Gabriel Monnet
Gabriel Monnet, 1921-2010.
Il est décédé brutalement ce dimanche 12 décembre au matin, Gabriel Monnet – beaucoup d’entre nous l’appelaient amicalement « Gaby » – était bienveillant, toujours présent, plein d’humour et d’élan, à presque quatre vingt dix ans, pour intervenir, lire, soutenir, encourager. Il devait se produire cette semaine dans un spectacle mis en scène par Georges Lavaudant.
Gabriel Monnet, généreux partageur, aura rayonné comme comédien, metteur en scène et animateur, menant à bien trois grands projets novateurs de service public en province. Il fut un rassembleur d’équipes, d’artistes. Il sut créer, organiser, dynamiser des réseaux de spectateurs enthousiastes. En témoignent les liens d’amitié restés vifs tout au long de sa vie avec ses coéquipiers, ses comédiens, les amis qu’il s’était faits dans tous les lieux qu’il a dirigés. Il a pris à bras le corps le projet de la décentralisation, inscrivant cette utopie dans la réalité, à travers des difficultés de toutes sortes, n’hésitant pas à dire non aux politiques quand il le fallait. Il savait s’engager à fond sur ses « oui » et ne pas tergiverser sur ses « non ». Initié au théâtre par son père, comédien, il participe tout jeune à la Résistance du maquis du Vercors.
Il restera fidèle à cet esprit, préférant la droiture des actes et des paroles au confort de la notabilité. A la Libération, il est formateur d’art dramatique pour « Peuple et Culture » à Annecy. Jean Dasté, envoyé par Jeanne Laurent en mission pour créer le premier Centre Dramatique National initialement prévu à Grenoble, sympathise immédiatement avec Gaby, jeune relais dynamique qui organise la venue du public d’Annecy et met en scène des spectacles.
C’est à ce moment-là que Gabriel Monnet rencontre Michel Vinaver, jeune auteur, qui écrit pour lui Les Coréens. En 1957 Monnet rejoint la troupe de Jean Dasté qui, entre temps, a trouvé son point d’ancrage à Saint Etienne. Il y reste jusqu’en 1961, comme acteur, metteur en scène et animateur. En 1961 il répond à la proposition de diriger le théâtre de Bourges et d’inventer la première Maison de la Culture. Elle sera ouverte en avril 64, inaugurée par le Général de Gaulle et André Malraux dont le discours prononcé à cette occasion est resté célèbre.
Ecoutons Gabriel Monnet :«Durant l’hiver 1960, un journaliste ami venu voir Oncle Vania que j’avais mis en scène chez Jean Dasté à Saint Etienne m’avait demandé : Que vas-tu faire à Bourges ? Il n’y a rien … J’y vais parce qu’on me dit qu’il n’y a rien …A Bourges, nous avons commencé en 1961. Commencé quoi ? Recommencé seulement à vivre selon nous-mêmes, à raviver parmi nous un regard attentif : appelons cela le Théâtre.Cette année-là, personne, je dis bien personne – y compris parmi ceux qui gardaient la mémoire des expériences culturelles de 1936 à Paris – ne savait à quoi pouvait ressembler une « maison de la culture ». Concept ? Edifice ? Institution ? Moi-même je n’en avais aucune idée.
Pierre Potier, devenu conseiller municipal, m’avait d’abord offert de succéder au gérant du théâtre municipal parti à la retraite. J’avais refusé, soulignant que mon métier ne voulait pas un bureau mais une scène. L’ami Pierre se débrouilla pour convaincre le Maire d’expérimenter les chances d’une troupe professionnelle placée sous ma direction. Si tout marchait bien on pourrait installer la troupe dans l’édifice en briques rouges qui se dressait, vide et inachevé, au centre la ville … Cette construction était au-dedans un « théâtre » aux proportions aberrantes : de vertigineux gradins dévalaient sur une scène étroite, sans cintres ni coulisses … je conditionnais notre venue à la promesse que l’édifice serait rendu praticable.
C’est à la Comédie de Saint Etienne où je travaillais auprès de Jean Dasté que l’avenir se mit à clignoter. J’avais confié l’étude de notre problème à Bernard Floriet, directeur technique de la Compagnie. C’est lui qui eut l’idée décisive (elle eut des conséquences partout) de couper l’espace en deux dans le sens de la hauteur et de dégager ainsi deux salles, une grande et une petite, offrant du même coup les possibilités d’un travail théâtral diversifié …
Je voulais que le théâtre cessât d’être une clôture, un envers des murs, un lieu séparé de tous les autres. Je le rêvais ouvert le jour comme le soir, environné de lieux également ouverts, destinés aux disciplines dont il fait son pain : littérature, arts plastiques, musique, animées par leurs spécialistes, équipé de machines nées de lui : le cinéma, la vidéo. Je rêvais d’un lieu théâtral puissant, déplié, visiblement relié à tout ce qui est susceptible d’alimenter, de relancer sa perpétuelle exploration des conduites et des langages des hommes …
Je pensais, je disais que nous n’étions que les habitants d’une maison trouvée, les ouvriers d’une transition … qu’il fallait inventer d’autres maisons ouvertes de la peinture, de la littérature, de la musique, du cinéma, qu’il fallait même imaginer des « maisons sans murs », des villes de la culture, les villes elles-mêmes, comme autant de capitales structurées par la rencontre quotidienne des disciplines humaines des artistes, des savants, des travailleurs, des rêveurs, des citoyens, petits et grands …»*
En 1969, il quitte Bourges, en solidarité avec son équipe. Avec une grande partie de ses collaborateurs qui le suivent, il fonde le Théâtre de Nice qui deviendra Centre Dramatique National. Nouvelles amitiés, nouvelle construction, nouvelles luttes. Départ en 1975 suite à des désaccords avec le Maire de Nice. Il revient à Grenoble où il dirige le Centre Dramatique National des Alpes. Il propose à Georges Lavaudant, jeune metteur en scène, la codirection puis lui passe le relais en 1981. Depuis, il poursuivait le jeu, les lectures en public, l’écriture, la mise en scène. Il cultivait son jardin et ses amitiés. Il aura mis en scène Tchekhov, Sophocle, Molière, Shakespeare, Pirandello, les plus grands, et créé des auteurs de son temps : Jacques Audiberti, Serge Valletti.
Il a joué sous la direction de Jean Dasté, Georges Lavaudant, Bruno Boëglin, Jacques Nichet.
Ses obsèques ont eu lieu ce mercredi, à 15 heures, dans l’église de son village à Saint-Bauzille-de-Montmel près de Montpellier. Toutes nos amitiés à sa fidèle compagne Monnette, à sa famille, ses amis, à tous ceux, nombreux, qui ont travaillé avec lui. Pensons aussi à lui avec reconnaissance et faisons vivre son esprit. Des hommages auront certainement lieu. Informations: Association Double-Cœur à Bourges.
Evelyne Loew
*Texte de Gabriel Monnet cité dans le livre de Georges Patitucci, Au cœur de la ville, au cœur du temps, éditions Double-Cœur.