Piscine (pas d’eau)
Piscine (pas d’eau), de Mark Ravenhill, traduction Jean-Marc Lanteri, mise en scène de Thomas Jolly.
Noyades intimes et sauvetage collectif : viva la Piccola Familia dont voici la nouvelle création. Bien que nous n’ayons aucun lien de parenté avec eux , nous nous sentons toutefois de la famille, et un vrai réseau de spectateurs, amateurs et professionnels, est en train de se construire rapidement autour du travail enthousiasmant de cette jeune compagnie.
A Cherbourg, où nous avons vu le spectacle, une représentation supplémentaire a dû être programmée pour satisfaire le public. Nous avions découvert la Piccola Familia, avec Toâ, de Guitry, à Bayeux, où ils faisaient salle comble, puis à l’Odéon où ils ont remporté un bien mérité « prix du public du Festival Impatience », puis au TGP de Saint Denis où le succès s’est confirmé sur la durée. Philippe du Vignal, avait déjà dit, l’automne dernier, tout le bien qu’il en pensait .
Nous avons pu aussi assister, à Rouen, la saison dernière, à une première maquette, ouverte au public, de leur création prévue pour 2012, vu l’ampleur du défi artistique et financier: Henri VI, de Shakespeare. Enthousiasmant. Le point commun de ces spectacles : cinq comédiens absolument formidables – trois femmes, deux hommes, aux personnalités très complémentaires -, une grande inventivité collective, un sens du rythme et de l’espace du plateau consommé, l’utilisation de moyens purement théâtraux, une recherche qui ne laisse jamais le public de côté.
Piscine (pas d’eau) de Mark Ravenhill, auteur anglais né en 1966. Le prétexte de la pièce est une histoire réelle, celle d’un collectif de photographes, Five of Boston, et de Nan Goldin, qui, à ses débuts, en fit partie, avant de mener une carrière solitaire à succès avec ses photos, souvent impudiques et violentes, qui témoignent toujours de souffrances et d’inquiétudes brutes de décoffrage, les siennes et celles de ses proches. L’une de ses séries s’intitule : « Noyades intimes ». Tout est dit.
Mais la pièce ne questionne pas l’esthétique. Elle s’ouvre abruptement sur une explosion de haine féroce, conséquence logique, à terme, de rapports de manipulation assez sordides. Elle s’ouvre sur la perte totale du désir d’être ensemble, de créer, de s’épauler. Pas de langueur, pas de nostalgie, pas de spleen. ..
Un récit mené tambour battant, de façon chorale, par cinq artistes, trois femmes, deux hommes, des années après le moment fort du « Groupe ». Celle qui est devenue célèbre et riche, absente de leur univers depuis longtemps, mais qui les rassemble , est une personnalité inflexible, dure et froide, et les a invités à se retrouver pour partager sa piscine de luxe. Sans eau, on l’apprendra vite. Sans eau, sans âme, vide.
C’est bien en effet d’un vide total dont il s’agit, celui de leurs vies. Un sol en ciment, un atterrissage sans parachute. Une moitié de la pièce se passe au bord de la piscine, l’autre moitié à hôpital. Par une étrange coïncidence, le spectacle se donnait dans l’ancien hôpital des armées de Cherbourg aménagé par la Scène Nationale Le Trident, un lieu immense, magnifique. Thomas Jolly a imaginé un superbe étagement dans l’espace et un glissement d’une séquence à l’autre par des effets d’apparition/disparition très réussis. Il confirme son intelligence du plateau.
Séverine Anselmo et Mickaël Berret ont réalisé une création lumière particulièrement belle, qui fait basculer les ambiances du réalisme au merveilleux par un procédé circulaire. L’attention ne faiblit jamais. La Piccola Familia est donc à la hauteur des attentes. Cette fable très moderne sur les illusions de l’art, illusions perdues, est palpitante. Alexandre Dain, Flora Diguet, Emeline Frémont, Thomas Jolly et Julie Lerat-Gersant sont dans ces personnages de jeunes artistes, pas faciles à camper car proches d’eux, formidables, à la fois durs, émouvants, odieux et touchants, provocants et fragiles, vraiment de bons comédiens.
Il y a des images très réussies comme « la fête », ou « le grand bain » et ses personnages ondoyants sortant de l’eau tout éclaboussés de lumière émeraude. Le propos est stimulant : à partir du constat terrible d’un « envers » peu reluisant de la vie de groupe, «envers » qu’on se doit d’exorciser avec lucidité, à partir d’une vision absolument a-romantique de la vie d’artiste, peut alors venir la révélation progressive d’une nouvelle conscience de soi : la nécessité absolue de se détacher du jugement des autres, de ne pas laisser sa pensée se faire envahir par l’envie ou contaminer par l’appétit de pouvoir. Et le retour au final à la case départ, la pierre de touche du reste : être tout simplement humain, pleinement et dignement humain, que l’on soit artiste ou pas.
Une très belle parabole de la Piccola Familia.
Evelyne Loew
Vu à la création à la Scène nationale Le Trident – Cherbourg Octeville.
En tournée : le 27 janvier à Evreux Louviers – Scène nationale; du 1er au 5 février à Rouen – Chapelle Saint-Louis, et le 11 février à Saint-Valéry-en-Caux au Rayon vert – Scène conventionnée.