La Belle au bois
À partir de textes singuliers dont le spectateur fait simultanément la découverte, le Collectif Quatre Ailes et son metteur en scène Michaël Dusautoy cultivent le don de sculpter sur la scène des créations de leu
r cru. Après Projet RW d’après la Promenade de Robert Walser, le temps est venu de la Belle au bois, une féerie de 1932 remaniée plusieurs fois. En 47, le souvenir récent de la guerre fait rage en France, et Supervielle évoque dans cette féerie la cruauté des hommes à travers les tueries de la Seconde Guerre mondiale.
Par opposition à ces temps irresponsables, l’histoire qui nous est contée baigne dans une atmosphère irréelle – visions, songes et souffle fantastique – à la fois heureuse et insatisfaisante, pour ne pas dire inquiétante. C’est l’anniversaire des quinze ans de la Belle, une jeune fille vive, enjouée et installée dans le désir de croquer la vie à pleines dents, qu’incarne avec une saveur jubilatoire Valentine Carette. Le corps pour la fillette est une prison décevante puisqu’elle vit, enfermée dans une demeure au milieu d’une forêt sombre que lui a étrangement tricotée sa marraine. Une vaste fresque au fond de la scène tient lieu de mur, une tapisserie façon Dame à la licorne, un lai de tricot ouvragé par les aiguilles de celle qui est douée de pouvoirs magiques, bien que, ces derniers temps, la fameuse baguette ne réponde plus à ce qu’on lui demande. Toujours est-il qu’à travers les mailles du tricot qui grandit à vue, la marraine pincée au goût acidulé (merveilleuse Catherine Mongodin) est bien la tisserande « accro aux aiguilles » qui maintient le fil de la vie, envers et contre toutes les quenouilles, dont celle de Perrault fatale à la princesse.
Ces accessoires métaphoriques sont présents sur le plateau. Blanches et neutres, comme vidées de leur sang, les quenouilles sont des outils artisanaux fantastiques, des sortes de vaisseaux naufragés, reliés aux cordes qui investissent les hauteurs scéniques de l’espace, la jungle aérienne de Michaël Dusautoy.
Là, les branches de la forêt et les liens tissés par la Nature sont le domaine de Botté, le Chat. Damien Saugeon en félin surréaliste est plus vrai que chat qui griffe, agile, souple, bondissant, soyeux, langoureux ou jaloux. Il est l’Hermès de la princesse, celui qui vole à son secours et l’égaie. Manque au tableau enfantin – façon Shrek – la figure de Barbe-Bleue que François Kergoulay assume avec brio et un plaisir. « gourmand »
Les relations inattendues nouées entre la Belle et l’Ogre déploient un imaginaire tout terrain, qui ne craint pas les embardées que provoquent les scènes convenues, forcément bousculées. La Bête et la Belle s’aiment d’amour, oui : allez comprendre cela !
Il leur faut bien accorder la liberté. Même la cuisinière s’en étonne (Claire Carlier), extraordinaire de sérénité. Quant au Prince (Mathieu Boulet endiablé), c’est un joyeux jouvenceau décoiffé, plutôt brut de décoffrage, dont les attributs héroïques ont pâli.
Même la Fée Carabosse est là, une Marraine inversée, qui vient provoquer le public. Ombres, lumières, apparitions, machine à laver dont le tambour est un écran circulaire pour vidéo mi-aquarium, mi-TV, le spectacle déploie un univers poétique enchanteur et facétieux dans la proximité du rêve éveillé.
Véronique Hotte
La belle au bois, de Jules Supervielle ; mise en scène de Michaël Dusautoy.
http://collectif4ailes.free.fr/
Du 11 au 17 janvier à La Scène Watteau/Théâtre de Nogent-sur-Marne (94), les 10 et 11 février au Théâtre de Chelles (77), le 11 mars au Centre Culturel Boris Vian/Les Ulis (91), le 22 mars au Pôle Culturel/Alfortville (94). Du 30 mars au 9 avril au Théâtre des Quartiers d’Ivry/Ivry-sur-Seine (94), le 6 mai au Théâtre des Sources/Fontenay-aux-Roses (92)