JAZ

Jaz de Koffi Kwahulé, mise en scène, conception du décor et costume Kristian Frédric

 jazmedia26.jpg Kristian Frédric devient un habitué de la scène de la région Montréal-Ottawa avec  Koltès (la Nuit juste avant les forêts où Denis Lavant hurlait sa douleur comme un fauve) et de Kwahulé (Big Shoot- une mise à mort livrée à une foule avide du spectacle de la souffrance). Ce metteur en scène qui livre des textes  peu rassurants  à un public habitué au divertissement, récidive avec Jaz, une pièce de Koffi Kwahulé qui déchire tous les voiles sur nos grandes collectivités urbaines.
Créé en 1998 dans une mise en scène de l’auteur, le texte est pris en charge cette fois-ci par une équipe de techniciens très au fait des moyens électroniques les plus perfectionnés de la mise en scène sonore et visuelle. Mais une technologie avancée ne garantit pas nécessairement la réussite au théâtre.

Jaz, par la sonorité de son titre, nous renvoie à la musique douce, sensuelle, rythmée et surtout improvisée, aux « riffs » des musiciens de jazz américains dont la diversité des sonorités rivalise avec les voix des chanteurs. Mu par une rythmique de jazz mais sous l’impulsion d’une émotion beaucoup plus violente, le personnage qui dit ce monologue, raconte, à un premier niveau, un récit presque insupportable qui dépasse de loin les plaintes existentielles des chanteurs de blues.
Il s‘agit du viol d’une femme dans une sanisette. Ainsi réduite à un déchet puant, elle raconte la trajectoire de son abjection, qui passe par l’expérience antérieure d’une amie qui n’a pas survécu à sa honte. Le metteur en scène Kristian Frédric accompagne ce cri de douleur et de colère d’un nouveau langage sonore, l’incarnation des bruitages de la vie urbaine actuelle : explosions visuelles et sonores produites par un équipement électronique dernier cri : écrans de télévisions, lumières stromboscopiques aveuglantes, appareils de sonorisation produisant tous les bruitages quotidiens des grandes villes industrielles.
Trois constructions métalliques en forme de croix, transforment l’espace du théâtre des Deux Mondes à Montréal en un Golgotha techno-industriel – un dispositif scénique presque « dangereux ». Crucifié sur un grand rectangle – en forme de civière métallique, grinçante et vrombissante, comme une grosse machine robotisée, le corps secoué et meurtri de cette femme attachée à la civière, tourne sur lui-même. Ce mouvement est accompagné de trois écrans allumés au fond de la scène dont les éclairs se succèdent à un rythme soutenu. Les images lumineuses projettent des « signes » hermétiques, des hiéroglyphes en folie, des bouts de phrase ou des fragments d’un monde en train de se désintégrer.
Ligotée sur la croix comme une figure crucifiée, le personnage hurle son texte. Elle nous dit qu’elle n’est pas là pour parler d’elle mais de Jaz. Pourtant, Jaz se trouve devant nous et la comédienne qui l’incarne, la puissante Amélie Cherubin-Soulières , raconte le calvaire de son ami Oridé mais aussi son propre calvaire, soit celui de Jaz, celle dont la narratrice ne plus assumer le nom, tellement ce rituel d’abjection et de honte l’ont aliénée de son être dans le monde.
Kristian Frédric qui connaît très bien les rituels de pouvoir symbolisé par le théâtre de Koffi Kwahulé (dont Big Shoot était exemplaire), inscrit cet espace de trauma dans une forme allégorique où la sacrifiée désacralisée assume la douleur de toutes les suppliciés de la terre,( victimes de génocides, de guerres, de honte et d’exterminations de toutes origines). Frédric cherche à créer un dialogue entre le récit quasi liturgique de cette rencontre entre un homme et une femme dans un monde en putréfaction, et un dispositif scénographique où les bruitages assourdissants crient la souffrance des exclus de la ville moderne. Le résultat est tout aussi fort  qu’insatisfaisant.
La comédienne incarne la résistance et la dignité de l’être humain, représentées par une femme plus grande que la vie, une force qui exsude une présence presque mythique devant la puissance de la machine. La richesse de sa voix, l’expressivité d’un corps deviennent ses armes devant l’envahissement déshumanisant de ces excréments laissés par la confrontation qui bouleversent les sociétés contemporaines.
L’auteur, par la bouche d’une femme qui vit dans ce qui ressemble à une cité des grands centres urbains, raconte dans le cadre d’une quasi parabole, l’horreur de cette vie vécue aux marges du développement industriel. Le texte évoque les êtres rampant dans ses déchets, une maison submergée de matière fécale ou la lèpre , les wc bouchés, les immondices et la crasse s’associent aux fonctions les plus intimes de ces corps qui s’enfoncent dans les jouissances fécales et sexuelles. Ces images d’un baroque contemporain agressent les spectateurs et donne envie de se boucher les oreilles :le bruit, comme les images , sont insupportables.
Le metteur en scène qui est aussi le concepteur du décor et qui a travaillé étroitement avec son équipe de techniciens québécois, ( Simon Laroche pour la robotique et la vidéo ;  Yves Dubé pour la vidéo;  Michel Robidoux pour la conception sonore et la musique s’est laissé emporter par la scénographie, trop souvent au détriment du jeu et du texte.
Pendant la moitié du spectacle, qui  dure 75 minutes, les paroles de la comédienne étaient presque incompréhensibles tant les bruits étaient assourdissants et les lumières aveuglantes. Nous avons donc perdu presque 40 % du texte. Le « mix » a mis en valeur les bruitages, les coups forts qui ponctuaient les mouvements soudains et violents de la civière tournante qui torturaient la femme, éclairée surtout par des flashes émanant des écrans de télévision. La visée première était sûrement la nature physique de cette douleur, cette souffrance et l’offrande « physique » que la comédienne faisait de son corps. Mais une telle intervention technologique a fait du tort au texte  bien assez  fort  pour exister tout seul: les images évoquaient une rencontre sordide et une honte qui allaient au -delà de tout ce que ces tremblements sonores et ces images pouvaient nous livrer. Le résultat était assez frustrant.
Sur la fin, au moment où la fonction rédemptrice de cette sacrifiée, reconnue par son bourreau, est mise en valeur par la réaction forcenée de son agresseur, le bruitage le volume sonore se réduit, les effets visuels se calment et nous avons pu enfin voir le visage de la comédienne et apprécier la grande force de son jeu, presque oblitérée dans la première partie du spectacle.
Le spectacle, tel qu’il a été présenté, doit être repensé. A cause d’un déséquilibre entre la technologie, la comédienne et le texte ; et cela met en cause la dramaturgie de ce grand écrivain qui est en passe de construire une œuvre théâtrale importante. Jaz va maintenant tourner en France. Reste à savoir comment le spectacle évoluera par la suite.

Alvina Ruprecht

 Création mondiale au Théâtre des Deux Mondes (Montréal) et la Cie Lézards qui bougent (France). Tournée en France en 2011 et d’abord à la Scène nationale de Bayonne du 24 au 18 janvier.T: 05 59 55 85 05

 


Archive pour 31 décembre, 2010

Festival Dépayz’arts la Seine-et-Marne en festival

Festival Dépayz’arts la Seine-et-Marne en festival

slav1008.jpgDu 27 au 31 décembre le Conseil Général de Seine-et-Marne offre au public une série de spectacles gratuits, à travers son Festival Dépayz’arts pour sa seconde édition. Slava Polunin avec Snowshow ( voir article du 30 novembre 2009 ), est joué à la Ferme du Buisson. Slava offre une autre manifestation atypique aux spectateurs.

En 2002 sur les bords du Grand Morin, il fait l’acquisition d’un ancien moulin à l’abandon.  Avec ses artistes, il  transforme le lieu en résidence de vie et de création, et le baptise le «  moulin jaune » en référence au clown qui l’a créé. Trois nuits de suite le public a eu le privilège de découvrir ce lieu grâce à une visite guidée propice aux délires artistiques : le Slava’s Snowhome. Accueillis par une tempête de neige, les spectateurs déambulent dans le parc, des apparitions de personnages surréalistes les guident vers le lieu central entre les deux bâtiments du moulin où un concert est organisé.
Une intense émotion envahit le public quand une violoniste entame une musique nostalgique et envoûtante. Puis suivent des airs de balalaïka et trois guitaristes espagnols dont la musique est peu adaptée à la magie du lieu. Ensuite,  le public repart pour découvrir le Snowshow à Noisiel. A raison de deux séances par nuit, cette déambulation artistique a reçu 200 spectateurs environ par soir. Il faut souligner la remarquable organisation des volontaires du conseil général, des bénévoles de la région et des vingt  artistes de Slava qui a permis cette belle surprise en complète sécurité au bord de la rivière. L’esprit, la magie et la folie russe sont au rendez-vous.

Jean Couturier

Slava Snowshow  est retransmis à 20h45 sur Arte aujourd’hui 31 décembre.

 

www.depayzarts.com

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