La duchesse de Malfi
La duchesse de Malfi de John Webster, traduction de Nigel Gearing et d’ Anne-Laure Liégeois, mise en scène d’Anne-Laure Liégeois.
La pièce écrite par John Webster (1580-1624), et donc contemporain de Shakespeare, est l’histoire d’une duchesse qui épouse secrètement son intendant, homme intègre mais non noble, Antonio Bologna, bien que ses frères, un Cardinal et Ferdinand d’Aragon, jumeau de la Duchesse, qui ont introduit chez elle un de leurs espions, Daniel de Bosola, l’aient mis en garde contre un éventuel remariage dont ils ne veulent à aucun prix.
Elle va accoucher bientôt d’un fils dont Antonio fait établir l’horoscope qu’il perd en chemin et que Bosola va ramasser et qui, bien entendu, avertira tout de suite les deux frères de la situation. Deux autres enfants vont naître de ce couple secret mais Ferdinand surprendra la duchesse qui va alors organiser la fuite d’Antonio et de leur fils aîné pour Ancône.
Sur le conseil de Bosola, à qui elle a avoué ce mariage secret, elle va rejoindre son époux sous prétexte d’un pèlerinage à Notre Dame de Lorette. Mais elle est arrêtée et mise en résidence surveillée par ses deux frères qui vont lui faire croire, en lui montrant une main coupée et des cadavres en cire que son époux et ses enfants sont morts, de façon à lui faire perdre la raison…Et, sur leur ordre, les fous d’un asile voisin vont aussi lui donner un spectacle parodique; Bosola va entrer masqué, sur ordre de Ferdinand, pour étrangler la duchesse!
Mais ému par sa dignité, Bosola va vouloir la venger; Ferdinand , lui, est déjà mentalement atteint et se prend pour un loup; quant à son frère, le Cardinal, il avoue à sa maîtresse Julia qu’il vient de faire tuer la Duchesse et ses deux enfants, puis il la supprime elle aussi pour qu’elle ne parle pas. Mais Bosola, caché, écoutait la conversation et il va tuer par mégarde Antonio en voulant le protéger du Cardinal mais exécute les deux frères, avant de mourir du coup de dague que vient de lui donner Ferdinand. Le dernier fils survivant d’Antonio, arrive sous protection armée pour faire valoir ses droits sur le duché de Malfi…
La pièce est rarement montée; elle l’avait été par Peter Zadek en costumes contemporains, et, il y a déjà vingt ans, Mathias Langhoff avait recréé cette tragédie dans une traduction de Claude Duneton qui s’était efforcé de retrouver toute la verdeur de la langue de Webster, notamment de nombreuses allusions sexuelles, le plus souvent avec bonheur.
Ce qu’a choisi aussi de faire Anne-Laure Liégeois et l’on retrouve des phrases étonnantes comme: « Le ciel ou l’enfer, il n’existe pas de troisième lieu »; « la toile de notre vie est de fil mélangé, bon et mauvais ensemble, ou bien encore: « Les gloires d’ici bas, comme des vers luisants jettent des feux brillants mais à les regarder de plus près, ils n’ont ni chaleur ni clarté ».
Le dispositif scénique de Langhoff était comme d’habitude, assez complexe mais d’une beauté baroque, mêlant temps présent ( un écran de télévision) et temps passé avec une galerie, lieu de production d’une musique rock en direct et, à la fin de la pièce de nombreux cercueils et des cierges de cire qui rythmaient l’espace. Avec un mélange tout à fait sophistiqué de premier et de second degré.
C’est un peu aussi le choix d’Anne-Laure Liégeois : la scénographie est d’une simplicité et d’une rigueur exemplaire: une salle aux murs gris avec au fond, une petite scène, encadrée d’une série d’ampoules blanches. Pas de portes apparentes qui semblent se fondre dans les parois et qui s’ouvrent dans un silence total pour laisser entrer et et sortir les personnages comme des ombres qui s’enfuient rapidement de ce lieu clos insupportable.
Assez bien vu ! Ces entrées et sorties adroitement mises en scène par Anne-Laure Liégeois, contribuent à donner un sentiment de malaise et de cruauté qui parcourt toute la pièce, où ne règne aucun espoir et où domine en permanence la vengeance et la mort. Avec des éclairages exceptionnels de beauté, souvent en lumière rasante latérale: Anne-Laure Liégeois sait incontestablement réaliser des tableaux plastiques d’une vérité et d’une poésie, à la fois belles et justes.
Au-dessus de la petite scène, est accrochée une pendule de gare, (aimablement prêtée par la gare de Montluçon dit le programme) et bloquée à 6 heures vingt sept ??? . Mais l’aiguille rouge des secondes continue à tourner inlassablement pendant tout le spectacle. Pour une fois que quelque chose fonctionne sans à-coup à la SNCF, autant profiter de cette vision surréaliste! La mise en scène reste d’une grande sobriété et Anne-laure Liégeois défend assez bien ce droit à l’amour, revendication déjà féministe de cette duchesse qui s’oppose à la cupidité de ses frères.
Le spectacle n’a sans doute ni l’ampleur ni les inventions de celui de Langhoff mais a une belle tenue, du moins dans les quatre premiers actes, grâce à la beauté des images et à la poésie intense du texte que l’on a quand même rendu parfois un peu racoleur.
Mais dans cette noirceur baroque, ce qui est très décevant en revanche, c’est le manque de rythme, le côté mou de la mise en scène et la faiblesse de la direction d’acteurs! La diction est souvent approximative chez la plupart des comédiens qui semblent manquer singulièrement de souffle (le spectacle dure quand même trois heures!) et dont nombre de spectateurs se plaignaient à l’entracte.
Et ce n’est pas dû à l’acoustique de la belle salle du Théâtre 71 mais devrait encore pouvoir être rectifié, puisqu’il y a déjà un net progrès dans la seconde partie où a lieu cette série de meurtres, avec ce théâtre dans le théâtre une fois de plus où l’on nous montre les poches de faux sang suspendues au cou….
Seconde partie dont le texte est moins convaincant, en grande partie à cause d’une conclusion qui fait long feu. Il aurait sans aucun doute fallu pratiquer des coupes sévères, ce qui n’aurait pas nui au scénario et donné un rythme indispensable qui continue à faire cruellement défaut. Alors à voir? C’est selon; oui, si vous avez envie de découvrir un texte étonnant de vie et d’une rare fraîcheur quatre siècles après, même si la pièce est inégale et dont la vision plastique a été privilégiée par Anne-Laure Liégeois, aux dépens d’une réelle dramaturgie et d’une direction d’acteurs qui reste un peu approximative.
Philippe du Vignal
Théâtre 71 de Malakoff jusqu’au 5 février puis en tournée.