Trois sœurs

Petite forme, grand theâtre (2)

Trois sœurs , à l’Atalante

ts0141.jpgLe Russe Iouri Pogrebnitchko en est à sa troisième ou quatrième (ou plus ??) version des Trois sœurs ; la première, c’était avec Iouri Lioubimov en 1981. Il dirige le petit Théâtre Okolo (nom qui signifie : pas très loin… de la maison de Stanislavski – ce qui est sa définition topographique à Moscou) ; celui-ci a brûlé il y a quelques années. Il n’est toujours pas restauré. Comprenant que rien ne bougerait de sitôt, à cause des intérêts immobiliers (son théâtre est situé dans le centre de Moscou), Pogrebnitchko a investi la salle de répétition, au fond de la cour derrière son théâtre, en a fait La Stalla , a adapté le répertoire et crée ses nouveaux spectacles dans cet espace minuscule. Mais Pogrebnitchko peut mettre en scène sur plus petit encore. Il est en ce moment à L’Atalante avec ses Trois sœurs et ses seize acteurs, il s’est coulé sur le tout petit plateau, réaménageant le dispositif : plaques de tôle de tôle rouillée, longue table, placée non plus dans la profondeur de la scène, mais dans sa largeur, poutre incongrue, parfois suspendue, bout de rideau de dentelle, étagère avec roses séchées, et câble qui traverse la scène, nous séparant légèrement des acteurs. D’ailleurs s’il le fallait, il pourrait mettre en scène sur un mouchoir de poche, il a le théâtre chevillé à l’âme. Son théâtre est un théâtre de résistance dans tous les sens du terme.

Le spectacle de Pogrebnitchko est à Paris pour trois jours, courez-y : c’est ce soir et demain, samedi à Brétigny sur Orge, et la semaine prochaine – et pour une semaine – à Genève, au Théâtre Saint-Gervais, où l‘univers de Pogrebnitchko, toujours le même avec des variations subtiles et dérangeantes, n’effraie pas dans sa répétitivité apparente les programmateurs. Cette fois, Les Trois sœurs du Théâtre Okolo sont comme hantées par trois courtes apparitions, trois fantômes en manteau militaire rebrodés de dentelles, trois femmes froufroutantes dans la pénombre : trois « anciennes » soeurs (elles jouaient d’ailleurs dans la seconde version scénique de la pièce, elles ont vieilli) boivent le thé en silence, tandis qu’une jeune troupe investit tous les rôles si connus, les joue sans incarnation, joue avec nos images, nos représentations, sans toutefois jouer toutes les scènes, même les plus attendues, et en mélangeant ou déplaçant les répliques. Les jeunes visages de ces acteurs et actrices sont magnifiques, ils nous regardent souvent, avec insistance, avec attention, comme déjà d’ un autre monde.

ts017.jpgOn dirait parfois que, dans leurs tonalités gris, beige, brun et sépia, les images de ce spectacle sortent des tableaux du peintre Boris Zaborov. Des fragments de musique, populaires, tziganes, nous parviennent, éraillés ; la nounou chante, et par les paroles et les tonalités de sa chanson au début et à la fin du spectacle, elle ouvre l’espace minuscule sur l’immensité russe. Tout en scène parle de séparation et du temps, on y montre le temps qui passe, qui est passé et qui passera. Objets, visages, costumes et gestes sont comme patinés, aucun cri, aucun éclat de voix, mais une fluidité légère qui dans son indifférence serre le cœur et fait sourire. Pourtant Irina porte une perruque rousse, le metteur en scène expose ses trucs empruntés au « théâtre de foire » et dénoncés par Féraponte. La neige est faite avec une boule de miroir qui tourne – « Où est le sens ? » dit Touzenbach chez Tchekhov en voyant les flocons tomber… Les couches de l’histoire du théâtre, de la troupe d’Okolo, se mêlent comme celles de nos vies. « Tout est égal », et nous savons – on joue cette pièce depuis si longtemps et si souvent – dès le début du spectacle que Touzenbach sera tué. Mais le bruit de bottes des militaires qui, dans un dernier gag, quitte la ville n’augure rien de bon.

Béatrice Picon-Valin

Photos du spectacle de Moscou

 

Théâtre de l’Atalante jusqu’à vendredi 10 décembre et samedi à Brétigny-sur-Orge.


Archive pour décembre, 2010

CŒUR DE CIBLE

CŒUR DE CIBLE  

D’Agnès Marietta, mise en scène Michel Marietta, compagnie Travaux publics
Agnès Marietta accompagne depuis plusieurs années avec ses textes, les travaux du Théâtre de l’Usine d’Éragny, animé par Hubert Jappelle. Nous y avions vu un joli spectacle pour enfants dont elle était l’auteur, Moi-moi l’enfant roi qui avait réjoui les deux petits garçons qui nous accompagnaient.
Cœur de cible
fait partie d’un triptyque intitulé Intérieur(s) couple regroupant trois pièces d’Agnès Marietta qui avait commencé par Comme du verre brisé présenté trois fois au Théâtre des Arts en novembre, il sera suivi par Suite parentale en janvier au Théâtre de l’Usine. Cette suite de tableaux sur l’usure du désir au sein de couples de français moyens, dont la femme a élevé ses enfants et se remet à vivre une liberté retrouvée dans son travail ne manque pas de charme.
Il y a une vérité dans les impossibles retrouvailles amoureuses entre un mari excité par sa femme qui se remet sur le marché du travail et de l’amour, qui cherche ailleurs le plaisir, l’infidélité du beau-frère de 50 ans fier de son aventure avec une jeune fille de 20 ans. Mais on est un peu gêné par la pauvreté du décor et des ponctuations musicales.

Edith Rappoport

Théâtre des Arts de Cergy

Intérieur(s) couple 3e volet du 14 au 23 janvier 2011 Théâtre de l’Usine Éragny sur oise Tél : 01 30 37 01 11

As you like it de Willaim Shakespeare, mis en scène de Cendre Chassane

As you like it de William Shakespeare, traduction de Pascal Collin, mise en scène de Cendre Chassanne

On avait pu découvrir Cendre Chassanne avec Ginette Guirolle, un spectacle de bar créé avec Anne Bitran de la compagnie des  Rémouleurs, qui avait écumé avec succès nombre de cafés, notamment en Avignon, pendant le festival. L’Histoire du soldat avait suivi, spectacle insolite d’objets, des mêmes Rémouleurs à Fontenay-aux-roses. Avec sa compagnie Barbès 35 créée en 2002, Cendre Chassanne avait entamé un parcours au Théâtre Jean Arp de Clamart où elle avait créé Le Triomphe de l’amour, puis Histoire du communisme racontée aux malades mentaux (voir Le Théâtre du blog). As you like it vient d’être monté dans le cadre d’une nouvelle résidence artistique au Théâtre Paul Éluard de Choisy-le-Roi où la compagnie déploie un important travail d’action culturelle.

La pièce a pour thème les combats de frères ennemis, un duc ayant détrôné l’autre qui s’est réfugié dans la forêt des Ardennes, le cadet ayant été dépossédé de son héritage par son frère aîné. Heureusement, l’amour des deux cousines Rosalinde et Celia, filles des ducs, triomphera des luttes fratricides. Dix acteurs  jouent à un train d’enfer, sur un plateau nu, dans une forêt de cordes, maniant à vue des travestissements ironiques. La magie de la forêt finira par réconcilier les frères grâce à la séduction de Jacques par Rosalinde qui se travestit en homme pour fuir dans la forêt avec sa cousine, laquelle séduit à son tour Olivier, le frère aîné. Il y a un beau travail de troupe, dans un aller et retour entre la salle où les comédiens se réfugient pour changer d’identité, et la scène où l’on peut voir les travestissements à vue. Ce sont les femmes, nous dit le grand Will,  qui détiennent les clefs de l’amour…

Edith Rappoport

Théâtre Berthelot à Montreuil jusqu’au 6 décembre.
Puis tournée dans toute la France contact Barbes35.public@gmail.com
T. : 01 70 07 24 90.

Docteur Faustus

Docteur Faustus, de Christopher Marlowe, traduction Jean-Louis Backès, mise en scène Victor Gauthier-Martin

       faustus.jpgSi l’on cherche le personnage moderne, c’est lui, Faust, personnage historique né à la Renaissance, entré aussitôt dans la légende, grâce à Christopher Marlowe, entre autres. Un homme comme ça ne peut apparaître que dans un monde en pleine interrogation sur lui-même, en plein défi. Il ne faut pas oublier que les “lumières“ de la Renaissance brillent sur un monde particulièrement fasciné par le savoir et par la magie ; jamais il n’y eut un tel bond en avant de la science et tant de procès en sorcellerie. Faust est le prototype du “savant fou“, toujours frustré de ne pas atteindre le fond du savoir – mais quel fond - ? Il est aussi le modèle du “trader“, cherchant la puissance dans la fabrication perpétuelle d’un or virtuel. Quand il vend son âme, il s’arrange pour ne pas payer. À moins qu’il ne soit que le terrain de jeu d’un bras de fer entre Dieu et le Diable, Dieu tenant par principe à récupérer une âme, sans être trop regardant sur ce qu’elle vaut, Lucifer restant, quand même, “porteur de lumière“. La représentation prend soin de ne pas trancher.

C’est ce qui fait la réussite du Docteur Faustus : Victor Gauthier-Martin a placé son Faust dans un XXIe siècle fantasmé depuis longtemps par la science-fiction. Il joue avec les images – une espèce de fauteuil de dentiste, avec ce que cela comporte de confort hautement technologique et de peur –, et avec l’efficacité de cette même technologie : micro-caméras, écrans et pixels, incrustations d’images…, brouillent les limites entre le virtuel et le réel.

Il a surtout choisi, au milieu d’une bande de bons jeunes comédiens, le Faust idéal. Philippe Demarle fait partie de ces quelques acteurs capables de garder une jeunesse éternelle et d’incarner en même temps l’extrême vieillesse. Fin, agile, un coup éclairé par la blondeur de l’enfance, un coup pâli par les ans, il nous donne un Faust sans âge, ou qui les a tous, selon son désir. Le projet faustien n’est pas d’échapper au temps, mais de s’en libérer. Ce n’est pas tout à fait la même chose, nous est-il suggéré avec une ironie subtile. On est là bien au-dessus de la boutade sur notre société “jeuniste“ où l’on voudrait « vivre vieux et mourir jeune » : la liberté, c’est autre chose. Tiens, on aurait envie de l’écrire avec une majuscule.

Et pourtant c’est une liberté sans illusions : la chair est triste, et Faust a testé toutes les machines…

 

Christine Friedel

A voir au Théâtre de la Ville -Théâtre des Abbesses du 8 au 18 décembre

Dans la joie et la bonne humeur

Dans la joie et la bonne humeur (ou comment cultiver un helicobacter pylori), de Sylvain Levey, mise en lecture par Pierre Vincent

fce34c0779c0b16d7.jpgLes associations aussi sont mortelles : faute du renouvellement de ses subventions, l’Aneth (aux nouvelles écriture théâtrales) est contrainte de fermer boutique. Que vont devenir la collection unique de tapuscrits, les « antennes » décentralisées, les actions qui ont mis en relations tant de nouveau auteurs avec les professionnels et le public ? Quelques wagons vont se rattacher à d’autres associations, au CNT (centre national du théâtre), mais il faudra bien que quelqu’un ou quelques-uns reprennent l’affaire en main, sous une nouvelle forme, dans des conditions plus difficiles.

En attendant, cette dernière soirée de lecture fut acide et joyeuse, seul moyen ou presque d’être d’un pessimisme tonique. Sylvain Levey, acteur et auteur, s’est “penché“ sur le monde de l’entreprise et s’est amusé – oui, oui – à en montrer et à en tirer les ficelles. Formée d’une suite de courts tableaux, qui portent chacun un titre – on voit déjà la projection sur écran -, la pièce suit quand même le parcours de Brunon, jeune cadre dynamique amoureux de sa femme, mangé de plus en plus par l’entreprise, poussé vers la fonction dont personne ne veut de DRH et donc condamné à licencier. Il en a mal au ventre, c’est ça, le fameux hélicobacter, la bactérie responsable de l’ulcère à l’estomac. Le stress au travail troue les vies, et on ne s’en rend même pas compte. On est complice et victime, et quand on s’aperçoit de l’un et de l’autre, il est trop tard.
Sylvain Levey dit avoir voulu écrire une “comédie de boulevard “. Disons tout simplement que c’est  une comédie moderne, comme il n’est pas le seul à en écrire, au langage piqué sur le vif et copié-collé de ce qu’on entend autour de soi. Pas de personnages à proprement parler, mais des figures, une BD du monde d’aujourd’hui : Le jeune couple, La quinquagénaire (virée, évidemment), Le repreneur étranger… C’est bien vu et ça va vite.
Une bonne soirée, comme on dit, et en plus, on n’en ressort  pas mort idiot.

Christine Friedel

 

Avec la Compagnie Issue de Secours, qui créera la pièce à la Ferme Godier (Villepinte) les 10, 11 et 12 février 2011; et à Paris, du 1er au 31 mars 2011 à la Boutonnière.

Les pièces de Sylvain Levey sont publiées aux éditions Théâtrales.

 

nach moskau

Nach Moskau d‘après Les Trois Sœurs et les Paysans de Tchekov, mise en scène de Frank Castorf.

 

  Confrontant Les trois sœurs et Les Paysans, Nach Moskau a un côté « bombe à fragmentation » des plus stimulants. À force de presser sur le citron des textes, Frank Castorf et sa bande font résonner jusqu’à l’explosion toute une série de questions terriblement d’actualité : l’attraction universelle des villes (rien que ça !), la question des migrants, celle de la paupérisation des classes moyennes, de la vulgarité fasciste, avec le personnage de Natacha comme inquiétante métaphore du berlusconisme… Ne parlons pas de la psychologie petite-bourgeoise, pulvérisée depuis longtemps. Virtuose, chargé, expressionniste, cette vision de Tchékhov ne marche pas à tous les coups, fait parfois long feu, l’écran vidéo – ironique cru – occulte parfois la scène, mais ça bouillonne.

Pour qui verrait pour la première fois sous cette forme Les trois sœurs, ce seraient les « vraies » Trois sœurs ; il serait bien étonné, et très intéressé, sans doute, pas une représentation « classique ». C’est le sort (et le fort) des chefs-d’œuvre : dans quelque sens qu’on les torde, et même si on oublie de les tordre, ils vous donnent toujours plus que ce que l’on espère.


Christine Friedel

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nach moskau

 

  Le grain de sel de du Vignal :

 

 Nous étions à la même représentation et nous  trouvons notre consœur bien généreuse avec ce monument d’ennui qui dure plus de quatre heures( avec un court entracte). Le texte des Trois sœurs, on veut bien mais laminé, truffé par moments  d’autres textes.  Cela se veut  » une confrontation de la classe des démunis avec la léthargie bourgeoise qui révèle un potentiel social-révolutionnaire  » ( sic).Le tout sur la grande scène des Amandiers avec une sorte d’estrade en bois   celle de la bourgeoisie, et , un peu plus loin une isba déconstruite ( celle des moujiks-  où il ya un faux poèle- voulu comme faux , bien sûr- sur laquelle la nounou est assise et dont la cheminée de temps  en temps émet quelques fumées. Merci pour la leçon de catéchisme politique  teintée de brechtisme mal compris
Quant à l’incendie de la ville dans Les trois Sœurs, on voit les officiers arriver avec de gros tuyaux et répandre un peu d’eau sur la scène , tandis que sur l’écran, défilent des images des incendies qui ont ravagé la Russie cet été, comme si nous étions des brutes épaisse incapables de comprendre les choses autrement que par des images projetées.
La déconstruction, on veut bien mais on autrefois déjà beaucoup donné! Avec en prime,  une sacrée dose de vidéo qui parasite  tout, comme d’habitude  et qui nous envoie  presque en permanence dans la première partie, des grossissements de scènes et/ou de visages de scène intimes-voire très intimes- filmées par un cadreur qui suit pas à pas les comédiens sur le plateau.
Caviar sur le  blini:Le surtitrage  ( de bonne qualité) en grosses lettres s’imprime sur les images,pendant que les comédiens crient le texte. Mais le professeur parle en anglais-non traduit, comme   un passage en russe, et seul Castorf sait pourquoi!
Il nous avait habitué à uen autre qualité de mise en scène quand il avait monté ,entre autres,  Les Possédés. Certes, il y a de l’énergie comme le dit Christine Friedel, et alors ? Bon cela fait toujours plaisir de voir ces comédiens allemands qui ont une gestuelle et un jeu tout à fait remarquables  mais c’est sans doute le seul vraiment bon point de spectacle. Avec peut-être la fin plusn habile où les trois sœurs se retrouvent seules après le départ de la batterie. Mais pas un gramme de véritable émotion.. On nous rétorquera sans doute que c’est exprès- comme le braillait à la sortie,un comédien spectateur connu à la fois par sa grande culture et son snobisme: moi, j’adore… Mais, dans ce cas, pourquoi ce dézinguage en règle de la merveilleuse pièce de Tchekov ? Avec des intentions que seuls les radars très performants de Christine Friedel ont pu détecter …

Que veut nous prouver Castorf ? Qu’il sait réaliser ce genre de petite provocation facile à base de déconstruction ( on connaît ses qualités de metteur en scène depuis longtemps mais ici ne comprend pas bien le scénario) et l’entreprise semble lui faire plus plaisir qu’au public qui subit  cependant l’épreuve sans trop broncher ? Quel dommage que tout ne soit pas comme dans ces dernières scènes où le théâtre , débarrassé de toute cette technologie  retrouve enfin ses droits, et où l’on retrouve enfin le vrai Castorf.
Il y a eu à l’entracte de nombreux départs -mérités -mais pas assez pour vider la salle. La démonstration est très  solide sur le plan technique mais quel ennui, quelle déception devant une telle prétention, quel manque d’humour et de tendresse!  Les Trois sœurs mise en scène par Volodia Serre la semaine dernière à l’Athénée jouait le parti pris de l’honnêteté et il n’y avait aucune tromperie sur la marchandise : un travail artisanal, juste, capable d’émouvoir un public qui ne connaît pas Les Trois Sœurs.
Mais à qui est destiné ce travail de couture et de rapiéçage de morceaux de textes, sans grand intérêt et qui n’a rien de très neuf, malgré les vieux oripeaux d’une certaine modernité que l’on a déjà vus un partout ?
Que l’on ne me fasse pas croire que le public de Nanterre et en particulier les étudiants  de la fac puissent être fascinés par cette avant-garde poussiéreuse. Quel est le but de l’opération et son coût ? Bref, une après-midi perdue.


Philippe du Vignal

 

 

Rêves d’automne

Rêves d’automne de Jon Fosse, traduit du norvégien par Terje Sending, mise en scène de Patrice Chéreau.

  fosse.jpgAprès les avant-premières au Musée du Louvre que nous n’avions pu voir et dont vous avait rendu compte dans ces colonnes Davi Juca(1), nous attendions avec impatience la mise en scène de Patrice Chéreau. Celle  de René Loyon, en partie à cause d’un décor assez peu efficace n’était pas du tout convaincante; mais celle de David Géry au Théâtre de l’Athénée, il y a juste deux ans, possédait une force et une beauté indéniable avec des acteurs de premier ordre… . Il y a en France, les partisans de Jon Fosse et ceux que ses textes ennuient profondément, pourtant montés par des metteurs aussi expérimentés que Claude Régy ou Jacques Lassalle…
La tâche n’est pas aisée: comment en effet faire vivre ces phrases banales sans intérêt immédiat mais qui nous disent le plus intime de nous, un peu comme chez Tchekov ou Ibsen  auquel on pense bien sûr en entendant les dialogues de l’auteur norvégien. Mais il y faut une précision d’orfèvre et une grande sensibilité chez le metteur en scène, et une faculté d’écoute du public, en même temps qu’un plateau approprié: cela fait quand même de nombreux paramètres à prendre en compte. L’histoire est simple; il s’agit d’un homme et d’une femme qui se retrouvent dans un cimetière. Ils ont vécu ensemble autrefois, puis  se sont perdus de vue mais ce n’est sûrement pas innocent que ces  retrouvailles aient lieu dans un cimetière, où il doit venir enterrer sa grand-mère. C’est elle, vieille Ophélia, qui, dès le début, un bouquet de fleurs à la main, en chemise de nuit blanche immaculée et robe de chambre grise, erre d’une salle à l’autre, en silence- magnifiquement interprété par Michelle Marquais,fantôme parmi les fantômes du musée.I
L’Homme y retrouve ses parents qu’il n’avait pas vus depuis des années. Il y a aussi son ex-épouse ( la seule qui porte un prénom: Gry ( très bien jouée par Marie  Bunel) qui a peur de perdre  leur seul enfant qui est entre la vie et la mort à l’hôpital. Plus tard, L’Homme retrouvera encore sa mère pour l’enterrement de son père ( Bernard Verley) et entre temps, leur jeune fils de dix neuf ans lui aussi sera mort. Et, à la fin, absolument sublime, l’on peut voir les corps des trois hommes :père, fils et petit- fils étendus en ligne , tandis que les trois femmes quittent lentement la salle de musée.
Chéreau a en effet préféré concrétiser ce cimetière par une salle de musée ( et la pièce a déjà été présentée en avant-première au salon Denon du Louvre.  voir l’article de Davi Juca dans Le Théâtre du Blog) . Richard Peduzzi,  vieux complice fidèle de Chéreau depuis quelque quarante ans au théâtre  comme au cinéma et qui a su donner une dynamique exemplaire à l’ecole Nationale des Arts Décoratifs a réalisé une magnifique et très impressionnante scénographie.
automne.jpgImaginez une salle au parquet de chêne qui arrive jusqu’au premier rang du public, aux  très hauts murs rouge foncé, avec des entrées aux cadres noirs donnant sur d’autres salles qu’on entrevoit seulement- mais où l’on  peut aller  après le spectacle, comme des visiteurs de musée.Il y a là notamment La Chute d’Icare en deux exemplaires dont l’un est déposé en bas d’un mur. Dans la salle où a lieu l’action, les tableaux ont été décrochés et ne restent que les cartels où l’on peut lire le nom des défunts comme on les lit sur les tombes dans le texte original de Jon Fosse;  les tableaux représentant  des scène mythologiques ou d’histoire romaine sont haut placés, un peu comme au Musée de Chantilly  dont l’accrochage  n’a pas bougé sur ordre testamentaire du duc d’Aumale,  et  on les devine plus qu’on ne les voit vraiment..
Il y a  surtout des  batailles et des scènes de mort  ( et ce thème n’est  pas un hasard chez Chéreau hanté par la disparition de plusieurs de ses proches  et  lui-même fils de peintres: La mort de Sénèque de Luca Giordano, La mort de Roncevaux d’Achille Etna Michallon, ou des paysages assez mélancoliques comme ceux que peignait Théodore Carelle d’Aligny, cet excellent paysagiste du 19 ème ou encore  Charles Le Brun. Les tableaux ne sont en rien des copies, nous a dit Richard Peduzzi mais ils sont encore plus vrais que nature dans cet étonnant espace théâtral.
Il n’y a pas -mais on pourrait la deviner- cette odeur prenante d’encaustique des anciens musées un peu oubliés des grandes villes de province quand on était encore enfant. Il y a aussi une lumière zénithale un peu froide et triste comme souvent en novembre. La mise en scène de Patrice Chéreau  est exemplaire de finesse et de beauté pure, comme dans ces scènes d’amour entre elle et lui ( Pascal Greggory), même si on entend souvent mal Valéria Bruni-Tedeschi, comme cette autre scène où Bulle Ogier, formidable de force et  de vérité ( la Mère ) gifle son fils qu’elle prend encore pour un gamin, ou bavarde avec la nouvelle épouse de son fils…
Qui est mort? Qui va mourir? se demande-t-il dans cette pièce hantée par le désir sexuel  et par la mort que  l’on essaye ,en vain bien sûr, d’apprivoiser . Ce que rend très bien aussi Chéreau et qui est un des thèmes majeurs de Rêves d’automne, c’est l’idée de  transmission et d’unité entre les morts et les vivants chère à l’écrivain  orthodoxe Olivier Clément.
Il sait dire, comme peu de metteurs en scène, son  obsession  du temps (il avait déjà  monté Le Temps et la chambre de Botho Strauss..) et de la mémoire, obsession qui est aussi celle de Jon Fosse. Il n’était pas revenu au Théâtre de la Ville depuis Peer Gynt  il y a presque trente ans., et l’on sent le plaisir  qu’il a eu à disposer d’un aussi beau plateau. Mais, eh! Oui, il y a un mais. Même si les lumières de Dominique Bruguière sont, comme d’habitude de toute beauté, même si la direction d’acteurs est de  premier ordre, on est obligé de dire que ce n’est pas le type de salle vraiment adaptée à l’univers intimiste de Jon Fosse. Et comme Patrice Chéreau traite nombre de scènes un peu comme un cinéaste qu’il est surtout devenu, mieux vaut être dans les premiers rangs si l’on veut partager l’univers de ces êtres déchirés. Mais pour les spectateurs du milieu et du fond de salle, l’esthétique de la mise en scène plombe souvent  le dialogue et même le sens de la pièce. Et c’est d’autant plus dommage que c’est vraiment une mise en scène d’une rare qualité où Chéreau comme l’écrivait déjà Freud au début du 20 ème siècle, semble nous conseiller de renoncer d’une certaine façon à l’amour, de choisir la mort et de nous familiariser avec la mort. Ce qui ne veut pas dire du tout que la mise en scène de Chéreau soit sinistre ,mais plutôt douce et apaisante, et ,même par moments, ludique…
Alors à voir? Oui, bien sûr, que vous connaissiez Jon Fosse ou pas, malgré ces réserves mais conseil d’ami:  faites preuve d’exigence et vraiment insistez pour avoir des places dans les premiers rangs et de préférence au centre… Vous avez le temps ,cela se joue jusqu’à la fin janvier… 


Philippe du Vignal

 

(1)http://theatredublog.unblog.fr/2010/11/16/reve-dautomne/

 

Théâtre de la Ville jusqu’au  25 janvier.

 

Ensuite  au Grand T de Nantes du 2 au 11 février; au de Singel d’Anvers le 1er et 18 février; au Théâtre du Nord de Lille du 8 au 18 mars;   au Stadsschouwburg d’Amsterdam du 24 au 26 mars; au Piccolo Teatro de Milan du 1 er au 11 avril; à la Scène  nationale de Poitiers du 3 au 26 mai; au Théâtre national de Bretagne à Rennes du 11 au 20 mai; au Wiener Festwochen de Vienne du 26 au 29 mai et enfin,  au Théâtre national de la Criée à Marseille du 6 au 11 juin.

Mathis le peintre

Mathis le peintre, musique et livret de Paul Hindemith, mise en scène d’Olivier Py 

 mathis1.jpgPassionnante découverte d’un musicien peu joué et d’un opéra ambitieux. L’œuvre, qui embrasse toute la vie du peintre Grünevald – celui de retable de Colmar – s’attache à la question presque inépuisable de la responsabilité de l’artiste dans un monde en guerre. Dans la fiction, il s’agit des luttes accompagnant les progrès du luthéranisme : mais, au moment où Mathis est créé en 1938, à Zurich, l’Allemagne est en plein nazisme…
Que dire de la musique, quand on n’est pas musicologue, sinon qu’elle est dramatique, lyrique, efficace, et parfaitement menée par Christoph Eschenbach et l’orchestre de l’Opéra Bastille,  sans effets superflus , avec des chanteurs-Matthias Goerne en tête- à l’aise dans une partition que demande de la vaillance : un vrai plaisir.
Nous n’en dirons pas autant de la mise en scène: très vite, on se demande si Olivier Py aime vraiment la musique. Fallait-il jouer sans répit avec toute la technologie de l’Opéra Bastille et mobiliser une telle machine pour n’en tirer que parasitage et agitation ? Sortir et rentrer sans cesse des escaliers où crapahutent les chanteurs, clipper non sans bruit d’énormes praticables ?
On comprend l’idée, (un peu lourde) : montrer que le théâtre ne cherche pas l’illusion mais ne renvoie qu’à lui-même, comme tout art. Mais on peut le faire avec plus de discernement et d’économie – l’économie des signes, au moins – et plus de justesse.Mais revenons au fond de l’affaire, et à la responsabilité de l’artiste dans l’histoire. Bien sûr, Paul Hindemith ne pouvait pas créer son opéra dans une Allemagne qui brûlait les œuvres des « artistes dégénérés ».
Mais choisir pour le mettre en scène l’époque de l’écriture plutôt que de celle de la fiction est une idée qui ne fonctionne pas, et est même « contre-productive ». Danger ! L’image de l’officier nazi et des soldats au casque bas-du-front est devenue un lieu commun. La violence, pour avoir trop servi, et de façon trop molle, en est évacuée. Passons sur le coût des chiens parfaitement dressés et silencieux tenus en courte laisse : violence apprivoisée, là encore, pas même un frisson. On nous objectera que l’opéra, c’est le lieu commun : faut-il pour autant accepter les vieilles fausses audaces : danseuses aux seins nus à la Portier de nuit , casquettes à la chinoise de foules (gênées par les décor), plus désorientées qu’animées par la révolte et jolis jeux de drapeaux rouges ?
De quoi Luther est-il le nom ? C’est la question que pose Hindemith, qui n’en reste évidemmment pas à la fresque historique. Qu’en pense le metteur en scène, on ne le saura pas Cher Olivier Py, vous avez signé cette mise en scène en plaçant à la face votre chère « servante ». La modeste lampe doit attendre quatre heures pour retrouver son plateau nu. Que n’écrivez-vous un livret né de votre propre ambition ?… Pourquoi n’avoir pas pris le temps d’aimer ce livret d’Hindemith, dont une phrase vous renvoie – ironiquement – à votre propre responsabilité d’artiste : « ton pire ennemi est à l’intérieur de toi-même ».

Christine Friedel

Théâtre de l’Opéra-Bastille

 

 

Baal

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Baal de Bertolt Brecht, mise en scène François Orsini

C’est une descente aux enfers, un chemin de croix auquel nous convie François Orsini et sa troupe NéNéKa avec cette mise en scène de Baal. Si le héros de Brecht commence en artiste de cabaret et poète, c’est en poète maudit qu’il finit, devenu assassin , avant d’expier une vie corrompue. Nous suivons l’histoire de cette déchéance grâce à de petites scènes juxtaposées qui sont autant de moments de la courte existence de Baal : rencontres et séductions de femmes qu’il engrosse, beuveries à la taverne, disputes avec sa mère, fugues avec l’ami Eckart, chansons au cabaret où il semble avoir signé un pacte avec le diable…
La mise en scène, riche en propositions et inventive (notamment musicales et chantées), fait la part belle à la provocation, inhérente au texte ou liée à une gestuelle très poussée ,voire  insistante. On l’aura compris : nous sommes dans le temple du sordide, dans l’enfer de la débauche. Un univers fait de violence et d’hystérie, comme dans ces tavernes que fréquente Baal et où les misérables viennent se saouler et crier. Baal (Clotilde Hesme) apparaît comme une brute dépravée et abjecte.
On ne peut dénier la qualité de la distribution et une interprétation plutôt remarquable, puisque les sept comédiens sur scène incarnent chacun plusieurs rôles . Mais  subsistent des zones d’ombre: le débit ou la diction ne rendent pas toujours le texte audible, et les scènes ne sont toujours pas assez claires  pour être immédiatement compréhensibles. Bref, un peu de liant fait défaut pour donner au spectacle plus de saveur et d’harmonie et décoller d’un sens qui serait d’emblée offert dès la scène inaugurale. La troupe  possède énergie, talent et plaisir à jouer, et il ne lui manque pas grand-chose pour être  tout à fait convaincante…

Barbara Petit

Théâtre de la Bastille jusqu’au 22 décembre.

VILLÉGIATURE

VILLÉGIATURE d’après La Trilogie de la villégiature de Goldoni, mise en scène de Thomas Quillardet et Jeanne Candel. 

 

Jeanne Candel et Thomas Quillardet avaient déjà collaboré pour leurs premières mises en scène, notamment pour Le baiser sur l’asphalte de Nelson Rodrigues en 2005 au Théâtre Mouffetard dont nous gardons un bon  souvenir. Cette Villégiature rassemble les pièces de La Trilogie de la villégiature écrite  par Goldoni en 1761. et qui est ici  interprétée par une équipe de huit comédiens pleins d’humour, et plusieurs rôles sont doublés avec efficacité, notamment les domestiques par Marion Vestraeten et les veuves par Elizabeth Mazev, toutes deux sémillante. Cette Villégiature brosse le tableau féroce d’une bourgeoisie vénitienne frivole et endettée, qui maltraite ses domestiques.
Les deux jeunes premières, Maloue Fourdrinier (Vittoria) et Claire Lapeyre-Mazerat (Giacinta) qui rivalisent sur le front de la mode et de l’amour , se sacrifieront sur l’autel des convenances, l’une épousant l’amant de l’autre qui a signé trop tôt une promesse de mariage avec un autre prétendant, sous la pression d’une irrésistible veuve.
Une seule ombre à cette  belle soirée : le décor en contre-plaqué du premier acte qui bascule sur le plateau pour laisser la place aux lieux de la villégiature du deuxième acte, manque singulièrement de poésie.

Edith Rappoport

Bien vu; il faudrait seulement ajouter que Thomas Quillardet aurait intérêt à s’entourer d’un dramaturge: à force de cisailler dans le texte, le début n’est pas d’une clarté limpide. et  du coup semble un peu poussif.. Il lui faudrait aussi recruter d’urgence un(e) scénographe: ce qui est sur scène est trop laid et trop médiocre, y compris les accessoires, et nuit au jeu des acteurs quand le plateau dans la seconde partie est encombré des béquilles qui maintiennent le mur de la première partie.
Le travail de Tomas Guillardet  mérite mieux. Sa mise en scène et sa direction d’acteurs sont vraiment de très grande qualité: tous les acteurs sont justes et tout à fait crédibles en particulier Elizabeth Mazev dans un double rôle de veuve, Marion Verstraeten qui  joue les  domestiques , Oliver Achard (le père): il faut une sacrée dose d’intelligence théâtrale pour jouer ce personnage de père à la fois finaud, et pas très clairvoyant, et qui peine à s’imposer sans sa maison .
Il y a aussi Claire Lapeyre Mazerat ( Giacinta): il faut la voir d’abord joyeuse, espiègle mais à la fin résignée et consciente de s’être fait flouer dans ce jeu d’amour qui tourne mal, en partie à cause d’elle, trop jeune et trop naïve pour affronter les coups tordus…
Le conte cruel de Goldoni  aurait  pu  être  signé par  ce formidable explorateur de la société que fut aussi  Eric Rohmer. Et le public , où il avait des gens de tout âge  qui a fait une ovation au travail de Thomas Quillardet.

Philippe du Vignal

Théâtre de Vanves Jusqu’au 13 décembre.

  Et à la Maison de la Poésie à Paris, reprise du Repas de Valère Novarina qu’avait mis en scène l’an passé Thomas Quillardet avec beaucoup de bonheur  et où jouent aussi plusieurs des comédiens de La Villégiature ( voir le Théâtre du Blog) du 19 janvier au 16 février.

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