Divine Party
Divine Party, musique, mise en scène et scénographie d’ Alexis Forestier.
Chronologiquement, tout commence en cette intégrale par l’Enfer. C’est un rappel du premier volet de la Divine Comédie de Dante, qu’ Alexis Forestier, revisite tambour battant en créant son Inferno party à lui : « Au milieu du chemin de notre vie/ je me retrouvais dans une forêt obscure/ car la voie était perdue ». Cette forêt obscure reflète l’image du monde temporel qui n’a pas reçu la lumière divine, une allégorie de la chute et de l’échec de l’homme. Sur le plateau, des appareils électroniques diffuseurs de sons et de musiques ordonnancent l’espace entre écrans blancs, cadres transparents et figures géométriques diverses dont les fameux cercles de l’enfer qui se balancent étrangement dans les hauteurs scéniques.
À jardin, sur un panneau rectangulaire, la Divine Comédie est projetée en français, une parole magistrale déclamée en italien par la comédienne Cécile Saint-Paul, pleine de dignité, panache et réserve, à la fois. À cour, sur un panneau ovale, sont projetés de courts extraits de poèmes et de récits de Kafka que profère et chante cette fois, en allemand le concepteur talentueux Alexis Forestier. Les appareils électroniques sur roulettes,figurent la barque qui peut s’aventurer sur le Styx et dont le passeur est porteur d’une rame qui fouille dans les profondeurs caverneuses des dessous infernaux.
L’Enfer, situé au centre de la Terre, est forcément souterrain ; il renvoie les images d’un monde nocturne sans lumières, un gouffre fait de tourments, décidément nuisible aux vivants. Il s’agit de lieux énigmatiques dans lesquels se vautrent, dans la boue et la fange, les âmes perdues, les ombres éternelles que le promeneur écarte violemment des abords de sa barque.
L’épopée du poète est vertigineuse dans cette errance sylvestre sans fin où le voyageur rencontre fantômes, silhouettes lugubres et formes évanescentes insaisissables. Les sons émis et les musiques, les refrains de ritournelles et de chansons énigmatiques, les solos déployés des deux chanteurs inspirés au milieu de morceaux de rock aux rythmes « endiablés », participent de l’envoûtement du spectateur. Faut-il quitter l’Enfer pour le Purgatoire ?
Purgatory party nous y invite. L’ascension vers la montagne éternelle perdure, scandée de haltes douloureuses et de restes de souffrance. C’est un espoir pour les défunts coupables et respectueux de l’ordre divin enfreint. L’espace du Purgatoire apparaît comme une réserve, propice à l’appel du Paradis. Un tel moment d’expiation n’édulcore pas les visions « terrifiques » de l’Enfer, et les scènes désordonnées sur le plateau se multiplient, entre théâtre d’ombres, actes simulés de violence, improvisations de solistes acrobates : le chaos est remarquablement agencé dans ses bruits et ses fureurs.
C’est le temps du rêve et du songe qui travaille à la réconciliation de l’âme. L’épreuve s’accomplit loin des déchirements fantastiques de l’Enfer et des blessures de la vie humaine, une expérience attirée par l’envol vers la matérialité lumineuse de l’âme.
L’enclos et l’espace limités de la forêt tant enviée en forme de jardin seront-ils atteints ? Peut-on enfin parler de Paradise party ? L’amour désormais, en la personne de Béatrice, et non plus en celle de Virgile, figure de la poésie, accompagne le poète. Le Paradis semble dévasté par tous les obstacles rencontrés puis sublimés, une place dénudée et exposée aux projecteurs, des lumières extrêmes dont l’éblouissement constitue un nouveau danger pour le poète égaré et aveuglé face à une danse de flammes inattendues.
La pureté devient vertige dans sa splendeur céleste immatérielle : c’est un autre royaume des ombres – lumineuses, immaculées, divines et choisies – mais des ombres encore. « Les forces de l’homme ne sont pas conçues comme un orchestre. Ici au contraire tous les instruments doivent jouer, continuellement et de toutes leurs forces. Cela n’est d’ailleurs pas destiné à des oreilles humaines et la durée d’une soirée de concert… »
Tous les interprètes, musiciens, comédiens et chanteurs dont Julien Boudart et Antonin Rayon, s’en donnent à cœur joie dans cet Éden improbable, le temps d’une représentation. Un spectacle capharnaüm et tonitruant d’exigence et de qualité qui sonne durablement en chacun dans l’attente d’un paradis bien mérité.
Véronique Hotte
Théâtre de l’Échangeur, 59 avenue du Général de Gaulle 93170 Bagnolet. Réservations : 01 43 62 71 20. Intégrales (19h30) les 17,18, 20 décembre 2010, (17h) le 19 décembre. 1er et 2nd Volets (20h30), le 14 décembre. 3 ème Volet (20h30), le 16 décembre.