
Alors à voir? Oui, si vous avez envie d’aller goûter ce que ces scènes nous révèlent plus d’un siècle après leur création: l’écoute d’une langue très différente selon les milieux sociaux ( par exemple truffée d’imparfaits du subjonctif pour les bourgeois, et d’une curieuse syntaxe pour les domestiques). Patrice Bigel nous convie à  une sorte de descente inédite dans un monde à jamais disparu mais finalement pas toujours aussi éloigné du nôtre où le langage sert de révélateur. Un monde pas vraiment couvert de bêtise crasse comme on aurait pu le soupçonner quand on entre dans la salle , mais simplement englué dans  un quotidien sordide où ce flux de paroles semble donner un semblant d’identité à tous ces êtres qui ont vécu avant nous et qui nous ressemblent si souvent…

 

Philippe du Vignal

 

 

 

Compagnie La Rumeur Usine Hollander 1 rue du Docteur Roux Choisy-Le Roi jusqu’au 19 décembre et 6 au 30 janvier les jeudi, vendredi samedi à 20 h 30 et le dimanche à 17 heures. T: 01-46-82-19-63

Le Fil à la patte

Le Fil à la patte de Georges Feydeau, mise en scène de Jérôme Deschamps.

unfillapattebrigitteengurandthumb400x26626757.jpg La pièce créée au Théâtre du Palais-Royal en 1994, est souvent brillante mais pas des plus faciles à monter. Il y faut une solide mise en scène pour que la mécanique des nombreuses situations comiques, fondée à la fois sur la surprise , le malentendu et la drôlerie du langage, puisse fonctionner.  Les trois actes se succèdent à un rythme rapide, avec de nombreux personnages.
Difficile de résumer toute la pièce bâtie sur une situation ingérable: les ennuis commencent pour Bois d’Enghien qui  a une maîtresse, Lucette Gautier, chanteuse de café-concert;  il la veut quitter pour un très riche héritière, la fille de la baronne Duverger qui, petit caillou dans les rouages, a justement engagé Lucette pour interpréter quelques chansons à la soirée  qui va suivre dans quelques heures la signature du contrat de mariage. Et Bois d’Enghien doit annoncer sa décision à Lucette après un déjeuner où sont conviés Cheneviette l’ex-mari toujours à court d’argent, Fontanet, un gros bonhomme à l’haleine très chargée, Nini une belle jeune femme qui a réussi à quitter la prostitution mondaine pour devenir comtesse.

Débarque alors, Bouzin, un compositeur et parolier raté et par ailleurs, clerc de notaire; minable, mal habillé et ridicule. Cela dit, il est quand même assez rusé et sans trop de scrupules pour faire croire qu’il qui a offert un luxueuse corbeille de fleurs à Lucette.. Où se trouve aussi une bague magnifique, ce qu’il ignorait, cadeau que le général sud-américain Irrigua, éperdu d’amour, a offerte à Lucette. Cet ex-ministre a été condamné à mort dans son pays pour avoir détourné une énorme somme destinée à acheter des bateaux militaires…
Bref, tous les ingrédients sont réunis pour faire surgir surprises, quiproquos, malentendus variés et rebondissements dans un monde où aucun des personnages de cette grande bourgeoisie n’a rien de sympathique. Et les catastrophes vont se succéder aux catastrophes.

Ils sont entraînés malgré eux dans une spirale infernale où l’argent, les placements et les beaux mariages sont à la fois le nerf de la guerre et le fondement même de l’action principale et des actions secondaires. Bois d’Enghien aime sans doute Lucette, encore que… Mais il n’est pas assez fortuné pour l’épouser. Nini a réussi à s’élever dans la société et à devenir comtesse. Elle n’a aucun scrupule et ici les mariages sont fondés sur un monde où le cynisme laisse peu de place aux sentiments amoureux. Feydeau, en parfait entomologiste, ne nous fait grâce de rien et ses dialogues sont à la mesure de cette loi de l’offre et du marché: « -Elle est jolie? – 64.000 livres de rente. – Même la beauté se vend mal  » …
Nous sommes dans une société marchande où chaque chose a un prix, ce dont les domestiques qui vivent dans un microcosme parallèle sont bien conscients et profitent aussi sans le moindre état d’âme. Quant à Bouzin, il appartient à cette catégorie de personnages burlesques chers à Feydeau, dont l’arrivée sur scène est une source de dérapages garantis. Pauvre hère mal habillé, il est interprété par Christian Hecq, merveilleux comédien dont les parrains sont à la fois Chaplin et Keaton pour la façon inimitable qu’il a de faire jouer son corps, et de Funès pour ses grimaces et roulements d’yeux. Et il y a cette incroyable descente/glissade d’escalier qui va sans doute devenir un moment d’anthologie dans le théâtre contemporain.

Jérôme Dechamps a respecté à la lettre les nombreuses et précises didascalies de Feydeau, et il a eu raison de ne pas tricher: la célèbre mécanique de Feydeau fonctionne à merveille grâce à un choix et à une direction d’acteurs impeccables. Il a compris aussi que ce n’était pas la peine d’accommoder Feydeau à la sauce Deschiens qui, ces derniers temps, n’était plus… de la première fraîcheur. Et, de toute façon, cela n’aurait rien donné. Mais il y a ce mêm grand savoir-faire: précision du jeu et des gags, rythme en crescendo jusqu’à la catastrophe finale: ici, le pauvre Bouzin tombe dans la cage d’escalier dans un bruit infernal et que l’on trouvait déjà dans La Veillée ou Lapin-Chasseur.
Tous les personnages sont justes: entre autres, Thierry Hancisse le général d’opérette, Guillaume Gallienne dans un double rôle: Cheneviette et Miss Betting, Dominique Constanza la baronne. Hervé Pierre ( formidable Bois d’Enghien,) Florence Viala (Lucette). Cela dit, Jérôme Deschamps aurait pu mieux les diriger vocalement, surtout au premier acte, où ils font un peu n’importe quoi et surjouent souvent. Et la diction, à ce moment précis, est loin d’être excellente!
Les trois décors de Laurent Peduzzi (le salon et la chambre pas vraiment réussis) et cet incroyable escalier du troisième acte facilitent les nombreux déplacements des comédiens réglés au cordeau comme toujours chez Jérôme Deschamps… Quelques bémols aussi du côté costumes: assez chargés et souvent luxueux pour les robes des femmes. Comme une bizarre envie de montrer, ce qui n’était pas indispensable. Macha Makeieff aurait sans doute mieux réussi les choses mais bon… .
C’est vraiment de la belle mécanique et du bel ouvrage et l’on se dit que , malgré les réserves indiqués plus haut, Georges Feydeau a bien fait de confier la mise en scène de sa pièce à Jérôme Deschamps: il était le mieux à même de mettre en action et en valeur cette incroyable galerie de personnages. Il y avait bien longtemps que les comédiens du Français n’avaient parus aussi heureux de jouer ensemble,( mention spéciale aux figurants du troisième acte qui sont , chose rare, eux aussi excellents ). Et cela donne unité et solidité au spectacle tout entier.

C’est toujours formidable de voir une troupe de théâtre au mieux de sa forme, et, du coup, l’on oublie le récent et pathétique Dario Fô ou  dans un autre genre, cette Andromaque ratée… Et l’on rit vraiment de bon cœur à cette farce grinçante imaginée par cet écrivain qui, à la fin de sa vie, sans doute bien seul, décida d’aller vivre à l’hôtel, puis mourut, psychiquement très diminué à la suite d’une syphilis…
En tout cas, ne ratez pas ce spectacle…On peut penser ce que l’on veut de la Comédie-Française qui n’est pas avare de spectacles décevants mais celui-ci est vraiment d’une grande qualité.

Philippe du Vignal

 Comédie- Française, Salle Richelieu, Paris ( II ème) en alternance jusqu’au 18 juin.

 

Cachafaz

Cachafaz, livret de Copi, musique d’Oscar Strasnoy, direction musicale de Geoffroy Jourdain, mise en scène Benjamin Lazar.

Ce projet est le fruit d’une véritable création collective qui implique toute une équipe  dans l’écriture de cet opéra contemporain… Comme le dit  Oscar Strasnoy : « C’est l’œuvre d’un dramaturge disparu trop jeune et d’un animal musical à cent ongles, cinq têtes, cinquante doigts et dix testicules : un chef, un metteur en scène, deux chanteurs et un compositeur ». Une « tragédie barbare », sous-titre d’une pièce qui devient , avec la musique d’Oscar Strasnoy, une « opérette décadente », imprégnée de rythmes  argentins : tango ou  payada (joute verbale poétique et rimée),  et truffée de références à l’opéra vériste, notamment La Tosca de Puccini. A travers les liens qu’elle tisse avec différents genres musicaux, cette pièce est  presque naturellement devenue un livret de cet opéra, qui a été créé  en novembre au Théâtre de Cornouailles, à Quimper.
Cachafaz se déroule dans un « conventillo » de Montevideo, un taudis où les immigrants des années 1920 s’entassaient et où  vit un couple, Cachafaz le pardo (métis) et la Raulito, travesti du quartier. Le couple se dispute , quand surgit un policier qui veut arrêter Cachafaz pour un vol de saucisse (bustifarra) qu’il cachait dans son caleçon. Le policier frappe à la porte et  les femmes du quartier crient alors leur haine envers Cachafaz, qui chante son couteau à la main : cachafazm.jpg« Avant qu’on ne me tue,  je veux/  savoir quelle est ton essence, / pour toi j’ai perdu l’innocence, / l’honneur et la vertu ! (…) Etaient-ce tes pas de tango ?/ Etait-ce ton air affectueux ? / Mais tu es entrée dans mon âme / habillée en pédé. »
L’action se précipite et Cachafaz finit par tuer le policier. Mais au lieu de l’enterrer, Raulito a l’idée d’en faire de la charcuterie et de nourrir ainsi les habitants affamés du conventillo. Commence alors un véritable commerce de viande humaine, accepté par les hommes du voisinage,  tandis que leurs femmes crient au scandale. Cachafaz semble être devenu insensible aux balles des policiers et les fantômes qui rôdent ne l’effrayent pas,  mais une fusillade lui sera fatale. Raulito l’accompagne dans la mort, après un dernier tango.
Dès les premiers mots , la patte de Copi se fait sentir, dans une écriture alliant crudité et humour. Pièce intime écrite dans un espagnol argotique d’Uruguay et d’Argentine, les pays d’enfance de Copi, où son lyrisme se déploie déjà de façon très musicale dans  la versification. Benjamin Lazar met en scène  le spectacle dans un décor fonctionnel d’Adeline Caron, avec  des estrades en fer et un premier étage suggéré par les torchons des taudis.
Dans la fosse, les huit musiciens de l’ensemble 2E2M dirigés par Geoffroy Jourdain et, à l’avant-scène, le logis où vivent  Raulito (Marc Mauillon) et Cachafaz (Lisandro Abadie), avec une porte pour toute séparation et des tas de torchons et de draps sur le sol. C’est le chœur de chambre Les Cris de Paris qui interprète les voisins et voisines. Adeline Caron a su  créé une une atmosphère  urbaine et misérable: la scène est à vue dès l’entrée du public, et l’on peut confondre les membres du chœur avec des spectateurs dont on se demande ce qu’ils font sur scène.
Quand  la musique commence, le chœur s’habille  et apparaissent  Raulito et Cachafaz, jusqu’alors dissimulés sous des draps. Les solistes, tous deux barytons, (basse pour Cachafaz et baryton léger presque ténor pour Raulito), nous offrent une partition remarquable. Marc Mauillon est crédible dans le transsexuel Raulito,  et  Lisandro Abadie avec ses beaux graves et son look mal rasé correspond au macho sud-américain, tel que l’on peut l’imaginer.
Cette création est un authentique opéra dans une forme contemporaine… Cachafaz va dépècer le corps du policier (une marionnette) et en retire des reins sanglants, et, au deuxième acte, quand le commerce de viande humaine s’est développé, une véritable odeur de porc grillé envahit la salle Favart ! La musique d’Oscar Strasnoy est toujours très expressive, avec des passages croustillants comme la référence à L’Air du Catalogue de Leporello dans  Don Giovanni, interprété par un(e) Raulito aux anges qui compte les morceaux de viande des policiers assassinés ! Benjamin Lazar et Geoffroy Jourdain, qui avaient déjà co-écrit La, la, la – opéra en chansons, s’associent à Oscar Strasnoy pour créer un opéra à la fois déjanté et savoureux. On en redemande.

Davi Juca

A l’Opéra-Comique, les 13 et 14 décembre à 20h.
Puis à la Maison de la Culture de Bourges-Scène Nationale le 11 janvier 2011 et à l’Opéra-Théâtre de Saint-Etienne le 20 janvier 2011.
Spectacle également retransmis sur France Musique le 24 janvier à 20h.

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